Introduction du Chef d’état-major de l’Armée de l’air (CEMAA) pour le dossier « Aéronautique et espace », spécial Salon du Bourget (18 au 24 juin 2007).
Introduction
Introduction
An introduction by General Stéphane Abrial, Chief of French Air Staff (CEMAA), to the special feature on aerospace in the Paris Air Show issue of Défense nationale et sécurité collective.
Le salon international de l’aéronautique et de l’espace ouvre ses portes pour la 47e fois de l’histoire le lundi 18 juin 2007 au Bourget. Les passionnés d’aviation ou les simples curieux vont pouvoir s’émerveiller devant les présentations aériennes des appareils les plus modernes. Les industriels vont faire la promotion de leurs produits, nouer de nouveaux contacts et probablement conclure des marchés. Les militaires vont profiter de la présence des grands constructeurs aéronautiques pour apprécier les nouveaux matériels et discuter des évolutions à venir.
Tous les aspects technologiques vont être mis en avant dans la presse spécialisée. Les performances des derniers avions de chasse d’origine française, européenne, américaine ou russe vont être décrites dans les moindres détails dans les journaux. C’est pourquoi il nous a semblé plus pertinent de proposer aux lecteurs de cette revue une approche du fait aérien qui ne soit pas technologique. Point question de caractéristiques de vitesse, de poussée, de manœuvrabilité, même si ces données sont évidemment essentielles et peuvent faire la différence entre la vie et la mort dans un engagement aérien.
Les différents auteurs qui ont été sollicités ont évoqué d’autres pistes, les thèmes abordés sont variés. Je crois cependant que toutes leurs contributions répondent d’une manière ou d’une autre à la question suivante : à quoi sert une armée de l’air ?
Les réponses varient évidemment selon le sujet traité et l’expérience opérationnelle ou universitaire de chacun. Nous nous félicitons d’ailleurs d’accueillir les écrits de chercheurs civils, preuve que la réflexion sur l’emploi de l’arme aérienne commence à s’étendre à d’autres enceintes que les seuls amphithéâtres du Collège interarmées de défense.
À quoi sert l’Armée de l’air
Alors, à quoi sert l’Armée de l’air ? La réponse semble tellement évidente qu’on ne prend même plus le temps de la développer. Avec le temps, les études sur la guerre aérienne ont volontiers privilégié des thèmes comme l’aventure humaine de pilotes remarquables ou la formidable épopée technologique de l’industrie aéronautique française. Or, résumer par exemple la guerre napoléonienne aux exploits d’un Lasalle ou à la réforme de Gribeauval semblerait un peu court. D’autres domaines doivent être explorés pour en saisir l’originalité et la contribution à l’art de la guerre.
Pour ce qui concerne modestement l’Armée de l’air, il est possible de partir de ce préambule : notre but est d’exploiter la troisième dimension pour soutenir l’action de l’autorité politique, en lui offrant la possibilité de produire une gamme originale d’effets dans un cadre interarmées.
J’ai lancé la rédaction d’un concept qui va bientôt être publié. Il permettra de préciser largement les conséquences d’une telle proposition. Il constituera « le socle d’une culture commune à tous les aviateurs » comme le précise le colonel Étienne-Leccia, mais il informera aussi les personnes intéressées à titre professionnel ou intellectuel sur les qualités et limites de la puissance aérienne. J’espère que ce concept — et que cet article — seront appréciés. Je souhaite encore plus qu’ils soient commentés et critiqués de manière constructive, afin que tous les acteurs concernés par l’emploi de la puissance aérienne convergent vers les mêmes points de vue.
Le dossier
Un des aspects essentiels de l’action est son utilisation politique. M. Étienne de Durand, chercheur à l’Ifri, offre sur ce sujet un article engagé qui remet en perspective un siècle d’utilisation de la puissance aérienne et place ce jeune chercheur prometteur, déjà connu des experts, parmi les tout premiers commentateurs du fait aérien en France.
Définir les ressources qu’offre l’Armée de l’air peut satisfaire le stratégiste. Il n’en est pas de même pour le stratège, qui doit les mettre en œuvre au quotidien dans le contexte actuel. Les trois interventions suivantes précisent justement ce qu’est l’emploi actuel des forces aériennes françaises. Le général Jarry, commandant les Forces aériennes stratégiques (Fas), rappelle la prégnance de la dissuasion nucléaire dans l’Armée de l’air et l’intérêt de disposer d’une composante aéroportée. Le couple avion-bombe atomique continue de symboliser la dimension stratégique de la puissance aérienne.
Le colonel Kerfriden, du Commandement des forces aériennes (CFA) et le colonel Aubigny, du Commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA), nous rappellent fort opportunément la participation de l’Armée de l’air aux opérations extérieures et son implication dans la protection de nos concitoyens. Les interventions des aviateurs avec leurs camarades de l’Armée de terre et de la Marine, en Afrique ou en Asie, dans les opérations ordonnées par les autorités politiques, sont assez connues. En revanche, le grand public est peu sensibilisé sur le fait qu’un nombre important d’hommes et de moyens sont mobilisés quotidiennement pour assurer la souveraineté de l’État dans son espace aérien. J’espère que cette tribune mettra mieux en lumière les qualités d’endurance, de professionnalisme et d’abnégation de tous ces hommes et femmes engagés en métropole ou à travers le monde. La variété de ces missions illustre en tout cas la souplesse d’emploi de l’arme aérienne. L’Armée de l’air joue bien un rôle sur tout le spectre des opérations, depuis l’humanitaire jusqu’au nucléaire. Elle offre un avantage comparatif pour nos armées face à nos adversaires qui ne disposent pas de moyens aussi performants.
Cet avantage comparatif n’est cependant pas acquis dans la durée. Nous pouvons en bénéficier aujourd’hui grâce aux efforts de nos anciens qui ont bâti cet outil si efficace. Il appartient à notre génération de préparer l’Armée de l’air de l’avenir et de réfléchir à ce que pourront être les futures conditions d’emploi ou les meilleures formes d’organisation.
Le colonel Mercier, du bureau Plans de l’état-major de l’Armée de l’air (EMAA), décrit la vision qu’ont les aviateurs du combat du futur. Il résume brillamment en quelques pages ce que notre expérience et notre analyse du monde de demain nous laissent entrevoir de l’avenir de la guerre dans la troisième dimension. Les défis sont nombreux ; mais ils sont à la hauteur de l’ambition de la France dans le domaine militaire.
Le général Chevassu, responsable de la mise en place du plan Air 2010, présente de manière synthétique les choix faits par l’Armée de l’air pour s’adapter à la stratégie de réforme du ministère de la Défense. Notre organisation s’ouvre désormais définitivement aux autres armées et aux autres agences selon une logique d’efficience et de simplification. Les réformes entreprises ont des conséquences sur nos structures mais aussi sur la manière dont nous effectuons certains métiers. Le cas du maintien en condition opérationnelle (MCO) des équipements en est un bon exemple, particulièrement bien expliqué par le général Guignot, du commandement du soutien des forces aériennes. Le Service industriel aéronautique (SIAé), qui sera officiellement créé le 1er janvier 2008, monte en puissance. Il nous est présenté par l’ingénieur général de l’armement Louis-Alain Roche, chef de la mission de modernisation du MCO des matériels aéronautiques (MMAé).
Quatre auteurs venant d’horizons différents nous offrent enfin de libres réflexions sur des aspects particuliers de la puissance aérienne. M. Jean-Jacques Patry d’abord, de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), propose sa grille de lecture personnelle pour ce qui concerne l’utilisation de la puissance aérienne dans les conflits asymétriques.
Tout a été dit dans ce domaine et son contraire. Pour certains, la puissance aérienne n’est d’aucune utilité. Elle serait même contre-productive, comme le prouverait une lecture très partielle du dernier conflit au Liban.
Alors, comment apprécier la coopération entre les forces spéciales et les avions de chasse en Afghanistan ? Comment rendre compte des effets bénéfiques que peut susciter l’utilisation d’avions de transport pour renforcer la présence de l’administration et de la police dans des zones peu aisées d’accès ? Ces conflits sont d’abord politiques et la puissance aérienne ne saurait évidemment être décisive seule ; mais qui peut prétendre résoudre ces conflits en n’actionnant qu’un seul levier ? Il est bien sûr indispensable de privilégier une approche interarmées et interministérielle de ces crises. Quant à la puissance aérienne, il appartient aux aviateurs de réfléchir à son impact sur d’autres champs d’action que le champ physique. Les opérations d’information depuis la troisième dimension peuvent être une piste originale à suivre. Je remercie M. Patry pour sa passionnante contribution à nos réflexions. J’espère, là aussi, que ses écrits ne laisseront pas indifférents.
L’influence de l’approche interarmées ouvre d’autres pistes pour l’avenir. Doit-on, par exemple, imposer à l’Armée de l’air des limites physiques ou géographiques dans le champ de bataille et ne la faire agir que dans une portion donnée de l’espace, alors que des investissements financiers importants lui sont consacrés et qu’elle possède intrinsèquement les moyens d’agir dans la totalité du théâtre ? La réponse est loin d’être évidente mais la question mérite d’être posée. À l’heure où les nouvelles technologies de l’information suscitent de nouvelles procédures, où il est possible d’être plus performants en abattant des barrières désormais datées entre les composantes, il est essentiel de réfléchir à une éventuelle recomposition de la division de l’espace aérien en opérations. En bref, les limites du champ de bataille du XXIe siècle doivent-elles être les mêmes que celles du XXe ? Le général Gelée, commandant le centre d’études stratégiques aérospatiales, pose les premiers jalons pour cette discussion.
L’automatisation des plates-formes est un autre thème de réflexion couvert par l’Armée de l’air dans ce numéro de Défense nationale et sécurité collective. Le commandant Le Saint, du Centre d’études stratégiques aérospatiales, n’a pas hésité à saisir sa plume et à nous fournir quelques éléments pouvant, là encore, enrichir les réflexions et susciter le débat. Je l’en remercie et encourage tous les jeunes officiers à faire de même.
L’arrivée des drones va bien sûr améliorer sensiblement nos capacités dans de nombreux domaines. Des nouveaux modes d’action sont déjà envisageables. La capacité de surveiller en permanence une zone donnée modifie le rapport de force sur le champ de bataille ou même dans les conflits asymétriques, en contraignant la liberté d’action de l’adversaire. Ces robots sont donc attendus avec impatience. Pour autant, il convient de raison garder. L’homme possède toujours des qualités uniques contre lesquelles aucune machine, aussi performante soit-elle, ne peut rivaliser. Mener à bien une mission aérienne est nettement plus complexe que de faire rouler une rame de métro automatisée sur des rails entre deux points définis et toujours fixes. Nous attendons avec impatience les premiers enseignements que nous recueillerons en utilisant de manière intensive des drones pour affiner nos orientations en la matière.
La question de l’avenir de l’espace militaire intéresse aussi l’Armée de l’air. Les aviateurs observent volontiers le haut de l’atmosphère et laissent parfois glisser leurs regards au-delà. Ils souhaitent à ce titre apporter leur contribution à l’essor de l’espace. Le colonel Blin, de l’état-major des armées, fait un excellent point de situation sur l’espace militaire en France aujourd’hui. Il appartient à chacun de s’approprier ces éléments et de s’investir au moins intellectuellement pour que la France demeure une puissance qui compte dans ce domaine.
L’Armée de l’air demain
Chacun pourra constater l’activisme dont l’Armée de l’air fait preuve dans les domaines du concept, de la rénovation de ses capacités et de la refondation de son organisation. Elle est en fait impliquée dans une véritable transformation, à l’image des autres armées de l’air occidentales.
La transformation n’est pas une succession incantatoire de « mesurettes », mais un processus balayant l’ensemble des domaines de notre organisation suivant un principe que nous ne devons jamais oublier et qui a guidé notre engagement : remplir la mission opérationnelle qui nous est confiée.
Outre les domaines cités, il en est un qui retient toute mon attention : c’est la préparation du personnel aux enjeux de demain.
L’impact des nouvelles techniques d’information et de communication ne se limite pas à une redéfinition des frontières artificielles du champ de bataille. Elles imposent aussi de refonder la notion de commandement. Il peut être pertinent de donner plus de responsabilité et d’autonomie à chacun pour qu’il puisse exploiter le mieux possible les ressources et les opportunités du champ de bataille. L’accès à des informations auparavant ignorées, grâce à la mutualisation des données, et une prise en compte des conditions instantanées du combat donnent aux différents acteurs présents sur les lieux de l’action un avantage certain. Bref, nous souhaitons développer le principe de subsidiarité dans nos forces. Le temps où il était indispensable d’attendre les ordres du chef pour agir est derrière nous. Ces directives peuvent arriver trop tard et ralentir sensiblement le tempo de la bataille. En revanche, ordres et comptes rendus demeurent essentiels pour toute décision qui est du ressort du chef ou dont les conséquences doivent lui être connues.
L’entraînement est utile pour se préparer à prendre rapidement les décisions adéquates ; mais les qualités indispensables sont bien mieux appréhendées par l’éducation. L’enjeu n’est pas de former les gens pour qu’ils sachent quoi penser, mais de les amener à savoir comment penser en fonction des conditions toujours particulières d’une situation ou de l’environnement instable dans lequel ils évoluent.
Cette formation doit être continue et ajustée à la place et au rôle que va tenir l’officier ou le sous-officier. Il devra posséder l’ouverture d’esprit indispensable pour s’adapter à ses conditions de travail.
Il ne faut certainement pas tout attendre des individus. Malgré leur foi et leur bonne volonté, ils ne pourront s’opposer aux structures si celles-ci ne sont pas pensées pour entretenir cet état d’esprit, si elles ne les encouragent pas à s’épanouir en prenant des initiatives et en assumant ses choix. La culture de subsidiarité que je prône pourrait être évaluée dans les notations, permettant de promouvoir les individus qui sont les plus enclins à exploiter pleinement l’espace de liberté qui leur est offert dans le cadre des instructions qui leur sont fixées.
Cette introduction nous a quelque peu éloignés du salon du Bourget. Je ne doute cependant pas que les lecteurs profiteront d’autant plus du spectacle aérien offert qu’ils comprendront que derrière les arabesques que dessinent les avions militaires dans le ciel se dessine une Armée de l’air très active qui ne ménage pas sa peine pour préparer l’avenir et gagner les batailles de demain.
Je vous souhaite une bonne lecture de ce dossier. ♦