Cette semaine, le général Pellistrandi revient sur l'arrivée prochaine de l'hiver à l'est de l'Europe qui risque de paralyser les avancées russes comme ukrainiennes. Il ne faut pas se leurrer, l'hiver ne mènera pas à une trêve. Seulement, les aspects psychologiques et la pression que la Russie met sur la population ukrainienne risquent d'être démultipliés, le Kremlin comptant sur une lassitude occidentale, alors que Donald Trump pourrait revenir au pouvoir en 2025.
Éditorial – Encore 2 mois ? (T 1634)
Le Président Zelensky rend hommage aux soldats tombés au cimetière de Lychakiv, juin 2024 (President of Ukraine / Flickr / Domaine public)
Même si la technologie est désormais omniprésente sur les champs de bataille de la guerre d’Ukraine, des drones de toute nature jusqu’à la guerre électronique, la réalité du terrain sera toujours une constante et il reste environ deux mois avant que l’hiver ne vienne figer les positions et cela sans attendre le 21 décembre. L’automne pluvieux transforme les pistes en piège pour véhicules et blindés, tandis que le froid et l’humidité frappent les combattants des tranchées mais également toute la population essentiellement rurale qui se maintient encore près de la ligne de front dans l’est du pays. De plus, la nuit l’emporte désormais sur le jour, paralysant les unités sans dispositifs de vision nocturne, tandis que la peur de l’obscurité touche tout le monde, y compris les combattants aguerris après presque 3 ans de guerre.
Cela signifie que les manœuvres tactiques combinant les blindés, l’infanterie et les appuis feu deviennent plus compliquées et que chacun s’enterre sur la ligne de front, en attendant le printemps ou un épisode de froid sec permettant alors de repartir à l’assaut, à condition que les sols soient gelés.
L’hiver à l’est de l’Europe est une réalité géographique, historique et géopolitique encore d’actualité aujourd’hui malgré la guerre high tech. L’état-major ukrainien en est conscient avec le double objectif de tenir et de ne pas céder trop de terrain, notamment sur le front est du Donbass ; et, éventuellement, de rester sur le territoire russe dans l’Oblast de Koursk en espérant conserver ce gage territorial.
Par ailleurs, il est évident que les frappes russes sur l’ensemble du territoire vont se poursuivre, y compris à l’Ouest, relativement épargné jusqu’à présent, mais qui constitue l’artère vitale amenant l’aide militaire occidentale. La ville de Lviv, à quelques dizaines de kilomètres de la frontière polonaise est désormais régulièrement frappée. Sans parler des infrastructures vitales comme les réseaux de distribution d’électricité, cibles d’attaques russes. Les coupures électriques provoquent une vraie souffrance pour la population, en particulier dans les zones urbaines où la vie quotidienne dans les immeubles de grande hauteur exige du courant. Moscou agit ainsi sur le moral des Ukrainiens, espérant provoquer une immense lassitude et ainsi obliger le gouvernement à négocier en position de faiblesse.
D’autant plus que Kiev ne dispose pas des capacités anti-aériennes suffisantes pour protéger l’ensemble de son territoire. Même si l’Ouest fournissait davantage de matériels, il est impossible de pouvoir réaliser un Dôme de fer identique à celui qui protège Israël. Il faut prioriser les zones à protéger, obligeant à des choix douloureux.
Il y a donc urgence pour l’Ukraine de pouvoir tenir dans les semaines à venir.
À l’inverse, pour Moscou, il faut impérativement gagner et conquérir du terrain, pour apparaître en position de force avant le ralentissement hivernal – je refuse ici le concept de « trêve hivernale » car la guerre se poursuivra tout au long de l’hiver, selon un rythme et des modalités différentes – et conforter la position victimaire du Kremlin qui se présente comme étant agressé et devant se défendre contre les « néo-nazis soutenus par l’Otan ».
Au calendrier météorologique se rajoute, cette année, le calendrier politique avec les élections américaines du 5 novembre. Tant Kyiv que Moscou ont les yeux rivés sur le décompte. Une victoire de Trump pourrait signifier un deal sur le dos de l’Ukraine. Les propos de son candidat à la vice-présidence, J. D. Vance, sont, hélas, très significatifs et très inquiétants pour l’avenir des Ukrainiens. Poutine, à l’inverse, mise sur cette perspective et doit impérativement conquérir d’ici là un maximum de terrain pour consolider ses positions et imposer de facto la perte de 18 % du territoire ukrainien, au mépris total du droit international. Les garanties proposées par J. D. Vance ne garantissent ni la sécurité, ni la souveraineté de l’Ukraine dans la durée. Sans oublier le message envoyé aux alliés des États-Unis qui pourraient alors s’interroger sur la réalité du bouclier américain, à commencer par le Japon.
Les semaines à venir vont, en effet, être cruciales pour cette « opération spéciale militaire ». Avec le risque du désintéressement de l’opinion publique européenne qui, dans certains États-membres de l’UE, semble prête à une paix de compromis au détriment de l’Ukraine. L’exemple allemand est assez inquiétant, au regard des dernières élections locales en Saxe et en Thuringe, ayant amené aux responsabilités des extrêmes plutôt favorables à Moscou.
Même si cela semble une banalité sans cesse radotée, notre avenir se joue actuellement dans les grandes plaines de l’est de l’Europe et les semaines à venir seront déterminantes. ♦