Le Second Empire n’a pas bonne presse. Commencé par un coup d’État, et terminé par un désastre militaire sans précédent, il est resté marqué par son caractère autoritaire, ses combinaisons personnelles et financières. À Bordeaux, Napoléon avait dit « l’Empire c’est la paix, mais outre Sedan, ce furent les expéditions militaires en Italie, et au Mexique. Mais fut-il sinistre, comme l’a jugé en 1985, l’écrivain communiste André Stil dans sa préface à L’Insurgé de Jules Vallès ? Si on ne veut pas, mettre en avant, écrit Gérard Unger, la musique d’Offenbach, les tableaux de Manet, ou les sculptures de Carpeaux, on peut rappeler le droit de grève, la transformation et l’embellissement de Paris, le développement du chemin de fer. On peut y ajouter la politique arabe de l’empereur, le percement du canal de Suez et tous les efforts déployés, pour sortir la France de son repli sur soi, de ses archaïsmes, notamment en concluant un traité de libre-échange avec la Grande-Bretagne. C’est surtout la politique extérieure du Second Empire à laquelle l’auteur consacre un tiers de son livre, qui nous retiendra. On peut schématiquement la découper en trois périodes.
La première de 1852 à 1860, marquée par la guerre de Crimée (1853-1856), et la guerre contre l’Autriche, en 1859 est qualifiée de brillante. À l’issue de la guerre de Crimée au cours de laquelle la France a supporté plus de pertes (105 000 morts français dont 85 000 par maladie) que la Grande-Bretagne (22 000 pertes), Napoléon III accueille l’Europe au Congrès de Paris, qui devait à ses yeux effacer celui de Vienne. L’empereur veut l’organiser, fidèle aux principes des nationalités pour lesquels il a lutté dans sa jeunesse en faisant triompher partout le droit, la justice et le règlement des conflits, non plus par la force, mais par la réunion. Les conditions de la paix, les « Quatre Points » de Napoléon III avaient déjà été acceptées par Alexandre II qui avait succédé à Nicolas Ier le 3 mars 1855. Le tsar renonça d’abord à son protectorat sur les principautés danubiennes (roumano-moldaves), remplacé par une garantie collective des grandes puissances. Il n’opposa ensuite aucun obstacle à la libre navigation sur le Danube, sur toute la longueur de son cours et à son embouchure. Il accepta la neutralisation de la mer Noire, c’est-à-dire n’y maintenir que quelques bâtiments et ne plus posséder sur ses rives d’arsenal maritime susceptible d’en construire d’autres. Cinq grandes puissances participèrent au Congrès de Paris (France, Grande-Bretagne, Russie, Empire ottoman, Empire autrichien). La Prusse, considérée comme la plus petite des grandes puissances, ne s’y est jointe qu’à titre subsidiaire. Le Congrès de Paris consacra le retour de la France dans les affaires européennes mais ne résolut pas la question d’Orient à l’origine du conflit. Seul un État roumain uni et indépendant naîtra du Congrès. De la Pologne on ne parla point. De la Grèce les délégués ne furent pas reçus alors que leurs pavillons étaient les premiers de ceux qui flottaient sur le Danube. La guerre menée ensuite contre l’Autriche en 1859 se termina par la paix de Zurich des 10 et 11 novembre 1859. Les Autrichiens cédèrent la Lombardie à la France qui la rétrocède au Piémont. Napoléon III obtient en récompense Nice et la Savoie. Ces acquisitions avec plus tard l’expédition du Mexique (1862-1867) suscita la méfiance des dirigeants anglais, du roi des Belges, du ministre prussien des Affaires étrangères, qui craignirent que la France ne recommençât sa politique de conquête en Europe.
La deuxième période plus courte, de 1860 à 1866 est marquée par quelques réussites et des désillusions. Napoléon III ne se limite plus cette fois-ci à la seule Europe. La France participe à des expéditions en Chine, en 1858-1860 dans le cadre de la seconde guerre de l’opium, s’établissant en Annam – le Vietnam actuel – et au Cambodge. Elle étend sa présence dans les océans Indien et Pacifique et en Afrique. Surtout Napoléon III avait une vision de la situation algérienne et de ses composantes humaines, et sa vision du royaume arabe revêtait des aspects très novateurs. Hélas, il y eut la folle aventure mexicaine où certes les pertes humaines furent réduites (6 500 hommes, dont les deux tiers morts de maladie), mais le coût financier, 340 millions de francs en fut élevé.
C’est à partir de 1866, que débute la troisième période, l’empereur déjà malade, perd peu à peu pied. Napoléon III avait rendu à la France une prépondérance perdue sur le continent en 1814 qu’il exerça de 1856 à 1866. Depuis Sadowa, elle était contestée par la Prusse. La déclaration de guerre à la Prusse devait être « le grand acte » par lequel l’Empire régénéré par le « Sadowa français », pensait reconquérir à l’extérieur une primauté perdue. La conséquence immédiate de la guerre de 1870 fut l’avènement de l’Empire allemand. Le roi de Prusse fut proclamé empereur, le 18 janvier 1871, dans la Galerie des Glaces à Versailles. Quelle image a laissé finalement Napoléon III et le Second Empire à la postérité ? La balance des forces en Europe en fut modifiée pour trois quarts de siècle, ce n’est pas pour rien que Benjamin Disraeli jugea que la victoire de la Prusse représentait un événement plus important encore que la Révolution française.
Si la plupart des historiens se sont montrés plutôt positifs, en revanche au sein de l’opinion règne encore l’image de Victor Hugo : « Napoléon le Petit ». Gérard Unger s’inscrit en faux contre cette « légende », qualifiant Napoléon III, de « chef d’État, le plus modernisateur, le plus social, et le plus ouvert au monde ». C’est sous l’Empire que les Français, en attendant les Françaises, ont appris le suffrage universel et la démocratie.