Cet article met en lumière la dilatation de l'espace stratégique suite à l'acquisition de l'A400M et du MRTT. La projection de force et de puissance de la France s'envisage ainsi au travers d'une approche plus dynamique du maillage de nos points d'appuis.
Pour une gestion dynamique des points d'appui de la France
Les évolutions géostratégiques et géopolitiques des courts, moyens ou longs termes ne remettront pas fondamentalement en cause la vocation d’acteur mondial de la France. En effet, cette dernière découle de la conjugaison de nombreux facteurs : culture de la responsabilité internationale, force nucléaire indépendante, rang occupé dans une économie mondialisée, multilatéralisme ancré de l’appareil diplomatique, réseau d’amitiés et d’alliances tissé dans le monde, étendue des départements et collectivités d’outre-mer (Dom-Com) et Zones économiques exclusives (ZEE) etc. Ces travaux portent davantage sur la question de la profondeur et l’intensité de l’action que la France entend mener à travers le monde pour peser sur le cours des évènements, que sur la remise en cause d’une ambition mondiale.
Cependant l’évolution de nombreux facteurs, qu’ils soient économiques, diplomatiques, politiques, sociétaux, technologiques ou militaires nous impose de définir des options innovantes permettant à la France de répondre à sa vocation mondiale et portant sur de nouvelles stratégies d’accès. Elles doivent en même temps rester réalistes sur les moyens d’action à mettre en œuvre.
De nouvelles caractéristiques techniques…
À cet égard, la réflexion doit porter sur le moyen de diversifier les dispositifs permettant d’accroitre la mobilité de nos forces. Elle doit par nature intégrer l’élongation que nous pouvons conférer à nos interventions, dépendant de nos capacités de projection, mais également des dispositifs mis en place pour en accroitre aisément la portée. Cette réflexion est rendue d’autant plus nécessaire par l’arrivée de nouveaux vecteurs tels que l’A400M dès 2013, puis le MRTT (Multi Role Tanker Transport) en 2017, qui apportent rapidité, allonge et capacité d’emport supérieure.
Non seulement leurs caractéristiques nouvelles faciliteront les interventions directement depuis la métropole, mais elles rendront également la visibilité de la France et la flexibilité de son action plus grandes encore. En effet, potentiellement, la France sera instantanément et significativement présente partout dans le monde. Qu’on y songe, alors qu’il faut trois jours à un Transall pour rejoindre la Réunion avec 7 tonnes de fret, un A400M atteindra Saint-Denis avec trois fois plus de fret en 14 heures seulement. Sur Djibouti, c’est un aller-retour dans la journée qui sera possible. De même, si la France avait su s’associer à ses partenaires australiens lors de l’opération Santal au Timor oriental en 1999, la rapidité de son intervention et le volume de ce qu’elle y avait initialement déployé avait été contraint par le rayon d’action et la capacité de nos C130, qui avaient alors rejoint Darwin (Nord de l’Australie) en quatre jours. Dès 2013, dans un contexte similaire, la France pourra déployer deux à trois fois plus de matériel en moins de 24 heures.
… qui conduisent à une dilatation de notre espace stratégique.
Ainsi avec cette nouvelle capacité de transporter plus, plus loin et plus vite, on assiste à une véritable dilatation de notre espace stratégique. Cette dilatation donnera à notre diplomatie une portée plus grande encore. Elle liera non pas virtuellement, mais concrètement et de manière plus dynamique encore, la métropole aux antipodes. Aussi, complétant la présence de la France permise par les bâtiments de la marine nationale, l’Armée de l’air pourra y ajouter l’instantanéité de son action directement depuis Paris. Elle renforcera notre crédibilité, mais surtout assiéra davantage encore la présence française dans les nombreux forums régionaux au sein desquels la France siège légitimement du fait de l’étendue de ses ZEE, en particulier dans le Pacifique et l’océan Indien. À cet égard, les accords de défense comme les accords Franz, avec nos partenaires australiens et néozélandais, gagneront en substance.
Enfin, comme le rappellent fort justement les analyses d’Alain Boinet et Benoît Miribel sur l’action humanitaire dans les situations de crise et post-crise (1), « l’armée assume un rôle important dans des situations de catastrophe, notamment grâce à ses capacités de transport et de logistique. Elle peut aussi contribuer efficacement à l’évacuation de ressortissants français et autres dans des situations d’urgence (Liban, été 2007). Enfin, dans les situations nécessitant très rapidement des capacités chirurgicales et médicales, ses hôpitaux de campagne peuvent soigner des blessés et sauver des vies (Cachemire, automne 2005) ». Ces nouvelles caractéristiques donneront également une plus grande capacité d’intervention qui, sur ce plan là également, renforcera l’influence de la France et son rôle d’acteur incontournable et responsable de la scène internationale.
Pour une gestion dynamique de nos points d’appuis
Toutefois, le changement d’échelle qui va être conféré à l’action de la France ne sera possible qu’à la condition d’inscrire la nature et l’emploi de ces nouveaux moyens dans une perspective qui tire avantage de leurs qualités intrinsèques et qui sache aussi s’appuyer sur un dispositif novateur et dynamique de type « hub and spoke », permettant d’intervenir et de rayonner à moindre frais à partir de points d’appuis adaptés.
De fait, les conditions d’une intervention rapide de nos moyens reposent, entre autres, sur l’existence d’un dispositif s’appuyant sur un maillage suffisamment étoffé ajoutant à nos points d’appuis traditionnels des solutions complémentaires, accroissant nos garanties d’accès. En effet, nos forces pré-positionnées actuelles, qui contribuent de manière significative à la stabilité et à la sécurité mondiale, ne répondent qu’en partie à ces exigences futures. Il est nécessaire d’amplifier davantage encore la pertinence de ce réseau en développant, sur un mode « gagnant-gagnant », des partenariats particuliers dont l’objectif doit être de permettre le déploiement quasi-immédiat de dispositifs militaires ou de sécurité civile, depuis des escales aptes à monter rapidement en puissance. Ce dispositif, qui doit offrir une gradation de solutions, passe par la négociation préalable d’accords diplomatiques destinés à accélérer le déploiement de nos moyens d’intervention ou de ceux de nos alliés. Cette approche, non contraignante, s’adapte aisément à toute évolution géostratégique. Elle doit être complétée par le pré positionnement de matériels et la mise sur pied d’escales permanentes d’importance variable et judicieusement positionnées.
La France dispose à cet égard de nombreux atouts qui permettraient à moindre coût de répondre à cet objectif.
Ainsi, elle entretient des relations étroites avec nombre de pays placés à proximité de zones d’intérêts stratégiques dont nous pouvons davantage exploiter les potentialités. Dans cette perspective des pays tels que Singapour (dont la formation des pilotes se fait à Cazaux) et l’Inde sont des partenaires sur lesquels nous pourrions davantage nous appuyer. Au-delà d’une coopération opérationnelle fructueuse avec ces pays, la programmation d’exercices conjoints sur place doit contribuer à préparer et roder les procédures de montée en puissance de ces points d’appuis potentiels, voire mettre en place du matériel.
Qui doit jouer avec la complémentarité des réseaux alliés
En outre, nos alliés britanniques et américains, également puissances aux ambitions mondiales, s’appuient sur un maillage potentiellement complémentaire au nôtre que nous pourrions éventuellement exploiter, soit en contrepartie de la mise à disposition de nos propres points d’appuis, ou d’une contribution dans le cadre d’un partage de leur coût d’utilisation. Les points d’appuis britanniques et surtout américains ouvrent principalement la route du Sud-Est asiatique et sur le Pacifique. Ils permettent d’étendre, voire de faciliter, notre zone d’action vers de nouveaux centres d’intérêts. Au vu des zones traditionnelles d’engagement de la France, ils offrent des facilités ponctuelles de projection (déploiements ou appuis) et permettent également d’envisager de nouvelles voies de coopération, notamment en matière de préparation opérationnelle.
Il en est de même pour nos partenaires du Commandement du transport aérien européen (EATC) et du Centre de coordination multimodal des transports en Europe (MCCE), avec qui nous partageons des problématiques communes en matière de projection de forces. Le développement concerté d’un réseau mondial doit constituer un axe de travail fort qui en outre contribuera à cimenter la construction de la défense européenne. Il y a une véritable stratégie à développer, tant en matière d’équipements que de déploiement. Elle sera génératrice d’économie de moyens et de concentration des efforts.
Par ailleurs, les réseaux de compagnies aériennes équipées d’Airbus, communauté à laquelle appartiendront nos A400M et MRTT, offrent des potentialités qui méritent d’être explorées. Sur la base d’intérêts communs évidents, des partenariats pourraient être envisagés contribuant à structurer un dispositif articulé autour de « hubs » élargissant notre couverture mondiale. Ils peuvent aussi permettre de partager nos pièces, nos moyens techniques, d’escale ou d’assistance à nos équipages voire leur renforts.
Et qui rend la France visible
Enfin, le développement et l’entretien d’un tel réseau fiabilisé, nourri d’échanges réguliers ou d’exercices conjoints avec les pays hôtes, contribuent au rayonnement et à l’influence internationale de la France. Ils nécessitent un effort diplomatique qu’il ne faut pas occulter et qui suppose de mettre en place des coopérations suffisamment consistantes.
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Les nouveaux vecteurs sur le point d’entrer en service induisent la dilatation de notre espace stratégique, permettent une quasi-instantanéité de nos réponses, et exigent une approche dynamique d’un réseau rénové de points d’appuis. Conjugué à la complémentarité du maillage dont disposent nos alliés américains et britanniques, c’est une nouvelle dimension qui est donnée à l’action de la France, la rendant encore plus visible, plus flexible et plus globale. ♦
(1) Alain Boinet et Benoît Miribel : « Analyses et propositions sur l’action humanitaire dans les situations de crise et post-crise » (Rapport à M. Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères et européennes) ; mars 2010