Les récentes publications de tribunes attribuées à des militaires ou anciens militaires ont suscité de vives polémiques. Au-delà du questionnement soulevé par ces textes, il est important de réfléchir sur le droit d’expression, le devoir de réserve et la responsabilité intrinsèque du militaire dans la Nation. D’où la publication simultanée de trois réflexions proposant une approche croisée autour de ce thème, rédigées par trois officiers recouvrant le stratégiste, le chef opérationnel et l’historien militaire. Réflexions essentielles à l’heure où le débat politique s’intensifie alors que la France rentre dans une année de campagne électorale.
Foch à la rescousse : discipline et initiative, la vraie loyauté (T 1281)
© Malaury Buis, Armée de l’air
The recent publications of forums attributed to soldiers or former soldiers have sparked heated controversy. Beyond the questions raised by these texts, it is important to reflect on the right of expression, the duty of reserve and the intrinsic responsibility of the soldier in the Nation. Hence the simultaneous publication of three reflections offering a cross-approach around this theme, written by three officers covering the strategist, the operational chief, and the military historian. Essential reflections at a time when the political debate intensifies as France enters a year of electoral campaign.
Note préliminaire : reprise actualisée d’une plus large réflexion intitulée « Sur la trace des maîtres : le sentier stratégique des chercheurs militaires », Hors-Série Irsem-RDN « La pensée stratégique : une vocation pour l’École militaire », juillet 2009, p. 58-73 (https://fr.calameo.com/).
L’actuelle controverse sur les « Tribunes militaires » qui agite le monde des armées est inutile et doit s’apaiser. Elle ne sert pas la sécurité du pays et la sérénité des armées. Elle rappelle les vents mauvais d’épisodes anciens. Mais aussi le fait que de tout temps l’expression militaire publique a été embarrassée car elle est tiraillée entre l’exigence de discipline générale que requiert l’action militaire et qui fait la force des armées, et le partage ouvert d’une capacité experte d’analyse des questions de sécurité et de défense que les militaires mettent au service de la nation. Un code de bonne conduite et de loyauté suffit en général avec trois repères de bon sens : ne pas trahir de secrets de défense nationale, ne pas prononcer d’attaque ad hominem d’un militaire dans l’exercice de ses responsabilités, ne pas engager la crédibilité de l’autorité supérieure en restant à son niveau de compétence et d’appréciation. Tout cela vaut surtout pour les temps ordinaires et il en résulte en général une forme d’autocensure à laquelle le pays et la hiérarchie se sont accoutumés. Mais quand l’inquiétude gagne, notamment les retraités militaires immergés dans le quotidien de leurs compatriotes, ces repères habituels sont insuffisants sans qu’il soit besoin d’y détecter une manipulation sournoise, surtout quand le débat public sur l’insécurité est entretenu par l’actualité et le travail législatif en cours. L’engagement intellectuel des officiers est, en effet, une tradition bien française car dans notre pays la pensée et l’action vont de pair comme l’exposaient Foch et après lui le philosophe Jean Guitton qui fut professeur à l’École de guerre ou les généraux Gallois, Ailleret, Beaufre qui, entre autres, animèrent la pensée stratégique pendant la guerre froide. C’était pour eux d’abord une exigence de loyauté, ne jamais cacher sa pensée quand il faut la dire, quoiqu’il en doive coûter.
L’engagement intellectuel au service de l’action
Écoutons le maître, Ferdinand Foch, non pas Foch le généralissime, le « SACEUR (1) » de 1918, mais Foch le lieutenant-colonel de 1900, analyste et professeur à l’École de Guerre. Il y a forgé ses convictions stratégiques au contact des leçons opérationnelles souvent glorieuses mais cruelles des combats du XIXe siècle. Il y a affermi un caractère déjà trempé et s’y est préparé à l’action stratégique totale. Il a perçu que la lutte pour la liberté d’action est le cœur de la stratégie quand la gestion des efforts en constitue les poumons, la respiration.
Il reste 75 % de l'article à lire