L’auteur qui s’y amuse relit les Essais de Montaigne et révèle l’homme de guerre. Leçons pour ceux d’aujourd’hui. (Première livraison d’une série de 3).
Le soldat Montaigne (I) (T 204)
« Il n’est occupation plaisante comme la militaire ». Voilà, en peu de mots, deux choses dites. Le métier des armes est un métier charmant et, à la question que pose le polémologue, « Pourquoi les hommes font-ils la guerre ? », la réponse est donnée : parce qu’ils aiment ça. Cette perspicacité de l’auteur des Essais, qui n’est pas pour surprendre, doit nous inciter à chercher en son œuvre ce qu’il pense de notre bizarre activité. Ce grand bavard en a tant dit sur tous sujets que l’on ne devrait pas être déçu sur celui-ci.
En 1571, à 38 ans, il se retire en sa « librairie » et se plonge dans l’observation d’un objet qu’il sait médiocre, lui-même. Égocentrisme revendiqué et justifié par une entourloupette : moi, homme ordinaire et donc représentant de tous. Il étaye ses pensées de quelques supports classiques, simples confirmations qu’il tire des 1 000 livres de sa bibliothèque. L’œuvre de Plutarque est sa référence favorite, Jules César son stratège, les Lacédémoniens ses maîtres en ascétisme militaire, Socrate son frère en scepticisme. Les jugements qu’il porte sur ses contemporains sont impitoyables : « Tous des c… », dirait-il aujourd’hui avec la vigueur qu’on lui connaît. Tous ? Voire ! Les gens d’armes semblent trouver grâce à ses yeux, vivants que la mort surveille. C’est qu’il parle beaucoup de celle-ci, s’efforçant de la réduire à sa plus simple expression : le grand passage est un moment infime et la peur qu’on en a mal placée, ce n’est point lui que l’on craint, mais les souffrances qui, souvent, le précèdent.
Regarder la mort en face, voilà ce qui rapproche Montaigne des soldats. Son époque aussi, terrible. Il sait ce qu’est la guerre régulière, il assista au siège de La Fère en 1580 et le maréchal de Monluc est son voisin. Mais c’est le grand drame français qui le bouleversera, nos guerres de religion, qu’il appelle civiles. Il a 29 ans quant elles débutent, et 39 lors de la Saint-Barthélemy. Voilà le sceptique à l’épreuve. Il en sortira indemne et nous livrera ses commentaires, souvent tristes, toujours pertinents, et nombre d’entre eux d’une étrange actualité.
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