La France doit éviter de se démunir de la moindre capacité opérationnelle durant les deux décennies à venir. Pour ce faire elle doit résister à la facilité du recours à une défense européenne en devenir, voire à l’ignorer. Elle doit aussi repousser les effets de mode qui feraient de la segmentation des conflits ou de la lutte contre le terrorisme le seul socle de la constitution de son système militaire.
Les erreurs à ne pas commettre
Errors to avoid
France must avoid any reduction in its operational capabilities in the next two decades. It must therefore resist the temptation to resort to a still evolving European defence system, indeed it must leave that out of the reckoning. Nor must it succumb to the fashionable view that the segmentation of conflicts or the fight against terrorism can form the only basis for determining the make-up of its defence forces.
Le conflit violent est plus que jamais à l’ordre du jour. Il est annoncé ou amorcé par des crises diverses qui ne sont que des formes secondaires de véritables guerres, au même titre que le terrorisme. La France n’est pas à l’abri des menaces qui pèsent de plus en plus sur le monde. Sa vigilance et sa capacité de réaction doivent être à la hauteur pour garantir sa survie. Puisque les intérêts vitaux ou majeurs de la France sont en jeu, il importe de disposer d’un outil militaire adapté. Dans la définition de notre défense nationale pour les quinze ou vingt années à venir, il semble intéressant de déterminer les écueils à éviter ou les impossibilités notoires. Sans être exhaustif, on peut retenir la solution utopique et la solution spécialisée.
La solution utopique
La première des erreurs consiste à se persuader, avant l’horizon considéré, que l’objectif est atteint. Une communauté de défense parfaite où chaque État se spécialise dans une fonction ou un domaine particulier : « tous pour un, un pour tous ». Mais que faire si l’on se retrouve un tout seul ? Il est vrai qu’à partir du moment où les contraintes budgétaires de la France pèsent sur l’entretien d’une polyvalence opérationnelle couvrant la totalité du spectre des opérations militaires, il pourrait être tentant d’abandonner un ou plusieurs pans capacitaires au profit d’une défense européenne mutualisée, voire d’une armée européenne intégrée. Ce temps-là n’est pas encore venu. C’est un but très lointain et qui frise l’utopie. On voit bien dans l’état actuel de l’Europe politique qu’il n’est pas raisonnable d’attendre des dividendes de cette voie avant une vingtaine d’années. En effet, la mutualisation des forces, ou, a fortiori, la réalisation d’une armée européenne, ne peut se concevoir que dans le cadre d’une défense intégrée. Cela suppose un système politique de type fédéral. En revanche, la politique commune déjà bien avancée en matière d’industrie de défense et de « relations » de commandement doit être, non seulement poursuivie, mais renforcée.
La solution « spécialisée »
La solution spécialisée regroupe des erreurs qui consistent à diviser ou à segmenter les conflits et crises.
On peut ainsi distinguer : la formule du « tout technologique ». (elle rassemble dans une même volonté simplificatrice des lobbies industriels et des sociétés occidentales peu disposées à sacrifier leur capital humain) ; la formule du « tout gestion de crise » (très limitée, elle exclut, par définition, toute montée aux extrêmes. On peut, par conséquent, craindre que les contraintes budgétaires ne conduisent à la privilégier) ; la formule du « tout humanitaire » (elle vise à tenter de régler les crises et conflits à partir des seuls dispositifs humanitaires, en acceptant de retarder, jusqu’au pourrissement de situation et au-delà de son seuil d’efficacité, l’engagement armé) ; la formule de « la lutte contre le terrorisme avant tout » (elle reflète, fidèlement, le modèle imposé, aujourd’hui, par les États-Unis à la pensée et à l’action de leurs alliés. Elle devrait être appréciée avec plus de discernement par les nombreux thuriféraires de la politique américaine auxquels elle sert de béquille conceptuelle. Elle peut, en effet, conduire la France à s’engager dans des conflits armés qui ne concernent pas, même indirectement, ses intérêts majeurs).
La France doit, à tout prix, éviter de se démunir de la moindre capacité opérationnelle durant les deux décennies à venir. Elle ne doit surtout pas anticiper une réduction de ses capacités à partir de l’illusion de défense européenne. C’est en restant forte, qu’elle pourra le mieux poursuivre sa contribution dans la montée en puissance d’une défense européenne et rester crédible auprès de l’Alliance atlantique. ♦