La présence officielle de l’aumônier au sein des forces armées pose question. Un homme ou une femme, habituellement considéré comme témoin de la paix peut-il avoir sa place au sein d’une institution qualifiée de guerrière ? Oui, dans la mesure ou l’aumônier contribue à faire prendre conscience que si la guerre est parfois nécessaire, voire indispensable, elle retrouve son sens que dans le maintien ou la recherche de la paix et que les militaires peuvent donner à leur action particulière le sens d’un authentique service de l’homme.
De l'utilité d'un aumônier militaire
The utility of a military chaplain
The official presence of the chaplain within the armed forces raises a question: can a man, or woman, traditionally seen as a witness to peace have a place within a warlike institution? The answer is yes, in that the chaplain contributes to awareness that if war is sometimes necessary, even essential, the meaning of it lies in peacemaking and peacekeeping, and that the military can bring to their specific actions the sense of a genuine service to mankind.
Quelle utilité peut avoir la présence d’un aumônier au sein des forces armées ? Aucune ! Du moins en apparence ! En effet, le rôle de l’aumônier n’apparaît pas immédiatement lisible au regard de la mission opérationnelle, concrète, bien identifiée dévolue aux armées. Mieux encore ! La présence de l’aumônier, perçu comme l’homme de la paix, dans un milieu défini comme guerrier, apparaît contradictoire ou du moins assez paradoxale.
Les militaires eux-mêmes d’ailleurs se posent parfois la question de la pertinence de l’aumônier à leurs côtés… en temps de paix mais jamais, en fait, lorsqu’ils se trouvent engagés dans une mission qui les mène à se demander, d’une manière ou d’une autre, quel est le sens de leur action, voire de leur vie. Il est remarquable de noter qu’aux yeux des militaires : « On ne voit pas l’aumônier quand il est là mais on voit quand il n’est pas là ! ». L’utilité de l’aumônier, à l’instar de celle de la gendarmerie ou des armées en général, n’apparaît pas évidente tant que le recours à sa compétence n’est pas perceptible. La problématique ainsi définie revient donc à poser la question de la compétence propre de l’aumônier.
Au service de l’homme
Le pape Paul VI donne, indirectement, la réponse à cette question en affirmant que l’Église est « experte en humanité ». Les chefs militaires ont, aujourd’hui, coutume de dire que l’armée est d’abord une communauté humaine, une communauté d’hommes et de femmes, engagés dans une mission qui exige d’eux l’engagement de toute leur personne jusque, si nécessaire, au sacrifice ultime. Tout ce qui concerne l’homme concerne l’Église, non par souci de récupération ou de prosélytisme déplacé, mais par souci de service pour permettre à chacun de trouver sa place au sein de la famille humaine, y compris au sein du monde militaire. Il ne s’agit pas seulement d’une attention d’ordre philanthropique mettant en valeur la solidarité nécessaire de chacun avec tous et de tous avec chacun mais, bien davantage encore, d’un devoir de charité au sens du témoignage concret, à travers la présence, l’écoute, l’accompagnement au quotidien et la célébration du culte, de l’attention que Dieu Lui-même porte à chacun.
La présence officielle de l’aumônier au sein des armées constitue, en fait, une double reconnaissance. Reconnaissance, de la part de l’Église, que les hommes et les femmes engagés dans le monde militaire sont membres, à part entière, de la famille humaine, fils de Dieu, avec une mission propre, particulière, dont l’exercice, sous certaines conditions, n’est pas incompatible avec l’état de chrétien. Reconnaissance, de la part des autorités de l’État, que l’Église a une compétence propre dans le domaine spirituel et que cette compétence peut être utile à l’homme dont la dimension spirituelle se trouve ainsi elle-même valorisée. L’État et l’Église se trouvent ainsi associés, dans un partenariat légalement précisé, au service de la personne.
Témoin de la transcendance
Le rôle de l’aumônier, s’il peut parfois être comparé à celui d’un psychologue ou d’un homme formé à l’écoute, ne peut aucunement être réduit à cette fonction particulière pour laquelle il n’a d’ailleurs pas toujours la formation spécifique requise. Bien davantage, l’aumônier est le témoin d’une autre dimension, celle de la transcendance que, d’une certaine manière, sa simple présence rend manifeste, accessible. Il est signe d’un ailleurs, d’un au-delà de l’homme qui donne sens à la vie terrestre en situant celle-ci comme une marche vers un monde plus fraternel, déjà en germe mais encore à venir. Cette fraternité n’est pas un rêve, une utopie, mais une réalité à faire advenir au prix de combats très concrets contre certaines forces qui voudraient la nier.
L’aumônier est, à sa mesure et en lien avec l’Église qui l’envoie au sein du monde militaire, signe, d’une part, que la transcendance est déjà présente au cœur même de l’immanence et, d’autre part, que cette transcendance, pour le chrétien, porte un nom précis, celui d’un Dieu Père, attentif à chacun. Une telle approche de l’identité de Dieu permet de définir l’identité de l’homme, de présenter tout membre de l’humanité comme un fils ou une fille de Dieu et la fraternité humaine comme une réalité de fait mais souvent bien peu visible de manière effective. La mission des armées peut alors, elle-même, être présentée comme un service de cette fraternité où l’aumônier a toute sa place.
Combattre dans un esprit de paix
Le premier combat qui doit être mené, pour atteindre cet objectif, n’est donc peut-être pas d’abord la mise en œuvre, si nécessaire soit-elle, de moyens matériels et de techniques mais bien celui de la pacification intérieure de chaque combattant potentiel en lui permettant de situer sa personne, et donc son action, à sa vraie place. Un vrai combattant devrait ainsi, de manière quelque peu paradoxale, pouvoir mener une action de guerre, avec les moyens propres à cette mission particulière, dans un esprit de paix.
En étant serviteur de l’homme au sein des forces armées, l’aumônier correspond donc pleinement à l’image que nous pouvons avoir spontanément de lui, un homme de paix au service de la paix. ♦