Dans sa « Chronique militaire de la chute du Mur », le général Roudeillac, alors attaché de Défense à Bonn, s’inscrit dans la longue tradition, aujourd’hui un peu désertée, du témoignage rédigé par nombre d’officiers une fois quitté le service. Il s’est livré à cet exercice bienvenu car, à sa connaissance, « il n’y a pas d’ouvrages en langue française, axés sur les aspects strictement militaires de ce qui est alors intervenu en Allemagne lors de la chute du mur de Berlin ».
Après un rappel du rôle de l’attaché de Défense dans nos ambassades, l’auteur décrit avec précision les événements qu’il a vécus durant les trois années qui virent basculer le destin de l’Allemagne et donc celui de la Bundeswehr.
À la fin de l’été 1989, tout comme les autorités militaires allemandes, le poste de l’attaché est plus préoccupé par la gestion quotidienne que par d’éventuels bouleversements, que d’ailleurs personne ne voit venir. Sur le territoire de la RFA et de la RDA stationnent, dans le cadre de l’Otan et du Pacte de Varsovie plus d’un million et demi de soldats fortement équipés et dotés d’armes nucléaires. À elle seule la Bundeswehr compte 495 000 hommes et 186 000 civils. Les forces françaises, quant à elles, en réserve de théâtre avec 51 000 hommes, ne sont pas assignées à l’Otan.
9 novembre 1989 : chute du mur de Berlin. Le 29, le plan Kohl en 10 points précise que l’unité étatique de l’Allemagne reste l’objectif politique du gouvernement fédéral. Il permet aux partis de la coalition de se mettre en ordre de bataille pour s’exprimer à l’Est. Les onze mois qui courent jusqu’au 3 octobre 1990 sont très efficacement mis à profit, plus pour dissoudre qu’amalgamer les forces de la RDA (NVA) alors qu’au même moment se préparent des accords sur le désarmement. L’Allemagne, dont les armées sont à réinventer après la chute du Mur, doit aussi en finir avec l’essentiel du stationnement des forces armées alliées et de l’URSS sur son sol désormais réunifié.
Pour leur part les forces soviétiques ont vécu leur retrait des garnisons allemandes comme une humiliation, tout en relevant remarquablement le challenge très largement rétribué par la RFA, on parle de 13,5 milliards de deutschemarks. Le premier conflit du Golfe provoque alors un débat passionné sur le rôle futur de l’Allemagne dans le monde à la lumière des problèmes posés par sa faible implication militaire et les verrous constitutionnels et politiques qui l’empêchent d’entrer rapidement dans ce qui devraient être ses nouvelles missions
Tout arrive en même temps. La gestion du repli des forces soviétiques, l’absorption de l’ex-NVA, le soutien financier des opérations hors zone Otan, notamment dans le Golfe, l’attrition du budget et la préparation du nouvel outil militaire d’une Allemagne souveraine qui doit se préparer à devoir intervenir hors zone Otan. Les nouvelles menaces aussi, auxquelles s’ajoute le dossier sensible du nucléaire, dont l’armement français toujours difficilement admis par Bonn aussi longtemps que Paris refusera de reconnaître le rôle politique de l’Otan. Les directives du ministre de la Défense à l’usage de la Bundeswehr, dites « directives Rühe », se traduisent en organisation par une mise sur pied classique de forces de défense principale et surtout de forces de réaction aux crises qui deviennent prioritaires en planification. Elles invitent les cadres et les soldats à se faire à l’idée que le métier des armes sous-entend le danger, la violence maîtrisée et l’idée que la guerre fait partie de la norme. Les forces allemandes doivent donc se préparer à des missions nouvelles, hors des zones habituelles, de l’Alliance dont il reste à savoir si le rétablissement de la paix par la force sera leur lot. Elles doivent coopérer dans l’idée d’une Europe capable de se défendre sans renier le lien transatlantique.
Le retrait d’Allemagne de nos forces stationnées changera la nature de la coopération entre les deux armées qui s’accommodait, avant la chute du mur, de beaucoup d’incantations et d’une certaine routine. Deux spécificités agacent toujours outre-rhin : le fait que la France reste une puissance nucléaire et qu’elle conserve des vues sur l’outre-mer. Aussi, à l’heure de son départ notre auteur s’interrogeait-il sur la pérennité de la coopération militaire entre nos deux pays.
Document témoignage, le livre du général Roudeillac, qui contient une grande quantité de détails précis, constitue d’emblée un excellent outil de référence pour tous ceux qui s'ntéressent à cette période clé de l’histoire allemande et de ses forces armées.