Introduction
Imaginer le monde en 2030 et les stratégies à mettre en place pour faire face aux enjeux identifiés à cette échéance est au cœur des objectifs du Centre des hautes études militaires. Or, la réflexion, les travaux, les déplacements à l’étranger et les 200 conférences entendues par les auditeurs leur donnent au moins une certitude : celle d’une complexité croissante des enjeux et de changements de paradigmes profonds à venir.
Destinés à occuper des responsabilités importantes dans les dix années qui viennent, les auditeurs de la 67e session du CHEM proposent leur vision de certains enjeux identifiés et des stratégies susceptibles de transformer les risques en opportunités pour la France et l’Europe. Une conclusion commune à tous : nos sociétés européennes devront faire preuve d’une grande résilience pour survivre à ces changements profonds et les militaires y ont toute leur place.
Un contexte géopolitique chargé de tensions
Certaines zones du monde méritent d’être étudiées plus particulièrement car susceptibles d’initier ou de focaliser des crises qui pourraient s’étendre rapidement ou déclencher des mouvements aux issues stratégiques incertaines.
La zone balkanique (colonel (T) Lancrenon), dans laquelle l’ONU, l’Otan et l’UE ont beaucoup investi, est au pivot de civilisations et de guerres d’influence. L’Europe ne doit pas s’en désintéresser sous peine d’y être durablement marginalisée.
De même, la Turquie est sous l’influence de dynamiques internes et externes puissantes dont les ressorts dépassent les frontières régionales (colonel (T) du Peyroux).
Le phénomène migratoire entre l’Afrique et l’Europe, qui va se poursuivre voire s’accentuer (colonel (T) Diallo, Mali), invite les pays européens à s’interroger sur leur politique de développement de leurs partenaires africains qui détiennent une grande part de la solution.
Enfin, dans ce monde en évolution si rapide, la France devra jouer avec habileté et posséder une vision géopolitique précise de ses alliances qui seront immanquablement malmenées (colonel (A) Kuzniak).
Des enjeux stratégiques et technologiques cruciaux émergents
La maîtrise de l’espace extra-atmosphérique (capitaine de vaisseau Tourneux) sera dans ce contexte un enjeu majeur pour les puissances occidentales et la France devra y jouer un rôle à la hauteur de ses ambitions.
De même, nos armées devront inévitablement redécouvrir les moyens de « retourner » l’hybridité en leur faveur pour s’assurer la maîtrise d’un espace qui ne va cesser d’être contesté : la mer (capitaine de vaisseau Hermann).
Faire face aux effets du dérèglement climatique (capitaine de vaisseau Cluzel) sera également au cœur des stratégies de sécurité et de défense des pays comme la France.
Le renouvellement de nos armes aériennes, elles aussi en profonde mutation, est l’occasion, dans les dix années qui viennent de développer des concepts technologiques ambitieux, innovants, financièrement soutenables et inscrits dans une vision stratégique partagée par les grands pays européens (colonel (A) Mollard).
Un outil de combat pourrait retrouver tout son sens dans un contexte géopolitique si complexe, un environnement technologique où se mêlent nivellement et course à la modernité et dans lequel tout facteur de supériorité comptera : la guerre électronique (colonel (T) Justel).
Enfin, la reine des batailles de demain continuera d’être l’électricité ! Sa production, son acheminement au plus près des combattants, son stockage collectif ou individuel, sa distribution seront des enjeux stratégiques à ne pas négliger pour acquérir ou conserver la supériorité au combat (ingénieur en chef de l’armement Lestienne).
Résilience des sociétés et place des militaires
Mais la première force des sociétés résidera dans leur capacité à faire face aux changements, à se rassembler autour d’idéaux communs et à s’adapter pour préserver leurs modes de vie et défendre leurs valeurs. Cela passera en premier lieu par l’implication de tous, en commençant par les cadres, premières sentinelles de la Nation (colonel (G) Villeminey).
La Gendarmerie nationale, véritable force armée de sécurité intérieure (colonel (G) Henry), joue et continuera de jouer un rôle majeur dans ce nouveau paradigme sécuritaire – terrorisme, flux migratoires, criminalité organisée, attaques cyber…
Des sociétés résilientes pourront se rassembler autour du soutien à leurs forces armées, comme le montre l’exemple du British Poppy (colonel (T) Veicht, Grande-Bretagne) mais, au-delà du symbole, par la transmission de valeurs patriotiques.
La militarité, parfois malmenée, est pourtant un facteur clé de l’efficacité des forces armées qui devront faire face aux tentations sociétales et à la réification progressive de l’« outil de défense » (colonel (T) Guillot).
Dans ce contexte, les qualités du chef militaire apparaissent pourtant comme universelles et intemporelles. La formation et la sélection des officiers devront permettre leur transmission tout en s’adaptant sans cesse à la société dont ils émanent et qu’ils doivent participer à défendre (colonel (T) Ortemann).
Pour cela, il est bon de s’inspirer de ce que font les autres et les modes de gestion des ressources humaines militaires devront, elles aussi, évoluer en prenant le meilleur du monde de l’entreprise (commissaire en chef de 1re classe Averous).
Au sommet de la hiérarchie militaire, donc en charge de la vision et de la conduite du changement, les officiers généraux ont une exigence toujours plus grande face à ces enjeux. Penser ou repenser le généralat de demain fait appel également à des aspects intemporels et des évolutions valables des deux côtés de l’Atlantique (colonel (T) Bernard, Canada).
Enfin, les armées devront également tirer le meilleur de l’évolution des sociétés dont elles émanent. Elles devront privilégier l’innovation, l’agilité et la subsidiarité, en tirant le meilleur de l’individualisation (colonel (A) Besançon). ♦