Ces dernières années, les livres portant sur le califat, sur Daech, la Syrie ou l’Irak, comme sur l’islam ont à nouveau proliféré, suite aux vagues éditoriales qui avaient déferlé après la victoire de la « révolution islamique » à Téhéran en février 1979, au djihad afghan ou aux attentats du 11 septembre. Journaliste à Alternatives économiques, Yann Mens ne prétend nullement traiter les choses en profondeur ; il faudrait pour cela des dizaines de volumes !
Son propos est avant tout pédagogique et introductif. Parmi la centaine de questions que l’on peut se poser sur le monde musulman il n’a pu en sélectionner que trente, dont chacune est traitée en 5-6 pages. Son intérêt se concentre sur l’aire du Grand Moyen-Orient et sur la Bande sahélo-sahélienne, deux zones d’un intérêt vital pour l’Europe. On ne trouvera rien, cela va de soi, dans le cadre d’un livre aux dimensions réduites sur le mouvement islamiste philippin ou sur les mouvements indonésiens (cf. attentats de Bali de 2002) et aucune mention des mouvements en Thaïlande ou aux zones tribales de la North West Frontier du Pakistan, foyer traditionnel des taliban qui ont essaimé en Afghanistan, question qu’il aborde.
On trouvera de brefs aperçus des principales questions que l’on se pose. Qu’est-ce qu’être musulman, où se situe le monde musulman ? L’islam est-il compatible avec la démocratie ? Qui sont les Frères musulmans ? L’islam est-il l’ennemi des femmes ?
L’ouvrage passe en revue, de manière précise les principales crises (Syrie, Irak, Liban, Libye, Tunisie, Afghanistan, Sahel), ainsi que les rivalités géopolitiques qui se déploient dans la zone musulmane, Iran, Turquie. Une trentaine de pages sont consacrées à la situation en France, partie particulièrement soignée. Si la France est ainsi particulièrement visée c’est en raison des circonstances historiques (Croisades, expédition en Égypte, passé colonial, guerre d’Algérie) de son engagement dans les affaires du Proche-Orient, de sa laïcité, concept si éloigné du salafisme et bien entendu le fait qu’elle a sur son territoire la première communauté musulmane d’Europe, évaluée selon les différentes sources entre 4,5 et 5,5 millions de personnes, voire 6 millions pour les estimations les plus extrêmes.
Mais il appartiendra au lecteur d’aller plus loin en prenant ce livre comme base de réflexion. Les choses ne sont pas toujours faciles à identifier. Prenons l’exemple de la composition ethnique de la Syrie qu’il indique : musulmans sunnites, environ 72 %, alaouites 10 %, Kurdes 8 %, chrétiens 5 %, Druzes, 2 %. Il s’agit d’évaluations d’avant la guerre civile, elles-mêmes parfois sujettes à caution. Quel fut le pourcentage des Alaouites, au pouvoir depuis Hafez al-Assad, 11,12 % ? Mais qu’en est-il aujourd’hui, compte tenu de près de 5 millions de migrants syriens qui ont fui leur pays et dont une bonne partie n’y reviendra pas. Bien entendu on ne pourra savoir la composition ethnique de la Syrie, qu’à l’issue du conflit. Mais on peut d’ores et déjà parier que certains pourcentages ont déjà été modifiés, celui des chrétiens, des sunnites, car a priori, les Alaouites ont été moins nombreux à avoir pris le chemin du départ.
Yann Mens analyse bien le dilemme des Occidentaux vis-à-vis du monde islamique qu’ils ont fortement déstabilisé au cours des siècles. Nous aurions aimé cependant qu’il alla un peu plus loin dans ses descriptions. Ainsi en est-il du terme si utilisé et souvent mal interprété de jihad, dont il présente bien les deux sens, celui d’effort que le croyant doit faire sur lui-même pour se conformer aux enseignements sur lui-même et celui de combat armé dans certaines circonstances, défense ou islamisation de nouveaux territoires. Sans introduire la notion d’ijtihâd, qui désigne l’effort de réflexion que les oulémas ou muftis et les juristes musulmans entreprennent pour interpréter les textes fondateurs de l’islam et en déduire le droit musulman ou pour informer le musulman de la nature d’une action (licite, illicite, réprouvée…), il aurait pu s’en tenir aux premières lignes qu’en livre Wikipédia : Le jihad ou djihad, également écrit jihâd ou djihâd est un devoir religieux pour les musulmans. En arabe, ce terme signifie « abnégation », « effort », « lutte » ou « résistance », voire « guerre sainte ». Le mot jihâd est employé à plusieurs reprises dans le Coran, souvent dans l’expression idiomatique « al-gihad bi amwalikum wa anfusikum » qui peut se traduire par « lutter avec vos biens et vos âmes ». Ainsi, le jihad est souvent défini par l’expression « faites un effort dans le chemin de Dieu ». Signalons ici que nos meilleurs dictionnaires (Le Robert, Littré) sont peu diserts, situant l’apparition de ce mot dans la langue française dans les années 1870 (est-ce lié à la révolte en Kabylie ?) et fixant à 1983 la date à laquelle il se répandit, ce qui paraît fort tard, le djihad afghan ayant déjà largement capté les médias, sans même parler du djihad palestinien apparu au milieu des années 1960 ! C’est la preuve en tout cas que la connaissance et la compréhension des concepts, et des étapes du développement de la pensée politique, sinon spirituelle musulmane doivent réaliser bien des progrès. Yann Mens y aura contribué à sa mesure.