L’armement : vaste sujet, aussi vieux que la guerre elle-même. Le traiter en moins de 200 pages pourrait relever de la gageure, mais Léo Péria-Peigné réalise habilement l’exercice en nous offrant un tour d’horizon exhaustif et concis de l’armement mondial comme objet géopolitique, « instrument et reflet des relations internationales ».
Le chercheur de l’Institut français des relations internationales (Ifri) commence par montrer ce que l’armement dit de la politique et de la vision du monde de son producteur comme de son possesseur. En s’élevant au-delà de la « nature morte » des arsenaux guerriers, l’auteur s’attache à analyser les fins, c’est-à-dire les politiques de défense dont les armements sont la manifestation. Il développe notamment une lecture de la place de l’export, vu du producteur et du consommateur, dans ses aspects industriel, politique et économique. Dans le grand marché des armes, chaque acteur se présente avec ses forces, ses faiblesses et ses besoins, et l’on voit se déployer au fil des pages les stratégies des États, à cheval entre compromis et opportunités.
L’essai propose en outre une fresque des équilibres au royaume de l’armement, l’auteur passant en revue les principaux acteurs mondiaux. Washington vient au premier rang, l’armement y étant vu comme un facteur d’hégémonie et un instrument aussi diplomatique que militaire. Moscou se caractérise par l’échec de sa montée en gamme après la guerre froide, se voyant dépassé par ses anciens clients et bridé par une capacité d’innovation limitée. Pékin a su se moderniser et gagner en autonomie, avec une forte dualité civilo-militaire de son industrie de l’armement, mais n’a pas de débouchés solides à l’export et souffre encore d’une image de manque de qualité. L’Europe, de son côté, est dans une forme d’impasse, coincée depuis la fin de la guerre froide entre réduction de son format militaire et augmentation de coûts des armements. Son tissu industriel de défense reste solide mais éparpillé, et la coopération européenne s’impose comme une nécessité qui peine à se concrétiser de manière organisée. Le Japon, malgré un fort potentiel industriel, reste tiraillé entre l’enjeu de faire face à la Chine, le poids de son histoire et son lien fort avec les États-Unis. L’Inde, en recherche d’autonomie et de multi-alignement, utilise encore largement à son profit le besoin d’export des autres nations. Enfin, pour les puissances émergentes dans le domaine de l’armement (Turquie, Corée du Sud, Israël), ce dernier est vu comme un levier d’affirmation sur la scène mondiale, avec un effet démultiplicateur sur leur poids politique et diplomatique. Le lecteur tirera de ce tour d’horizon une excellente synthèse à laquelle il pourra facilement revenir (notamment la liste des principaux industriels de l’armement de chaque pays) après avoir refermé l’ouvrage.
Les chapitres se soldent par un regard sur les inflexions prévisibles sous l’effet de l’évolution technologique galopante des armements, mais aussi sous l’effet du renouveau de la compétition ouvert par la guerre en Ukraine, qui a amplement rebattu les cartes de la géopolitique de l’armement.
Ni atlas, ni note de synthèse, Géopolitique de l’armement est un essai bienvenu pour qui veut aborder par le haut le sujet complexe de l’armement à l’échelle mondiale.♦