L’exécution du tsar Nicolas II et de la famille impériale russe dans le sous-sol de la maison Ipatiev à Ekaterinbourg, dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918, a fait couler beaucoup d’encre. Elle q suscité de nombreuses légendes, notamment sur la survie de certaines des grandes-duchesses (dont, la plus célèbre, Anastasia).
On a longtemps ignoré que les principaux exécutants du massacre en avaient longuement relaté tous les détails, et ce le plus officiellement du monde, mais que leurs témoignages avaient été gardés secrets jusqu’à la fin de l’Union soviétique. En outre, lorsque les armées blanches avaient repris temporairement Ekaterinbourg quelques jours après l’exécution, une enquête sur la disparition des Romanov avait été confiée à un juge d’instruction, Nikolaï Sokolov. Une copie des procès-verbaux d’interrogatoire constituant son enquête était conservée aux États-Unis dans un monastère orthodoxe. L’historien Nicolas Ross a eu accès à ces documents, auxquels il a ajouté les témoignages des participants à l’exécution, rendus publics à l’ouverture des archives de l’URSS, afin de constituer le présent dossier.
Le recoupement de ces sources nous permet de nous faire une idée relativement objective de ces événements tragiques, de leur motivation ainsi que du processus de prise de décision.
La famille impériale est d’abord exilée à Tobolsk, en Sibérie occidentale, en août 1917, où elle bénéficie d’une relative liberté, du moins jusqu’à l’arrivée au pouvoir des bolcheviks. Elle est ensuite transférée à Ekaterinbourg, dans l’Oural, en avril 1918. Cette ville industrielle (donc à forte population ouvrière) est jugée plus sûre, notamment parce que située plus loin des armées blanches alors en cours de constitution.
Nicolas II et les siens sont logés dans la bientôt tristement célèbre maison Ipatiev, « maison à destination spéciale » dans la novlangue bolchévique, dont la garde est confiée à des ouvriers de la région, eux-mêmes dirigés par un alcoolique, Alexandre Avdeïev. Cette première période connaît de nombreux abus de la part de la soldatesque (vols de vêtements et de nourriture, insultes, etc.), ce qui conduit, dans les premiers jours de juillet, au remplacement d’Avdeïev par un apparatchik, Iakov Iourovski, membre de la Tchéka (police politique) régionale. Celui-ci en profite pour renouveler la composition de la garde. Les nouveaux membres seront plus tard considérés comme des « Lettons » ; en réalité, un seul d’entre eux est de cette nationalité.
La décision d’exécution est prise localement par une résolution du comité exécutif du soviet régional de l’Oural, qui siège à Ekaterinbourg. Après consultation, Iakov Sverdlov, président du Comité exécutif central (le chef de l’État), donne son accord. Si Trotski veut un procès public, Lénine est plutôt opportuniste et approuve l’exécution après coup. En somme, résume Nicolas Ross, « si le tsar a survécu jusqu’au 16 juillet 1918, c’est parce que Lénine l’a voulu. S’il est mort dans la nuit du 16 au 17 juillet, c’est parce que son sort était devenu indifférent à Lénine, qui ne s’est plus opposé aux intentions sanguinaires des bolcheviks de l’Oural. Lénine et Sverdlov sont coupables du meurtre des Romanov non parce qu’ils l’ont explicitement ordonné, mais parce qu’ils ont volontiers accepté que d’autres s’en chargent à leur place. »
Les motivations de cette décision sont multiples : empêcher que la famille impériale ne soit libérée par les troupes des armées blanches qui progressent vers Ekaterinbourg ; surtout, répondre aux exigences du milieu ouvrier local qui ne cesse de critiquer la mansuétude dont ferait l’objet le tsar. « C’était une décision non seulement appropriée, mais même indispensable, avouera Trotski. Les masses ouvrières et paysannes [...] n’auraient ni compris ni accepté une autre solution. ». Et ceci dans un contexte où il était urgent de remobiliser ces masses face aux progrès de l’adversaire.
Chaque participant au massacre livrera sa propre version des faits. Recoupant ces différentes versions, Ross conclut que « les détenus de la maison Ipatiev ont sans doute été abattus par le tir de 11 hommes (c’est le chiffre le plus probable) disposant de 12 revolvers Nagant, d’un revolver Colt de grand calibre et de deux pistolets de calibre moyen : un Mauser et un Browning. » Les survivants, dont Demidova, la femme de chambre de la tsarine, sont achevés à la baïonnette. Les soldats dépouillent ensuite les cadavres, même si, aux dires de leurs chefs, ils doivent ensuite restituer ce qu’ils ont dérobé.
L’exécution des Romanov est donc sauvage et chaotique ; l’enterrement des corps est à l’avenant. On commence par les enfouir dans un puits de mine. Quelques heures plus tard, ils sont retirés, brûlés, et défigurés à l’acide sulfurique. On les enterre finalement quelques kilomètres plus loin sous un chemin de terre menant au village de Koptiaki, au lieu-dit Le vallon du Porcelet. Lors de leur exhumation en 1991, on relèvera même des tentatives de dépeçage.
Cette décision de détruire les corps a été prise, selon Pavel Bykov, l’ancien président du soviet d’Ekaterinbourg, « afin de ne pas laisser aux mains des contre-révolutionnaires des "reliques" qui pouvaient leur permettre de jouer sur les sentiments des masses populaires ignorantes et incultes. »
Le lendemain de l’assassinat, la presse locale mentionne uniquement l’exécution de Nicolas II en laissant entendre, à dessein, que la famille impériale a été épargnée, ce qui constitue le point de départ de la légende de la survie des grandes-duchesses.
En 1998, les restes de la famille impériale sont enterrés religieusement dans la cathédrale Pierre-et-Paul, à Saint-Pétersbourg. Néanmoins, l’Église orthodoxe ne s’est toujours pas prononcée officiellement sur leur authenticité à la date d’aujourd’hui.
Tous les autres Romanov qui n’ont pas réussi à quitter l’URSS ont été sommairement exécutés, notamment à Perm et à Alapaïevsk, en juin et juillet 1918.
La maison Ipatiev a été rasée par Boris Eltsine (alors secrétaire local du parti) en 1977, sur ordre du patron du KGB Iouri Andropov, afin d’éviter qu’elle ne devienne un lieu de pèlerinage. À son emplacement se trouve aujourd’hui une église.