Le Grand Nord est devenu un nouvel espace de compétition stratégique entre États, sous les effets du réchauffement climatique, de la militarisation de la zone et de l’expansionnisme de la Chine. Face à des enjeux sécuritaires grandissants, la France doit se doter d’une stratégie de défense et de sécurité pour le Grand Nord lui permettant de défendre ses nombreux intérêts stratégiques, économiques et scientifiques. Celle-ci reposerait sur cinq axes stratégiques : renforcer la présence française pour mieux comprendre, anticiper et être en mesure d’intervenir ; privilégier l’enjeu sous-marin ; développer des partenariats privilégiés pour gagner en influence ; impliquer l’Union européenne ; affirmer une position différenciée vis-à-vis de la Russie.
Quelle stratégie de défense française pour le Grand Nord ?
Quand on évoque le Grand Nord, on pense immédiatement « océan Arctique », « cercle polaire », « pays nordiques », d’autres « Atlantique Nord », « île aux Ours », « mers de Barents » ou « détroit de Béring » : autant de vocables pour désigner un seul espace, un seul environnement à la fois complexe et multiple. Si l’on admet que les zones dites « arctiques » sont constituées par l’ensemble des espaces terrestres et maritimes « au-dessus du Cercle polaire (66°34’) », nous retiendrons que la notion de « Grand Nord », plus large, comprend également les zones attenantes au cercle polaire partageant un même triptyque climat, environnement et culture, et recouvre en particulier l’Atlantique Nord.
Quand on évoque le Grand Nord, on pense immédiatement « océan Arctique », « cercle polaire », « pays nordiques », d’autres « Atlantique Nord », « île aux Ours », « mers de Barents » ou « détroit de Béring » : autant de vocables pour désigner un seul espace, un seul environnement à la fois complexe et multiple. Si l’on admet que les zones dites « arctiques » sont constituées par l’ensemble des espaces terrestres et maritimes « au-dessus du Cercle polaire (66°34’) », nous retiendrons que la notion de « Grand Nord », plus large, comprend également les zones attenantes au cercle polaire partageant un même triptyque climat, environnement et culture, et recouvre en particulier l’Atlantique Nord.
Quelle que soit l’appellation, le Grand Nord et l’Arctique font aujourd’hui l’objet de nombreuses études et publications qui soulignent les enjeux grandissants de cette région, où les effets du réchauffement climatique sont les plus visibles et les plus importants au monde. La fonte massive de la banquise (1), mais aussi le dégel du pergélisol (2), suscitent des intérêts nouveaux amplifiés parfois par des fantasmes : ouverture au trafic international de passages maritimes libres de glace pouvant même se substituer aux canaux de Suez ou de Panama, exploitations d’eldorados miniers, menace russe pour le contrôle du pôle Nord…
Il est certain que l’évolution rapide du climat et de l’environnement de l’Arctique sous la pression du dérèglement climatique a ravivé des enjeux géopolitiques, économiques et environnementaux, à la mesure des phénomènes observés augmentant les risques de tensions. Jusqu’alors terrain « sanctuarisé » de la recherche scientifique (3), le Grand Nord est devenu, en quelques années, le théâtre d’une compétition stratégique accrue dont les signes tangibles, comme la remilitarisation de la zone par la Russie ou l’engagement massif de la Chine, nous font prendre conscience.
De son côté, la France s’est toujours préoccupée de cette zone, tant dans le domaine de la recherche scientifique que de celui des enjeux de défense. Après avoir été la première Nation « non-arctique » à s’installer durablement avec la construction d’une base scientifique, en 1963 dans l’archipel du Svalbard, elle déploie des moyens militaires périodiquement dans le Grand Nord depuis des décennies.
Souhaitant marquer son intérêt pour cette zone et ses enjeux, la France a même nommé en 2010 l’ancien Premier ministre Michel Rocard (4) « ambassadeur des pôles » chargé à la fois de l’Antarctique et de l’Arctique.
Une feuille de route nationale intitulée Le grand défi de l’Arctique a par ailleurs été publiée (5) en 2016. L’intention initiale était de fournir un cadre de travail et des orientations qui puissent permettre « de mettre en cohérence et de hiérarchiser les démarches en lien avec les enjeux et les défis arctiques qui intéressent la France dans une logique d’intérêt durable et général bien compris » (6).
Si ce document peut donc s’apparenter par certains aspects à une politique, elle ne constitue pas une stratégie pour le domaine des enjeux de défense et de sécurité, et n’en affiche d’ailleurs pas l’ambition. La feuille de route y présente des objectifs assez génériques : solidarité avec les pays de la zone arctique du fait de son appartenance à l’Union européenne (UE) et à l’Alliance atlantique, nécessité d’assurer la sécurité de ses approvisionnements, enjeux grandissants liés à la sécurité du trafic maritime en Arctique… Si certaines recommandations proposées peuvent constituer des axes stratégiques (maintenir un suivi des évolutions politiques et militaires régionales, apporter un soutien à nos intérêts économiques et industriels, renforcer la légitimité de la France à participer à la gouvernance régionale…), celles-ci sont décrites sans ordre de priorité et surtout sans orientations concrètes sur les actions à mener et avec quels moyens.
Dans le contexte géopolitique actuel, il semble donc urgent d’approfondir la dynamique de la feuille de route, et bâtir une véritable stratégie de défense et de sécurité sur le long terme pour le Grand Nord qui précise notre approche des enjeux de sécurité.
Cette stratégie doit être capable de porter davantage la volonté française de « peser » dans cette zone stratégique en réaffirmant sa légitimité pour faire valoir ses intérêts et projeter son influence.
Les facteurs d’instabilité de ce nouvel espace de la compétition stratégique
L’évolution rapide et incertaine de nombreux facteurs pourrait accentuer l’instabilité de la région et complexifier davantage l’environnement sécuritaire du Grand Nord (voir figure 1).
Figure 1 – Le Grand Nord, un nouvel espace de compétition stratégique. Source : Conseil de l'Arctique
Une gouvernance régionale limitée
Dans un contexte de forte concurrence économique et stratégique, la gouvernance des espaces du Grand Nord est un enjeu géostratégique émergent. Principal forum de coopération internationale pour la gouvernance de la région depuis 1996, le Conseil de l’Arctique, qui se décline sous deux formats (7), délaisse pourtant les sujets « trop sensibles » comme les questions de défense et de sécurité. Il est également dépourvu de personnalité juridique pouvant émettre des réglementations contraignantes. De plus, depuis l’annexion de la Crimée en 2014, la Russie s’est retirée de l’Arctic Security Forces Roundtable (ASFR) (8) et de l’Arctic Chiefs of Defence Satff Meeting (ACDSM) (9), mettant fin aux deux seules instances de coordination des activités militaires en Arctique (10). Cette absence de structure permettant des discussions sur les sujets de défense fragilise d’autant plus la gouvernance régionale que les enjeux de sécurité deviennent prioritaires.
Des différends frontaliers et territoriaux qui perdurent
Les zones maritimes du Grand Nord sont régies par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (11) de 1982. Elle stipule que les États côtiers disposent de 12 milles nautiques d’eaux territoriales et d’une Zone économique exclusive (ZEE) qui s’étend à 200 milles nautiques des côtes. Dans cette ZEE, les États exercent leur souveraineté sur les fonds marins et y assurent la sécurité maritime.
Toutefois, des différends frontaliers et territoriaux, à la fois le long du PNE (Passage du Nord-Est) (12) et du PNO (Passage du Nord-Ouest), pourraient conduire à une montée des tensions. Dans le cadre du conseil de l’Arctique et de la CNUDM, les cinq États riverains ont fait valoir leurs revendications en termes de souveraineté dans la zone auprès de la Commission des limites du plateau continental (CLPC), mais celle-ci ne possède aucun pouvoir d’arbitrage. De plus, le renforcement observé des capacités militaires des principaux acteurs de la zone (Russie, États-Unis, Canada, Norvège) contribue de fait à appuyer les prétentions territoriales. Critiquée par les États riverains pour ses visées expansionnistes, la Russie cherche en particulier à faire reconnaître l’extension de sa ZEE sur près de la moitié de la zone centrale arctique, arguant du fait que la dorsale de Lomonossov (13) appartient à son plateau continental.
Une évolution de l’environnement plus propice à l’exploitation des ressources et au transport maritime
L’environnement ne cesse de se modifier sous l’effet du changement climatique avec une augmentation des températures deux fois plus rapide que sur le reste de la planète. La fonte de la banquise a un impact significatif sur les voies maritimes du Grand Nord, qui pourraient être entièrement libres de glaces en été à l’horizon 2040. Les conséquences en seraient immédiates. On note en particulier un accès facilité aux ressources minérales et halieutiques de l’Arctique (14), un risque accru de pollution résultant de l’ouverture des routes maritimes et de l’exploitation des ressources énergétiques offshore (notamment hydrocarbures et des gisements miniers), ainsi qu’une transformation de l’économie et de la culture des populations autochtones.
Néanmoins, c’est dans le domaine du transport maritime que les opportunités promettent d’être les plus importantes. Le passage du Nord-Est, par exemple, permet de réduire les distances entre l’Europe et l’Asie de 25 à 40 % selon les ports de destination. Elles sont divisées par deux pour les voyages d’extraction de matières premières entre la Russie et l’Asie du Nord-Est. Cette route est aussi plus sûre en termes de terrorisme et de piraterie en évitant le canal de Suez comme les détroits de Malacca et de Bab-el-Mandeb. Si l’environnement reste marqué par des conditions extrêmes (températures, obscurité permanente durant une grande partie de l’année) qui contraignent la conduite de tout type d’activité, il est probable que le transport maritime via l’Arctique deviendra économiquement plus rentable dans certains cas que par les canaux de Panama ou Suez (15) aux alentours de 2040.
Les promesses de la zone arctique focalisent donc l’attention, aiguisant les appétits de nombreuses puissances extérieures et d’acteurs économiques privés.
La remontée en puissance de la présence militaire russe
Associée à un réinvestissement économique spécifique (16), elle marque l’importance de la zone Grand Nord, devenue l’enjeu stratégique prioritaire de la Russie au regard des facteurs suivants : accès direct à l’Atlantique, sécurité des forces nucléaires stratégiques déployées dans la région, protection de son immense ZEE (17), des industries et des exploitations d’hydrocarbures (18), et sécurité de navigation sur la route maritime du Nord (RMN) en plein essor. Après avoir publié une stratégie de développement de l’Arctique en 2013 (19), la Russie a ainsi construit ou réhabilité six bases militaires en Arctique (20) et dix bases aériennes dans le Grand Nord. Ce réseau permet de verrouiller l’axe stratégique de la RMN et de protéger les zones riches en hydrocarbures. Moscou a par ailleurs entamé un accroissement significatif de ses capacités militaires : renforcement et modernisation de la défense des approches sur les côtes nord (21) et des capacités sous-marines à partir de la mer de Barents (22), recrudescence des vols ALRA (avion à long rayon d’action), construction de brise-glace à propulsion nucléaire (23), multiplication des manœuvres militaires en zone arctique.
Compte tenu de l’ampleur de ces investissements, la Russie restera la seule puissance militaire capable d’intervenir dans toutes les composantes lors des quinze prochaines années. Elle constitue à ce titre l’acteur incontournable du Grand Nord, dont l’ouverture renforcera sa position géostratégique ainsi que son économie.
L’engagement massif de la Chine
Suivant la stratégie officialisée par une politique pour l’Arctique en 2018 (24), la Chine, qui se définit comme un Near-Arctic State a inscrit le Grand Nord dans son projet global des nouvelles routes de la soie. Alors que la Chine réalise 90 % de son commerce extérieur par voie maritime, le PNE, beaucoup plus court, lui assurera
l’accès aux ressources énergétiques et minières russes ainsi qu’à l’Europe à des coûts
qui devraient être bien moindres à l’avenir. Elle a donc développé une stratégie très offensive de renforcement des partenariats avec les pays arctiques (25) et de construction de capacités polaires et d’infrastructures de transports (26). Se dessine dans ce cadre un fort partenariat russo-chinois autour d’intérêts de circonstances (l’investissement chinois (27) sert la stratégie russe de développement économique du nord du pays et de la RMN alors que la Chine trouve une voie de diversification de ses approvisionnements) malgré des approches très différentes du statut de l’océan Arctique.
Défi principalement maritime, cette « route de la soie polaire », comme on tend à la surnommer, participe également à l’affirmation de la puissance chinoise, notamment en mer. Cette dynamique est en partie à l’origine de l’accroissement et des efforts considérables de modernisation de la marine.
Ainsi, en moins de trois décennies, la Chine s’est affirmée comme une puissance majeure du Grand Nord capable de modifier les équilibres géopolitiques et géoéconomiques régionaux.
Le réengagement américain
Face à ses deux compétiteurs stratégiques, « Washington adopte une rhétorique diplomatique plus agressive » (28). Les États-Unis ont ainsi élaboré plusieurs programmes destinés à changer l’équilibre des puissances et à éviter le risque que l’Arctique devienne une nouvelle mer de Chine méridionale. Depuis 2013, les États-Unis et l’Otan sont ainsi particulièrement actifs. L’Arctic Roadmap 2014-2030, qui souligne une « probabilité de conflits locaux » en Arctique, est intégrée au plan de mise en œuvre de la stratégie nationale américaine pour l’Arctique (29) et prévoit que les États-Unis puissent mener tout type d’opérations militaires dans la région, seuls ou avec des alliés. La proposition inattendue du président Trump d’acheter le Groenland (30), dont les ressources en uranium et en terres rares sont considérables, reflète bien l’intensité de cette compétition qui est aussi stratégique, qu’économique.
Cependant, les États-Unis accusent des retards capacitaires majeurs dans le domaine militaire et celui des infrastructures portuaires. L’US Navy ne possède que deux brise-glace (contre 40 côté russe), aucun bâtiment à coque renforcée et aucune base navale majeure dans la région arctique pour assurer le déploiement de sa flotte toute l’année. Les Coast Guards manquent d’hélicoptères, et l’absence de port en eaux profondes dans l’Arctique ne permet pas de répondre aux défis économiques à venir ou d’accueillir des porte-avions. La nouvelle stratégie de défense pour l’Arctique publiée en 2019 (31) traduit la volonté américaine de combler ce retard en renforçant les capacités civiles et militaires (32) et en prévoyant en particulier l’acquisition de nouveaux brise-glace dans les décennies à venir, mais sans pour autant renoncer aux priorités du moment (axe Indo-Pacifique). L’effort sera donc progressif et limité, et si les Américains ont bien pris conscience de la dissymétrie des moyens et du retard sur leurs compétiteurs, ils ne seront ainsi pas en mesure de contester la supériorité régionale russe avant l’horizon 2035.
Les intérêts prioritaires et les principaux risques en matière de défense et de sécurité
Dans ce contexte incertain, le seul invariant semble être le rôle central de la Russie dont les capacités militaires et d’intervention en milieu arctique resteront prédominantes au cours des deux prochaines décennies. On peut identifier pour la France les intérêts prioritaires et les principaux risques associés en matière de défense et de sécurité dans le Grand Nord.
Entre profondeur stratégique et liberté de circulation : les intérêts prioritaires
Le premier de nos intérêts est d’assurer notre profondeur stratégique et la liberté d’action de nos forces armées, d’abord, celle des moyens de la dissuasion nucléaire : nos Sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) ont ainsi besoin de pouvoir naviguer sans entrave dans notre zone d’intérêt prioritaire historique. Celle-ci est généralement définie comme la zone s’étendant du Groenland au Svalbard (Spitzberg) en passant par le GIUK (Groenland–Islande–Royaume-Uni), le pôle Nord et jusqu’à la mer de Kara (la mer qui s’étend le long des côtes russes à l’est de la mer de Barents).
La seconde priorité est la défense de nos intérêts économiques et scientifiques dans le Grand Nord. Ceux-ci sont déjà aujourd’hui très importants dans le secteur de l’énergie (33) : près de 60 % de nos approvisionnements en gaz et près de 15 % de ceux en pétrole proviennent du Grand Nord (34). Ces taux devraient encore augmenter avec la tendance durable de diversification des approvisionnements pour réduire la dépendance au Moyen-Orient. Plus de deux cents entreprises françaises sont déjà présentes dans la zone, en majorité en Arctique, et cherchent à s’y développer. Le secteur du tourisme, avec la Compagnie de croisières arctiques Ponant, leader mondial de la croisière polaire, est un bel exemple du dynamisme et de la diversité économique française (35).
Concernant le transport maritime, les compagnies françaises n’empruntent pas encore la RMN au regard des contraintes actuelles spécifiques de ce milieu (pilotage spécial, accompagnement par brise-glace obligatoire…) et des coûts associés. Il y a cependant lieu de se positionner dès aujourd’hui pour tirer profit de l’ère « post -polaire » des années 2040-2050 lorsque les contraintes financières et techniques auront diminué (36). C’est déjà la stratégie britannique exprimée en 2018 dans le document Beyond the Ice (37) et celle de la Corée du Sud, du Japon ou d’acteurs économiques italiens et autrichiens qui n’attendent pas pour investir massivement en misant sur les zones déjà dégelées de la mer de Barents ou de la mer de Béring.
La recherche scientifique en milieu polaire est un autre secteur français en pointe qu’il s’agit de pérenniser. Source de légitimité dans la région qui a permis l’accession du pays au statut d’observateur au Conseil de l’Arctique, elle est portée par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et l’Institut polaire français Paul-Émile Victor (IPEV). Elle constitue un moyen privilégié d’observation et d’anticipation des effets du changement climatique mondial. La recherche scientifique constitue ainsi un instrument de puissance géopolitique fondamental. Plus qu’ailleurs, le Grand Nord reste un environnement mal connu et le niveau de connaissance scientifique, l’ampleur des coopérations, l’investissement dans les missions de recherche et l’utilisation des stations scientifiques (38) arctiques constituent donc un avantage certain et une garantie de légitimité au sein de la diplomatie arctique.
Ces intérêts économiques et scientifiques primordiaux pour la France présentent deux enjeux de sécurité majeurs : d’une part, l’accès aux ressources du Grand Nord, et d’autre part, la liberté de circulation et la protection des biens et des personnes entre l’Asie et l’Europe, en particulier la sécurisation des routes d’approvisionnement énergétique.
Le dernier intérêt de sécurité dans la zone est la participation à la défense collective de l’UE et de l’Otan. La feuille de route de 2016 le mentionnait déjà : « Du fait de son appartenance à l’UE et à l’Otan, la France pourra être amenée à contribuer au maintien de la stabilité dans cette région puisqu’elle appartient au petit nombre des États capables d’intervenir avec des moyens significatifs à de telles distances (39) ».
À ces intérêts sont associés des risques stratégiques.
Entre menace russe et liberté de circulation : les principaux risques
Le premier d’entre eux est bien entendu celui d’une menace directe sur le territoire national, nos forces armées déployées ou ceux de nos alliés à partir de cette zone. À ce stade, seule la Russie constitue une menace potentielle. Malgré les distances, elle dispose en effet des capacités militaires pour porter atteinte à nos intérêts proches et à l’activité de nos forces, ou celle de nos alliés, dans notre zone d’intérêt prioritaire et jusque dans nos approches maritimes. Moscou l’a ainsi montré à plusieurs reprises : menace sur les câbles sous-marins au large du Royaume-Uni, déploiements massifs de sous-marins nucléaires à l’automne 2019, etc.
Un autre risque est celui d’une « territorialisation » des espaces communs de la zone. En effet, face aux appétits croissants de la Chine en particulier, on constate une volonté progressive des États riverains de l’Arctique d’accaparer ces espaces, soit par une politique du « fait accompli » et un dispositif militaire de déni d’accès (Russie), soit par une voie politique en revendiquant des qualifications juridiques de ces zones. La question de la dorsale de Lomonossov, a déjà été évoquée, mais on pourrait également citer le Canada qui considère comme des eaux intérieures la majeure partie du Passage du Nord-Ouest.
En lien avec ce risque est celui de voir une perte d’influence de la France au sein des instances de gouvernance au bénéfice d’autres acteurs « non arctiques » comme la Chine qui déploie des moyens plus importants ou des États asiatiques qui conduisent des « politiques Grand Nord » plus neutres. Il ne faut pas négliger en effet la volonté de certaines Nations arctiques, et en premier lieu des États-Unis (40), d’orienter la gouvernance vers des institutions plus exclusives afin de limiter le poids des Nations ayant le statut d’observateur, la Chine en premier lieu.
Enfin, un risque majeur est de voir le Grand Nord devenir le théâtre ou le réceptacle des répercussions des tensions internationales dues à la compétition et aux antagonismes existants dans d’autres parties du monde. En effet, si c’est déjà le cas en Atlantique Nord avec un nouveau type de « guerre froide » entre l’Alliance et la Russie, le risque porte particulièrement sur l’antagonisme exacerbé américano-chinois dans la zone Indo-Pacifique voire sur le partenariat russo-chinois dont les bases restent ambiguës.
Ce risque de Potential Corridor for Strategic Competition (41) est souvent souligné dans les politiques nationales sur l’Arctique : « The Arctic remains vulnerable to “strategic spillover” from tensions, competition, or conflict arising in these other regions » (42).
Une possible stratégie de défense française dans le Grand Nord
De ces intérêts et de ces risques, on peut d’abord tirer trois objectifs majeurs de défense pour la France dans le Grand Nord :
– Protéger nos approches stratégiques incluant celles de l’UE (50 % des pays arctiques sont membres de l’UE).
– Maintenir la liberté d’usage (exploitation des ressources et liberté de circulation) des espaces communs de l’océan Arctique.
– Participer à la stabilité de la zone et à l’équilibre des puissances.
Ces objectifs stratégiques sont interdépendants. Pour les atteindre, il est nécessaire de suivre des axes stratégiques élaborés à partir d’un constat objectif des atouts et des faiblesses de la France, des opportunités du moment et de l’évaluation lucide de ses ambitions en termes de moyens.
La stratégie de défense et de sécurité pourrait ensuite s’articuler selon cinq grands axes stratégiques et leurs actions associées.
Renforcer notre présence pour mieux comprendre et anticiper les évolutions, et pouvoir intervenir dans un large éventail de missions
Cela passe par une augmentation sensible des déploiements aériens ou terrestres et surtout du nombre des patrouilles navales dans un cadre strictement national ou à l’occasion de coopérations, d’opérations de l’Otan ou d’exercices internationaux. Seule une présence navale quasi permanente permet de « maîtriser » un environnement et d’éviter ou du moins de limiter toute stratégie adverse du « fait accompli ». L’exemple de la Méditerranée orientale est à ce titre révélateur. Depuis 2013, la présence permanente d’au moins un bâtiment de la Marine a ainsi permis de décupler la connaissance de la zone, d’éviter la territorialisation du canal de Syrie par la Russie et Damas et de contrôler l’expansionnisme turc vis-à-vis des intérêts français dans la ZEE chypriote. L’Arctique, en particulier, nécessite également un effort sur le recueil du renseignement et une meilleure connaissance de l’environnement physique (océanographie, météorologie, propagation acoustique et électromagnétique).
En parallèle, un travail capacitaire est nécessaire pour renforcer nos capacités de « connaissance et d’anticipation » et celles permettant d’opérer en autonomie, dans la durée et sous des conditions extrêmes.
Les capacités actuelles C4ISR (43) françaises sont encore trop limitées techniquement pour opérer au-delà des latitudes du cercle polaire, en particulier dans les domaines de l’observation satellitaire. Ainsi, du fait des latitudes extrêmes, une portion de la zone demeure aujourd’hui dans l’angle mort de certains satellites optiques. De plus, ces capacités optiques peuvent être inopérantes en raison de l’alternance jour/nuit et des conditions météorologiques. Des problématiques similaires se posent également en matière de télécommunications, car les satellites en orbite géostationnaire des constellations nationales Syracuse 3 et 4 couvrent difficilement la zone au-delà des latitudes du cercle polaire. Une couverture presque intégrale de l’Arctique pourrait être assurée par un système de deux à trois satellites multicapteurs en orbite elliptique élevée. Le « développement d’un tel système, à vocation duale, dans un cadre national ou européen, voire l’achat sur étagère de solutions techniques (44) » doit pouvoir être étudié.
Les capacités d’intervention méritent également d’être adaptées. Le Grand Nord se caractérise par des températures d’eau de mer extrêmement froides (45), la surface l’étant plus que les eaux profondes, ce qui est l’inverse des autres océans. Ces conditions augmentent le risque d’un refroidissement excessif et donc de problèmes techniques des systèmes embarqués des bâtiments, notamment la propulsion. La salinité est aussi très variable, ce qui crée des couches au sein desquelles la propagation des ondes sonores est affectée. Les bâtiments doivent donc être dotés de capteurs spécifiques et permanents de température, de conductivité et de salinité, ce qui peut être réalisé à moindre coût si ces besoins sont pris en compte en amont des programmes. De même, le renforcement des structures de certains bâtiments doit être envisagé pour leur permettre d’opérer au milieu des glaces une partie de l’année. Ainsi est-il prévu que le futur Bâtiment léger de surveillance et de renseignement (BLSR) prévu pour 2025 en complément du navire de recueil de renseignements Dupuy-de-Lôme soit de classe polaire (46).
Afin de pouvoir opérer en autonomie tout au long de l’année, il serait également pertinent de doter la France d’un brise-glace dédié à l’Arctique lui permettant d’intervenir en autonomie en s’affranchissant des normes réglementaires telles que fixées en particulier par le code polaire (47) sans toutefois permettre une permanence à la mer. L’acquisition récente par le ministère des Outre-mer du patrouilleur polaire L’Astrolabe et son armement par la Marine nationale pour l’Antarctique pourraient d’ailleurs constituer un modèle de partenariat « dual » intéressant pour un investissement significatif (50 millions d’euros).
Concernant le domaine aéronautique, l’exposition des appareils au « grand froid » est moins pénalisante par nature, mais l’alternance jour/nuit, très espacée en été et en hiver, est un enjeu important pour les unités aéronautiques qui doivent savoir opérer en ambiance nocturne prolongée avec un impact sur les qualifications des équipages.
Pour le domaine terrestre, la France possède déjà des atouts remarquables avec les capacités spécialisées de la Brigade d’infanterie de montagne (BIM) et du Groupe militaire de haute montagne (GMHM). Leur évolution concerne davantage le renforcement des savoir-faire du combat en climat extrême et aux latitudes élevées (combat nocturne prolongé). Il faut également envisager la mise à niveau « grand froid » de toute la chaîne de soutien (maintien en condition opérationnelle, train logistique, soutien santé, équipements de survie, etc.).
Ce renforcement de notre présence est le meilleur gage de crédibilité vis-à-vis de partenaires arctiques prompts à nous dénier ou à réglementer l’accès de la zone.
Privilégier l’enjeu sous-marin
Comme on l’a vu précédemment, l’enjeu majeur de l’Arctique n’est pas celui des ressources, mais davantage le défi stratégique du maintien de la libre navigation.
Alors que les États-Unis et une partie des Nations alliées de l’Arctique tentent de rattraper un « ice breaker gap » (48), il paraît pourtant vain de s’engager dans une compétition inappropriée avec la Russie. « Une flotte de brise-glace n’étant pas apte à conquérir l’Arctique » (49), le véritable enjeu stratégique est sous-marin.
L’attitude souvent provocante de la Russie, qui ne cesse de développer ses capacités sous-marines et de défier dans cette région les pays de l’Otan, comme leurs partenaires suédois et finlandais, doit susciter une réponse capacitaire forte dans le domaine, longtemps négligé par l’Alliance, de la lutte sous-marine. « L’Otan et ses partenaires n’ont pas actuellement les capacités de relever le gant jeté par la Russie en Atlantique Nord » (50). La France, qui a déjà entamé le renouvellement de ses capacités et entre tient un haut niveau de savoir-faire, doit continuer d’investir largement dans ce domaine de lutte, que ce soit en matière capacitaire ou d’entraînement, avec la conduite régulière d’opérations dans le Grand Nord et en Arctique pour les sous-marins nucléaires d’attaque. Par exemple, le programme du futur avion de patrouille maritime (51) devra ainsi être capable d’opérer à haute latitude et le développement d’une filière souveraine de capacité de pistage par bouées acoustiques pourrait être commencé.
Cette expertise française est facilement valorisable auprès de nos alliés du nord. Elle peut s’exprimer en particulier au sein du partenariat trilatéral signé en 2017 avec le Royaume-Uni et les États-Unis, qui incluent les opérations anti-sous-marines. Pareille dynamique permettrait encore d’asseoir notre légitimité et notre crédibilité.
Développer des partenariats privilégiés avec certaines Nations arctiques pour gagner en influence
Dans le contexte actuel de divergences d’intérêts entre États arctiques, de menaces potentielles russe et chinoise, et de rivalités entre puissances (États-Unis–Chine, Russie–Chine), la France dispose d’opportunités pour gagner en légitimité et en influence en se positionnant judicieusement auprès des autres États arctiques. En effet, la plupart sont dans une phase de montée en puissance à des fins de rééquilibrage face à la Russie. Leur appétence à coopérer avec des partenaires non arctiques demeure donc forte dans la mesure où elle leur permettra de consolider des capacités encore déficientes. Il convient donc de développer et de renforcer des coopérations bilatérales ciblées avec les alliés du groupe Arctic-8, auprès desquels nous valoriserons au mieux notre investissement et bâtirons une influence durable.
En ce sens, la Norvège et le Danemark (52) sont à privilégier. Ces deux pays apprécient particulièrement les engagements opérationnels français et les savoir-faire qu’ils peuvent en tirer (53) dans cette période de renforcement de leurs propres capacités. La France pourra compter sur leur soutien dans sa quête de « légitimité nordique », ainsi que sur de précieux points d’appuis logistiques (54) lors des déploiements de ses unités.
L’Islande mérite également une attention particulière, au regard de sa position, centrale dans notre zone d’intérêt prioritaire, et à mi-distance de la métropole et de Saint-Pierre-et-Miquelon. Là encore, l’augmentation des déploiements sur la base de Keflavik de détachements de chasse dans le cadre de missions d’air policing (55) peut compter comme celui d’avions de patrouille maritime pour la lutte anti-sous-marine.
Pour accompagner cette manœuvre d’influence, parallèlement à ces partenariats, il paraît essentiel de développer une « diplomatie de défense » spécifique pour chercher à asseoir davantage la France comme un acteur légitime dans la gouvernance régionale de l’Arctique et marteler son attachement à la liberté d’accès aux espaces communs et au respect de leur statut international. Cette diplomatie doit se construire en coordination avec le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, au sein des nombreux forums et instances de discussion, et en particulier l’Arctic Security Forces Roundtable.
Cependant, c’est bien au niveau du Conseil de l’Arctique qu’il faut agir prioritairement, en tant que membre observateur et via nos partenaires privilégiés. Ambition de long terme – on se souvient de la tentative avortée de Michel Rocard en 2010 (56) – l’évolution du conseil vers plus de multilatéralisme et pour en faire une véritable organisation internationale de sécurité collective, voire l’équivalent d’un « conseil de sécurité de l’Arctique », pourrait être proposée pour assurer la stabilité de la zone. Le soutien de l’ONU pourrait également être recherché dans cette démarche, alors que le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) réclame déjà depuis des années une « gouvernance renforcée » de l’Arctique pour limiter les dégâts environnementaux potentiels. Dans ces perspectives et au vu des enjeux, il semble enfin pertinent d’étudier le dédoublement de la fonction d’ambassadeur des pôles en nommant un ambassadeur pour l’Arctique et un pour l’Antarctique : si l’environnement polaire est comparable, les situations stratégiques, économiques et scientifiques sont en effet bien différentes.
Impliquer l’Europe
Le renforcement de la présence militaire et la manœuvre d’influence française dans le Grand Nord doivent également s’appuyer sur l’Union européenne (UE).
Le Grand Nord, et l’Arctique en particulier, est bien un enjeu européen : trois États-membres de l’UE sont des États arctiques, auxquels on peut adjoindre l’Islande et la Norvège, membres de l’Espace économique européen et associés à l’espace Schengen. On note ainsi que 50 % des habitants de l’Arctique sont européens et que 24 % des hydrocarbures consommés par l’UE proviennent de cette zone.
En 2017, le Parlement européen a voté une résolution officialisant « une politique arctique intégrée de l’UE » centrée sur le développement économique et la protection de l’environnement, mais n’abordant pas la dimension géopolitique et sécuritaire de la zone (57).
La France doit donc inciter l’UE à jouer aussi un rôle central dans le domaine des enjeux de défense afin de sécuriser les voies d’approvisionnement et assurer une liberté d’action dans la zone. Cela passe d’abord par une présence militaire européenne plus visible et différenciée des manœuvres périodiques de l’Otan. L’Initiative européenne d’intervention, qui réunit notamment le Royaume-Uni, le Danemark, la Finlande, et bientôt la Norvège et la Suède, pourrait ainsi voir son activité d’entraînement et ses futures opérations s’orienter en partie vers le Grand Nord. De même, des déploiements conjoints franco-britanniques pourraient être menés dans le cadre du traité de Lancaster House (2010). La sécurité en Arctique constituerait d’ailleurs un excellent sujet à inscrire à l’agenda du sommet anniversaire des dix ans du traité qui doit se tenir fin 2020.
À plus long terme, la France pourrait lancer un projet européen de base permanente dans la zone permettant de renforcer et soutenir sa présence militaire. Le nord de la Norvège et le Groenland pourraient constituer les options les plus intéressantes.
Du côté de la diplomatie de défense, la France a aussi tout intérêt à encourager l’implication de l’UE sur ces problématiques de défense et de sécurité dans les instances de gouvernance. Si l’UE a abandonné son projet de traité international spécifique pour la zone (58), et n’est toujours pas membre du conseil de l’Arctique, elle n’en reste pas moins une actrice circumpolaire active au poids politique important, capable de défendre le respect du droit maritime international et l’application de l’accord de Montego Bay en particulier.
Affirmer une position différenciée vis-à-vis de la Russie
L’accélération de la militarisation de l’Arctique « russe » permet à Moscou d’y asseoir une domination qui restera a priori incontestable dans cette zone jusqu’en 2035 comme évoqué précédemment.
La France devra donc continuer d’affirmer ses intérêts avec fermeté vis-à-vis de la Russie. Le renforcement de notre présence dans cette zone doit être vu comme une réponse à toute velléité de conduire une stratégie de déni d’accès dans les approches maritimes et terrestres russes.
Cependant, l’Arctique pourrait aussi constituer une opportunité privilégiée de concrétiser la volonté de rapprochement avec la Russie initiée par le président de la République en août 2019.
Sans hypothéquer la défense euroatlantique, une approche sortant du cadre otanien de défiance vis-à-vis de la Russie est possible dans des domaines d’intérêt commun comme la sécurité des personnes et des biens ou la protection de la biodiversité en zone polaire. Il semble ainsi envisageable de mettre en place à court terme de nouveaux accords de coopération franco-russe sur le Search and Rescue et la lutte contre les pollutions maritimes par exemple. Enfin, réinviter la Russie à l’ASFR permettrait de mieux « déconflicter » les activités militaires dans l’Arctique.
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En moins de dix ans, le réchauffement climatique accéléré que connaît le Grand Nord s’est aussi accompagné d’un refroidissement des relations intergouvernementales : la région est devenue le théâtre de jeux de pouvoir qui s’apparentent de plus en plus à une nouvelle « guerre froide » entre États pour la liberté de circulation et les ressources de la région.
Avec cette nouvelle donne géostratégique et au vu des évolutions à l’horizon 2040 des multiples facteurs déstabilisants, au premier rang desquels les tensions russo-américaines et l’expansionnisme chinois, les enjeux de défense et sécurité apparaissent désormais comme prioritaires. Leur prise en compte en amont est aujourd’hui essentielle pour appréhender l’ensemble des autres problématiques du Grand Nord : exploitation des ressources, préservation de l’environnement, recherche scientifique.
La stratégie de défense proposée, qui acte ce changement de paradigme, doit permettre à la France de préserver ses intérêts au regard des enjeux d’approvisionnement, de défense collective et de liberté d’action des forces armées françaises. Elle invite à se positionner sur le long terme comme un acteur clé du maintien de la stabilité du Grand Nord, tout en inscrivant pleinement son action dans une perspective de coopération européenne.
Avec la Russie, « pivot » de tous les enjeux, cette stratégie encourage en particulier à poursuivre l’approche collaborative qui a toujours prévalu dans cette zone. Son environnement exceptionnel offre finalement une opportunité unique de servir de cadre exemplaire à une entente entre les Nations. N’est-ce pas la meilleure façon de perpétuer le fameux slogan norvégien « High North, low tension » (Grand Nord, basse tension) ? ♦
(1) Selon la NASA, la banquise a diminué de 35 % entre 1979 et 2015.
(2) Pergélisol (en anglais permafrost) : sol gelé en permanence des régions arctiques.
(3) Les stations scientifiques du Svalbard accueillent par exemple la réserve mondiale des semences.
(4) L’ancienne ministre Ségolène Royal a été nommée ambassadrice des pôles en 2017 après la mort de Michel Rocard en 2016. Elle a été démise de ses fonctions le 24 janvier 2020. Le poste est à ce jour toujours vacant.
(5) Soit après celles de la Grande-Bretagne, l’Allemagne, et même l’Espagne et l’Italie
(6) Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, Le grand défi de l’Arctique – Feuille de route nationale sur l’Arctique, juin 2016, p. 13 (http://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/frna_-_vf_-17-06-web-bd_cle8b359f.pdf).
(7) Un noyau Arctic-5 constitué par les cinq États riverains (États-Unis, Canada, Danemark, Norvège et Russie), et un Arctic-8+ avec les trois États au nord du cercle polaire (Islande, Finlande et Suède). À cela s’ajoutent douze États observateurs, dont la France et, depuis 2013, la Chine.
(8) ASFR : Forum de dialogue entre les forces militaires des huit Nations arctiques, auxquelles s’ajoutent l’Allemagne, la France, les Pays-Bas et le Royaume-Uni ; créé en 2011 à l’initiative des États-Unis.
(9) ACDSM : Réunion annuelle des chefs d’état-major des huit Nations arctiques créée en 2012. Aussi appelée Northern Chiefs of Defence Conference (NCDC).
(10) Depuis, chaque exercice militaire conduit côté russe (Sever, Tsentr) et côté Otan (Cold Response, ICEX, Trident Juncture) tend à augmenter le niveau des tensions.
(11) CNUDM, dite aussi convention de Montego Bay, non ratifiée par les États-Unis.
(12) Le PNE, de la mer de Norvège au détroit de Béring, est l’une des quatre grandes routes intercontinentales via la zone arctique. À l’intérieur se situe la route maritime du nord (RMN), depuis la Nouvelle-Zemble jusqu’au détroit de Béring, avec un régime juridique russe particulier (escorte de brise-glace).
(13) Largeur de 60 à 200 km et élévation entre 3 300 et 3 700 m au-dessus du fond océanique.
(14) Selon une étude de l’US Geological Survey, l’Arctique renfermerait 13 % du pétrole et 30 % du gaz qui resteraient à découvrir sur Terre (https://pubs.usgs.gov/fs/2008/3049/fs2008-3049.pdf). Le Groenland recèlerait de son côté 25 % des réserves mondiales de « terres rares ». Enfin, 10 % des ressources halieutiques seraient en Arctique, chiffre qui pourrait grimper à 40 % avec les changements de migrations des poissons. Voir Foucher Michel, L’Arctique, la nouvelle frontière, 2014, Biblis, 192 pages.
(15) En l’espace de quelques années, les analyses se sont infléchies. De nouvelles études prédisent que l’Arctique captera jusqu’à 25 % du trafic Asie-Europe. Voir Mered Mikaa, Les mondes polaires, Puf, 2019, 526 pages.
(16) Un plan de développement de la route maritime du Nord, en 84 points et pour un montant de 261 milliards de dollars sur 15 ans, a été signé le 21 décembre 2019 par le Premier ministre russe Dimitri Medvedev.
(17) La majorité des 7,5 millions de km 2 de la ZEE russe se trouve dans le Grand Nord.
(18) 80 % de la production de gaz et 20 % de la production de pétrole russes. Voir Mered Mikaa, op. cit.
(19) Gouvernement de Russie, « O Strategii razvitija Arktitcheskoj zony Rossijskoj Federacii i obespetchenija nacional’noj bezopasnosti na period do 2020 goda », février 2013 (http://government.ru/info/18360/).
(20) L’île de Kotelny, l’île Sredny, l’archipel de Nouvelle-Zemble, la Terre d’Alexandra, l’île Wrangel et le cap Schmidt.
(21) Le système de défense côtière Bastion, avec ses missiles Oniks, est au cœur de l’architecture de défense et peut être déployé loin du rivage et hors de portée de l’artillerie navale ennemie ; les systèmes S-400 déployés en 2019 protègent la région contre toute agression aérienne, avec le soutien des radars Voronej et tout récemment Rezonans-E. La dissuasion aérienne n’est pas en reste avec l’essai récent d’un missile hypersonique Kinjal pour la première fois en Arctique.
(22) Pour la dissuasion océanique russe, la mer de Barents est le bastion principal.
(23) La Russie arme déjà une flotte de 40 brise-glace. Un programme de construction de six brise-glace est prévu d’ici 2040. Le premier de ses nouveaux brise-glace LK-60 à propulsion nucléaire, l’Oural, a été lancé en mai 2019. Voir Laruelle Marlène, « La politique arctique de la Russie : une stratégie de puissance et ses limites », Russie.Nei.Visions, n° 117, Ifri, mars 2020 (www.ifri.org/).
(24) State Council Information Office of the People’s Republic of China, « China’s Arctic Policy », 26 janvier 2018 (english.www.gov.cn/).
(25) La Chine est le premier investisseur extérieur dans tous les pays riverains de l’Arctique. Voir Mered Mikaa, op. cit.
(26) Construction d’un brise-glace et signature d’un accord de libre-échange avec l’Islande qui s’est concrétisé par la construction de la plus grande ambassade de Reykjavik. Pékin viserait aussi le développement d’un brise-glace à propulsion nucléaire et à plus long terme, de la conception de cargos brise-glace à propulsion nucléaire. Voir Mered Mikaa, op. cit.
(27) La Chine a investi près de 195 Mds de dollars en Russie entre 2012 et 2017. Voir Rosen Mark E. et Thuringer Cara B., Unconstrained Foriegn direct Investment : An emerging challenge to Arctic security, CNA, novembre 2017, p. 54.
(28) Gros Philippe et Tenenbaum Élie, Arctique/Atlantique Nord : problématiques stratégiques et capacitaires, Observatoire des conflits futurs, septembre 2019, p. 5 (www.frstrategie.org/).
(29) National Strategy for the Arctic region, mai 2013, 13 pages (https://obamawhitehouse.archives.gov/).
(30) « Donald Trump confirme qu’il aimerait acheter le Groenland », Le Monde, 19 août 2019 (www.lemonde.fr/).
(31) Department of Defense, 2019 DoD Arctic Strategy, juin 2019, 18 pages (https://media.defense.gov/).
(32) Des projets de port en eaux profondes à usage dual ont été lancés, les réseaux de détection et de contrôle aériens dépendant du commandement Nord des États-Unis (NorthCom) sont en cours de modernisation, les déploiements navals et aériens sont accélérés.
(33) Total possède 20 % de Yamal LNG et 10 % du projet Arctic LNG2, sites majeurs d’exploitation gazière au nord de la Sibérie. Technip FMC et Engie sont également présents. Voir Mered Mikaa, op. cit.
(34) En 2018, 39 % du gaz importé était norvégien et 20 % était russe. Voir Commissariat général au développement durable, Chiffres clés de l’énergie, septembre 2019, p. 51 (www.connaissancedesenergies.org/). 8 % du pétrole était russe et 6 % norvégien. Voir Insee, « Provenance du pétrole brut importé en France », décembre 2019.
(35) De la start-up aux grands groupes (Vinci, Orange…), de nombreux secteurs sont présents dans le Grand Nord : énergies, logistique, systèmes de communication, BTP, pêche, câbles sous-marins, réseaux d’infrastructures.
(36) Mered Mikaa, op. cit.
(37) Foreign and Commonwealth Office, Beyond the ice: UK policy towards the Arctic, avril 2018, 33 pages (assets.publishing.service.gov.uk/).
(38) Une base scientifique franco-allemande AWIPEV est présente au Svalbard.
(39) Le grand défi de l’Arctique, op. cit, juin 2016, p. 35.
(40) Lors de son discours au sommet de l’Arctique le 6 mai 2019 à Rovaniémi (Finlande), le secrétaire d’État américain, de Mike Pompeo, a déclaré que le conseil de l’Arctique était trop inclusif.
(41) En français : « Un espace potentiel de compétition stratégique ». Voir 2019 DoD Arctic Strategy, op. cit., p. 5.
(42) En français : « L’Arctique reste vulnérable à un “débordement stratégique” des tensions, des compétitions ou des conflits qui émergent dans d’autres régions ». Ibid, p. 6.
(43) Computized Command, Control, Communications, Intelligence, Surveillance, Recognition.
(44) Gros Philippe et Tenenbaum Élie, op. cit., p. 23.
(45) En moyenne -1,6 °C en zone arctique. Voir Lettre d’Actualité navale, n° 40, 10 octobre 2016.
(46) Norme issue de la réglementation maritime permettant à un bâtiment de naviguer en océan Arctique sans soutien de brise-glace.
(47) Réglementation de navigation spécifique aux eaux polaires élaborée par l’Organisation maritime internationale et entrée en vigueur en 2017.
(48) En français : « Écart capacitaire dans le domaine des brise-glace ».
(49) Andreas Kuersten, expert américain au National Oceanic and Atmospheric Administration on Arctic projects. Voir Lettre d’Actualité navale, n° 40, op. cit.
(50) Hicks Kathleen H. (dir.), Undersea Warfare in Northern Europe, Center for Strategic & International Studies, juillet 2016, p. V (www.csis.org/analysis/undersea-warfare-northern-europe).
(51) Projet franco-allemand MAWS (Maritime Airborne Warfare System) en remplacement des Atlantique 2 de la Marine nationale et des Lockheed P-3 Orion de la Deutsche Marine.
(52) Les entraînements conjoints de type Cold Response pourraient être intégrés dans les politiques de défense des pays.
(53) La frégate danoise Niels Juel a été intégrée à deux reprises au sein du groupe aéronaval français en 2019 et 2020 dans des missions de lutte contre Daech (opération Chammal) et de réassurance au profit de l’Otan en mer du Nord.
(54) Bases de Bodo et de Tromsoe, en Norvège, base de Nuuk, au Groenland.
(55) Ces missions de police de l’air menées dans le cadre de l’Otan ont pour but de faire respecter l’espace aérien des pays membres.
(56) Alors ambassadeur pour les pôles, il avait proposé une réforme du conseil de l’Arctique en demandant l’élargissement des sujets discutés et la création d’un statut de « membre associé » pour les États non arctiques les plus impliqués. Cette proposition avait été vigoureusement rejetée par le Conseil de l’Arctique.
(57) La stratégie de l’UE traite des domaines prioritaires suivants :
– lutter contre le changement climatique et sauvegarder l’environnement arctique ;
– promouvoir le développement durable dans la région ;
– soutenir la coopération internationale.
(58) En 2008, l’UE a proposé la signature d’un nouveau traité international spécifique à l’Arctique, soulignant le caractère international des passages arctiques (froissant donc la Russie et le Canada) et qui y gèlerait toute revendication maritime (sapant donc directement les prétentions des cinq riverains de l’océan). Cette proposition a été rejetée par les membres du conseil de l’Arctique.