En 2023, un an après les dernières élections présidentielles, nous sommes désormais entrés dans « la France d’après ». Une France qui a, selon Jérôme Fourquet, définitivement tourné la page des anciens clivages politiques pour pénétrer dans une ère où trois blocs, telles les îles d’un archipel, ont remplacé les anciennes matrices du paysage politique français. Pour l’analyste politique, ces « trois France » correspondent schématiquement à un bloc structuré autour du vote Rassemblement national (RN), un bloc central qui agrège les électeurs de la majorité présidentielle, et un bloc agrégeant les électeurs de La France insoumise (LFI) et de ses alliés. Constat politique banal ? Oui en apparence, mais le grand mérite de Jérôme Fourquet est ici d’emmener le lecteur dans une passionnante analyse des mutations socio-économiques de notre pays qui ont présidé au changement de logiciel politique de cette France de 2023 qui n’a plus grand-chose à voir avec celle des années 2000.
Après un premier tableau de la société hexagonale dans l’Archipel français (2019), l’expert en géographie électorale va encore plus loin en approfondissant et en actualisant ses constats à la lumière, notamment, de l’élection présidentielle de 2022. Jérôme Fourquet propose d’abord une approche sectorielle par régions, en décortiquant, de l’Alsace à la Corse en passant par la Mayenne et la Seine-Saint-Denis, les mécanismes ayant conduit à la disparition de plusieurs fiefs politiques et au chant du cygne de certains clivages historiques devenus désormais secondaires. L’auteur ouvre ensuite une vaste fresque du nouveau cadastre électoral français, en montrant, par le jeu des cartes et des chiffres, comment les caractéristiques socio-économiques des territoires conditionnent la physionomie du vote de leurs habitants : montée du RN dans les marges franciliennes et dans la vallée du Rhône, montée du vote écologiste dans les villes où le TGV a favorisé la « boboïsation », vote macroniste sur la dorsale de l’Ouest intérieur… rien n’est le fruit du hasard. Dynamisme économique, insécurité, densité des catégories socio-professionnelles supérieures (CSP+), tourisme, dépendance à la voiture, présence des services publics, facteur religieux, immigration… autant de facteurs que La France d’après met en perspectives sur le temps long, pour montrer leur influence relative dans les choix électoraux de nos compatriotes.
Sous la plume de l’auteur, le lecteur voit ainsi se dessiner plusieurs France : la France « triple A », la France « des tempêtes », la France « abritée », la France « moche », la France « périphérique », etc. Autant de clés de lecture qui montrent leur pertinence lorsque Jérôme Fourquet se livre à des focus thématiques sur la physionomie électorale de « mondes » très divers : le monde viticole, le monde des centrales nucléaires, le monde des éoliennes, le monde des gendarmes et des casernes militaires (un chapitre leur est consacré), ou encore le monde animaliste. À chaque fois, apparaît sous nos yeux des corrélations fascinantes entre les choix politiques et l’univers matériel dans lequel évoluent les Français.
Enfin, l’auteur s’attache, dans la dernière partie de cet essai percutant, à explorer les résultats de l’élection présidentielle de 2022, en analysant au premier chef les déterminants du vote RN. Là encore, le clivage entre les électorats des deux finalistes est magistralement analysé. Retraités versus actifs, CSP+ versus ouvriers et employés, dirigeants versus exécutants, diplômés versus moins diplômés, territoires « désirables » versus territoires « délaissés »… Tous ces contrastes restituent leur impact au gré des cartes et des tableaux d’analyse. Last but not least, Jérôme Fourquet offre une réflexion poussée sur les conséquences électorales des grandes tendances qui traversent notre société : sacralisation du moi, « décivilisation », tensions croissantes dans les rapports humains, etc.
À l’heure des réflexions sur la cohésion nationale et sur les forces morales de la société, le lecteur de la RDN en général et le militaire en particulier puiseront dans La France d’après l’indispensable connaissance des lignes de fractures qui traversent notre nation. Cette nation au service de laquelle œuvre « l’armée de la République » et dans laquelle ces mêmes armées recrutent chaque année plusieurs dizaines de milliers de jeunes Français. Tout en respectant la neutralité politique inhérente à son statut, le responsable militaire doit plus que jamais comprendre le cadre politique dans lequel il inscrit son action, non seulement en opérations extérieures, mais également sur le territoire national : ce dernier essai du directeur du département « Opinion » à l’Ifop l’y aidera. ♦