Problématiques contemporaines de la dissémination nucléaire
Cahier numérique sous la direction de Colomban Lebas - Hiver 2011
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Avant-propos - Colomban Lebas - p. 5-14
Il est inexact de dire que le nucléaire civil peut conduire aisément au nucléaire militaire. L’exploitation de centrales nucléaires destinées à la production d’électricité ne crée aucunement, dans les faits, un danger de prolifération. Et les risques d’utilisation militaire à partir d’autres installations déclarées comme civiles (usines d’enrichissement, réacteurs de recherche) apparaissent mieux maîtrisés que par le passé, en raison de meilleurs contrôles de la diffusion des technologies nécessaires, et de l’amélioration des techniques de surveillance. Toutefois, pour un pays déterminé, certaines options peuvent exister. Des contrôles intrusifs de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique) sont donc indispensables.
L’objectif de cette étude, à la fois prospective et rétrospective, était d’élucider les principaux facteurs favorisant l’apparition d’un comportement proliférant selon une période de l’histoire nucléaire en trois âges : prolifération anarchique, âge du TNP, âge post-bipolaire. Pour ce faire une grille d’analyse inspirée des méthodes d’évaluation du risque-pays a été établie, en s’appuyant tant sur une mesure de la volonté des pays concernés que sur celle de l’opportunité qu’il y avait pour eux de proliférer, au vu de leur situation économique, politique… ainsi que de l’état de la distribution de puissance. Une série d’hypothèses explicitant des scénarios possibles d’évolution de la carte des pays proliférants est également présentée.
Après avoir brossé un large tableau des pays éventuellement susceptibles – techniquement, politiquement ou économiquement – de développer l’arme nucléaire, nous nous attacherons à analyser le cas iranien, à la lueur de l’histoire de la Perse, du complexe obsidional du pays ainsi que de ses capacités économiques ? L’Iran peut-il devenir le cas d’école réunissant les principales motivations de la prolifération de demain ? Peut-il transfigurer sa propre stratégie nucléaire en symbole d’une revanche des pays se percevant comme « opprimés » sur un Occident vu comme impie et arrogant ? Ou bien la conduite d’une stratégie de normalisation internationale sera à moyen-terme plus probable, car plus apte à répondre aux attentes économiques et juridiques de plus en plus élevées que nourrit une société civile en pleine effervescence ?
Le nucléaire civil : une relance contrariée - Ben Cramer - p. 45-62
L’auteur propose une analyse des divers discours tenus sur le nucléaire, depuis les années de guerre froide en passant par l’époque post-Tchernobyl, jusqu’aux plaidoyers des années 2000, qui n’hésitent pas à invoquer les risques climatiques que l’exploitation des hydrocarbures ferait encourir à notre planète pour présenter le nucléaire civil comme une énergie « verte », voire potentiellement quasi-renouvelable, en anticipant sur les techniques de surgénération qui permettraient un recyclage important du combustible. Si le discours des lobbies nucléaires semble depuis peu mieux prendre en compte la contrainte écologique et adopter un profil plus modeste, il s’accompagne souvent d’un dénigrement latent de la pensée écologique (« malthusienne » et « technophobe ») et d’un optimisme géologique, politique et technoscientifique reposant sur des bases en réalité bien fragiles (conditionnement et transmutation des déchets, fermeture du cycle, épuisement des ressources exploitables à bas coût financier ou en CO2, sous-évaluation des risques de prolifération).
La surveillance des activités nucléaires mondiales est dévolue à l’AIEA, agence unique, disposant de compétences techniques et de moyens juridiques – plus ou moins complets selon les États concernés – lui permettant de mener en particulier de pratiquer des inspections qui devraient garantir le respect du Traité de nonprolifération ainsi que des divers protocoles additionnels qu’en complément certains États ont ratifié. L’histoire des crises majeures de prolifération fait cependant apparaître un certain nombre de failles, qui idéalement devraient conduire à un accroissement des moyens à disposition de l’Agence. Les crises contemporaines de prolifération (Iran, Corée du Nord, suspicions en Syrie…), face auxquelles l’Agence rencontre des difficultés d’action, rendent impérative une réflexion – suivie de décisions politiques – sur ce sujet important des relations internationales contemporaines.