Les Outre-mer imposent à la France une responsabilité morale singulière et constituent un véritable atout dans le cadre de sa stratégie de puissance d’équilibre. Alors que les appétits de puissance et les convoitises s’expriment de plus en plus ouvertement, nos Outre-mer constituent autant d’enjeux pour des compétiteurs déterminés. Or, l’écart entre les ambitions affichées, les moyens disponibles et les politiques mises en œuvre par la France décrédibilise et fragilise sa souveraineté ultramarine. Face au durcissement des menaces, la France doit agir avec détermination pour renforcer ses partenariats, adapter ses forces de souveraineté et mettre en valeur les ressources de ses Outre-mer.
Contestation de la souveraineté : quelles réponses de la France dans ses Outre-mer ?
À la fois méconnus et omniprésents dans l’imaginaire national et dans l’actualité, les Outre-mer constituent à bien des égards une singularité stratégique française, en particulier au sein de l’Union européenne. Atout flatteur pour un pays qui n’a intellectuellement jamais renoncé à tenir son rang et à peser sur les affaires du monde, les Outre-mer hissent, de fait, la France au rang des puissances globales. Toutefois, ils la rendent également responsable du sort de populations vivant sur des territoires fragiles et très éloignés de la Métropole, comptable de la bonne gestion de ressources et d’espaces immenses qui la mettent directement au contact de la plupart des tensions géostratégiques mondiales. Tiraillée entre une vision exotique idéalisée et une réalité géographique comme sociale parfois très difficile, mais aussi entre une ambition stratégique mondiale sans cesse réaffirmée et la réalité des moyens disponibles pour un pays sous forte contrainte budgétaire, la souveraineté ultramarine de la France est de plus en plus questionnée.
Alors que les analyses de la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale (RSDSN) de 2017 soulignent, à la suite des Livres blancs, l’atout que représentent les territoires ultramarins, cette même revue fait le constat d’un contexte international en dégradation rapide et durable (1) qui met en lumière certaines fragilités préoccupantes de nos Outre-mer. Parmi ces dernières, le dimensionnement au plus « juste (2) » des forces de souveraineté saute aux yeux. En effet, des années de restrictions budgétaires et de renoncements ont conduit à une érosion importante de nos capacités, pourtant déjà comptées. Cet écart entre les ambitions affichées, les moyens disponibles et les politiques mises en œuvre décrédibilise la capacité et la détermination de la France à assumer pleinement sa souveraineté.
Alors que les stratégies de puissance et les convoitises de ses compétiteurs s’expriment de plus en plus ouvertement, la France doit changer de grammaire et de référentiel stratégiques, et faire de sa souveraineté ultramarine un pivot de son positionnement comme puissance d’équilibre.
Un atout stratégique majeur, mais des moyens limités pour le mettre en valeur
Un atout stratégique pour affirmer et nourrir de grandes ambitions
Lors de la clôture des assises des Outre-mer en juin 2018, le président de la République déclarait : « Nous sommes un pays un peu particulier. […] Il y a un archipel de France. […] la Nation française […] ne serait pas simplement limitée à l’Hexagone et à des confettis d’empires (3) ». Affirmant la place des territoires ultra-marins dans « l’identité stratégique » nationale, il soulignait, en même temps, la tentation permanente de les considérer comme un héritage bien encombrant. Dans ces 5 départements et 7 collectivités vivent environ 2,8 millions de Français, soit environ 4 % de la population. Avec un salaire moyen inférieur de 10 % à celui de la Métropole et un taux de chômage trois fois supérieur, il est indéniable que les Outre-mer font face à de lourdes difficultés économiques et sociales essentiellement liées à leurs caractéristiques naturelles et historiques. Pour pallier ces handicaps structurels, les Outre-mer bénéficient de transferts massifs de l’État, de l’ordre de 18,7 milliards d’euros en 2019 (4), sous forme d’aides et de mesures de défiscalisation, sans que cela permette une dynamique vertueuse de développement. Les Outre-mer attirent paradoxalement plus facilement l’attention par leur « coût » et leurs difficultés lors de catastrophes naturelles ou de mouvements sociaux, que par leur intérêt stratégique.
Pourtant, les Outre-mer, héritage des plus anciennes colonies françaises, incarnent aussi par leur richesse humaine et leur diversité culturelle l’ambition universelle de la France. Ils sont essentiels dans l’affirmation de sa puissance et dans son positionnement de puissance d’équilibre sur l’échiquier mondial en lui permettant d’être présente et actrice sur toutes les mers et dans toutes les régions du monde. Ils offrent à la France des possibilités rares et enviées d’action, de rayonnement et d’influence que les analyses de la RSDSN soulignent avec force à la suite des Livres blancs (5). La France peut, grâce à ses territoires ultramarins, se projeter hors du cadre de l’Europe continentale et faire entendre sa voix au sein de nombreuses forums régionaux. À la fois atlantique, pacifique et indienne, la France revendique, outre son appartenance aux clubs très fermés des membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies et des puissances nucléaires, le statut rare de puissance globale.
Les Outre-mer conditionnent et façonnent la culture stratégique française et font de la France un acteur singulier parmi ses partenaires européens (6) en l’obligeant à penser à l’échelle du globe. Être présent partout dans le monde permet d’analyser, de comprendre et de prendre en compte la dynamique et les évolutions probables de l’environnement stratégique de chacune des grandes régions où la France est présente. Les Outre-mer démultiplient ainsi les capacités de connaissance et d’anticipation, par la connaissance intime des zones de responsabilité confiées à chaque commandement supérieur et par le déploiement d’un réseau de capteurs (7) de renseignement. La France dispose ainsi de points d’appui le long des grands axes d’approvisionnements stratégiques au plus près des flux de matières premières, de marchandises et d’informations via les câbles sous-marins, notamment dans le canal du Mozambique, probable « mer du Nord du XXIe siècle (8) », par lequel transitent déjà 30 % de la production mondiale de pétrole.
Le deuxième domaine maritime du monde et l’accès exclusif à de nombreuses ressources naturelles
Parmi les attributs les plus significatifs de sa puissance ultramarine, la France possède depuis l’adoption en 1982 de la convention des Nations unies sur le droit de la mer, dite de Montego Bay, la deuxième Zone économique exclusive (ZEE) du monde derrière les États-Unis et avant l’Australie. « Occupant les deux hémisphères et tous les azimuts, la ZEE française est la seule sur laquelle le soleil ne se couche jamais », comme le note, non sans une certaine emphase, un rapport sénatorial (9). Les Outre-mer, essentiellement les archipels du Pacifique, contribuent à hauteur de 97 % à ses 11,5 millions de km² d’espace de souveraineté, un espace supérieur au territoire chinois ou à ce que l’empire colonial à son apogée a apporté à la France (10). Le Royaume-Uni, autre ancien empire colonial, dispose quant à lui d’une ZEE de 6,8 millions de km².
En outre, la possibilité offerte par la convention de Montego Bay à un État côtier de prolonger le plateau continental sous sa juridiction jusqu’à 350 milles fait potentiellement du domaine maritime français le premier mondial (11). La France bénéficie ainsi d’un accès exclusif à de nombreuses ressources, encore inexploitées pour certaines, en l’absence, à ce stade, de techniques d’exploitation durables et rentables. Il s’agit essentiellement de ressources halieutiques, mais également de ressources énergétiques fossiles et de métaux stratégiques dont la pénurie est annoncée alors même que leur emploi ne cesse de croître. Sous l’effet de la hausse des cours et du développement de nouvelles technologies d’extraction, ces ressources encore mal évaluées constituent un potentiel de développement extrêmement important. La ZEE française pourrait receler notamment des ressources pétrolières et gazières dans le canal du Mozambique et au large de la Guyane, ainsi que des ressources minérales particulièrement convoitées comme le cobalt, l’indium et le germanium sous forme de nodules polymétalliques, d’amas sulfurés et de boues rares dans les eaux des territoires du Pacifique.
Superficie de la ZEE (milliers de km2) | Ratio ZEE / Superficie terrestre | |
France | 10 164 | 15,1 |
Hexagone | 349 | 0,6 |
Antilles-Guyanne | 264 | 2,9 |
Océan Indien | 401 | 362,3 |
Polynésie Française | 4 497 | 1 152 |
Nouvelle Calédonie | 1 364 | 73,4 |
Walis et Futuna | 266 | 1 900 |
Îles australes | 2 539 | 411 |
Saint-Pierre-et-Miquelon | 434 | 41,7 |
Clipperton | 434 | 43 400 |
Carte : Les ZEE françaises (12)
Une fragilisation évidente des moyens d’assurer la souveraineté française
Les forces de souveraineté, réparties dans les trois grands bassins océaniques, ont vocation à assurer une présence permanente dans les territoires d’Outre-mer. Progressivement mis en place depuis les années 1960, ce dispositif a évolué au gré des priorités stratégiques et des transformations de la Défense. C’est au milieu des années 2000, à l’occasion de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) et de la publication du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, que ce dispositif a été le plus profondément bouleversé, strictement recentré sur les missions de défense et drastiquement réduit (13). Alors que cette réduction devait s’accompagner d’une augmentation concomitante des capacités des forces de sécurité intérieure et de sécurité civile, aucun effort n’a finalement été engagé en ce sens.
Dans un contexte général de désengagement de l’État, le recours aux moyens structurellement polyvalents des armées est donc resté indispensable pour assurer la sauvegarde des populations notamment en cas de catastrophes naturelles, la plupart des territoires ultramarins étant en effet soumis à d’importants risques naturels, sismiques et climatiques. Dès 2013, le Livre blanc a dressé le constat d’un « risque important de rupture capacitaire qui pourrait entraîner l’État à ne plus pouvoir remplir de façon appropriée l’ensemble des missions qui lui incombent dans les Outre-mer » (14). Les mesures énergiques qui s’imposaient pour affirmer la souveraineté française, tant vis-à-vis de ses alliés et de ses compétiteurs que vis-à-vis de ses citoyens ultramarins (15), n’ont toutefois pas été prises. Il a fallu attendre la RSDSN de 2017 et la Loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 pour que cette tendance commence à s’inverser, notamment sur le plan maritime (16). Dans l’intervalle, les forces de souveraineté sont arrivées à un point de tension extrême qui affecte toutes les capacités, tant d’action que de rayonnement dans le cadre de la diplomatie de défense.
Dans le domaine maritime, l’immensité de nos ZEE, systématiquement envisagée comme une source de puissance, constitue également une faiblesse. Selon une autre image employée par les sénateurs, « la présence sur l’ensemble des ZEE s’apparente au remplissage du tonneau des Danaïdes » (17), au regard des moyens présents pour assurer une présence régulière et une capacité significative à agir et à faire valoir nos droits. Dimensionnée au plus juste, dans la perspective d’une montée rapide et régulière du parc A400M permettant l’envoi de moyens depuis la Métropole, la flotte de transport déployée Outre-mer a souffert de la disparition des C-160 Transall et de leur remplacement par des CN-235 Casa aux capacités d’emport et au rayon d’action plus limités. Cette réduction de capacité remet fortement en cause la mobilité intrathéâtre quand ce n’est pas la capacité à remplir certains contrats opérationnels. Quant à la composante terrestre, « sa principale faiblesse ne dépend pas d’elle, puisqu’il s’agit de sa mobilité réduite (18) ». De fait, hormis en Guyane, où les opérations Harpie et Titan (19) justifient de moyens plus conséquents, les capacités des unités de l’Armée de terre sont limitées, notamment en raison d’un vieillissement généralisé de leurs matériels et de leurs véhicules, tous d’ancienne génération, dont la disponibilité est de plus en plus difficile à garantir.
Cette réduction du dispositif militaire est d’autant plus préoccupante que le changement climatique et la pression migratoire aggravent les risques naturels et sociaux propres aux Outre-mer, mettant les armées en première ligne, hors du champ strictement militaire. Les territoires ultramarins sont en effet « aux avant-postes » du changement climatique, ce qui impose un devoir de protection particulier à l’État. Ils font partie des territoires les plus vulnérables face à l’augmentation prévisible de la force des cyclones et à l’élévation du niveau de la mer. Cette dernière pourrait conduire, non seulement à la disparition de portions du territoire français en raison de leur très faible élévation, mais également des ZEE qui leur sont associées. Les atolls de l’archipel des Tuamotu sont menacés à l’instar d’autres micro-États du Pacifique ; certaines des îles Éparses également.
Un rapport sénatorial note en outre que « les enjeux de l’adaptation aux dérèglements climatiques dans les territoires ultramarins se posent de manière particulièrement aiguë et urgente en raison des vulnérabilités propres à ces territoires » (20). Ces risques naturels pèsent en effet sur des sociétés souvent fragiles, marquées par un fort taux de délinquance, de chômage et de pauvreté ainsi que de profondes inégalités sociales. Autre phénomène aggravant, des territoires comme Mayotte et la Guyane sont soumis à une pression migratoire croissante qui met à mal la cohésion sociale, détériore la sécurité publique au point que les armées sont amenées à participer à la lutte contre l’immigration illégale. Mayotte apparaît comme le territoire emblématique de ces risques et de ces fragilités. Cumulant immigration massive, risque majeur du stress hydrique et risque sismique, le plus récent des départements français met véritablement la Métropole au défi d’assumer pleinement sa souveraineté avec des moyens extrêmement comptés.
Une souveraineté ouvertement contestée, des ressources de plus en plus pillées
De multiples contestations politiques
En bruit de fond de ces contestations, la critique de l’héritage colonial de la France continue à se faire entendre, notamment au sein des Nations unies. Deux territoires sous souveraineté française, la Nouvelle-Calédonie depuis 1986 et la Polynésie française depuis 2013 (21), sont ainsi inscrits sur la liste des territoires non autonomes établie par le Comité spécial chargé d’étudier la situation en ce qui concerne l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux (22). Celui-ci offre une tribune internationale aux partis indépendantistes présents dans ces territoires : le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) en Nouvelle-Calédonie et le Tavini huira’aatira (« Servir le peuple polynésien ») en Polynésie. Si l’on ne peut que se satisfaire du renoncement des partis indépendantistes à l’usage de la violence politique, comme en témoigne la tenue dans des conditions satisfaisantes du référendum d’autodétermination en Nouvelle-Calédonie, ces revendications, que des puissances concurrentes peuvent soutenir discrètement, n’en constituent pas moins une vulnérabilité.
De fait, les litiges sont essentiellement internationaux. Les frontières des espaces sous juridiction française ne sont pas encore complètement délimitées ni pleinement reconnues, et de fait ou pas toujours respectées par un certain nombre d’acteurs (23). Ainsi, une trentaine de désaccords internationaux sur la délimitation des ZEE persistent et font l’objet d’âpres discussions. Si certains peuvent sembler anecdotiques, comme la délimitation de la zone de l’étang aux Huîtres sur l’île de Saint-Martin partagée avec les Pays-Bas, d’autres différends remettent plus directement en cause la souveraineté de la France et sont porteurs de davantage d’enjeux politiques, environnementaux, économiques et stratégiques. On peut notamment retenir les revendications de Madagascar sur les îles Éparses dans le canal du Mozambique, de l’île Maurice sur Tromelin, du Mexique sur l’atoll de Clipperton, du Vanuatu sur les îlots de Marshall et Hunter. Pour être complet, il faut citer la revendication de l’archipel des Comores sur Mayotte et signaler la persistance de tensions aux frontières terrestres de la Guyane, en particulier avec le Suriname le long du fleuve Maroni, et de façon plus anecdotique avec le Brésil le long de la plus longue frontière terrestre de la France (730 km), dont les légionnaires et marsouins (24) entretiennent les bornes au plus profond de la forêt amazonienne.
Les ressources ultramarines particulièrement convoitées et parfois pillées
À l’exception de Mayotte et de la Guyane, ces différends frontaliers portent sur des îlots inhospitaliers et inhabités. Ils mettent essentiellement en lumière les convoitises que suscitent les ressources présentes dans les ZEE et en premier lieu les ressources halieutiques. Ces dernières excitent d’autant plus d’appétits, qu’en raison de la politique stricte de préservation de la ressource appliquée par la France, les ZEE françaises constituent des sanctuaires pour certaines espèces très recherchées. Ce que l’on peut qualifier de « pêche pillage » est observable dans l’ensemble des Outre-mer. Parmi les épisodes récents les plus marquants, on peut noter la campagne de pêche illégale menée en 2017 dans les eaux de la Nouvelle-Calédonie par une flottille de bateaux de pêche vietnamiens, désignés sous le terme de « blue boats ». Particulièrement élaborée, elle faisait notamment appel à des bâtiments mères assurant un soutien logistique depuis la haute mer. Dans le canal du Mozambique, autour des îles Éparses, la Marine nationale a saisi, pour l’année 2018, 70 tonnes de poissons illégalement pêchés. En Guyane, en dépit d’une coopération étroite avec les autorités de Brasilia, de nombreux bateaux de pêche brésiliens, motivés par une demande croissante d’Extrême-Orient n’hésitent pas à affronter violemment la Marine nationale et la gendarmerie maritime. Quant aux immenses ressources potentiellement exploitables dans les fonds marins, les campagnes de forages exploratoires de la Turquie dans les eaux territoriales chypriotes tendent à montrer qu’elles pourraient, tôt ou tard, être également menacées.
Cette convoitise n’est pas limitée aux étendues océaniques. L’exploitation illégale de l’or en Guyane constitue un autre exemple marquant du pillage des ressources françaises. Malgré les efforts entrepris pour limiter l’orpaillage illégal, l’opération Harpie ne parvient pas à stopper le phénomène et fait face à des « garimpeiros (25) » organisés et souvent violents qui profitent aisément de la porosité des frontières avec le Suriname et le Brésil. On estime que chaque année plus de 10 tonnes d’or, soit environ 440 millions d’euros, sont ainsi volées à la France (26), au prix d’une dégradation importante de l’environnement due à l’exploitation anarchique des gisements et notamment à l’utilisation massive de mercure.
Une menace de plus en plus forte dont la France ne prend pas assez conscience
Face à ces contestations, l’État français a depuis des années adopté une attitude conciliante et privilégie la voie de la négociation, sans tout mettre en œuvre pour rappeler et faire respecter sa souveraineté. Faute de moyens et sans le dire, l’État renonce à agir. L’accord de pêche signé en 2007 avec le Mexique autorise ainsi les navires mexicains à pêcher dans la ZEE de Clipperton, particulièrement riche en thons, sans verser de redevance et sans limites de quantité (27). En 2014, un rapport sénatorial dressait en la matière un constat très sévère, jugeant que la France n’assumait pas ses responsabilités et que cette insuffisante affirmation de la souveraineté française induisait une fragilité croissante (28). À la même période, le sujet de la souveraineté dans les Outre-mer a été porté à l’Assemblée nationale par le député du Tarn, Philippe Folliot, qui s’est fait le héraut et le défenseur de ces territoires français isolés. Il est parvenu, en 2013 puis en 2017, à faire échouer la ratification du Traité de cogestion de Tromelin avec l’île Maurice signé en 2010. Cependant, en 2019, le président Macron s’est engagé dans une démarche analogue avec Madagascar, en initiant une commission mixte sur les îles Éparses qui doit rendre ses conclusions en juin 2020. Autant cette initiative a pu passer inaperçue en France métropolitaine, autant elle constitue pour les autorités malgaches un projet politique fédérateur. Projet qui pourrait in fine bien faire les affaires de la Chine qui, de façon discrète, mais déterminée, appuie les revendications de Tananarive.
Car au-delà de la question de principe sur « l’unité et l’indivisibilité de la République », c’est bien la réalité du contexte international qui amène à s’interroger sur le bien-fondé de l’attitude française. Derrière les revendications territoriales de Maurice ou de Madagascar sur des territoires français, l’ombre portée de grands compétiteurs stratégiques, et en particulier de la Chine, est en effet de plus en plus aisée à discerner. L’imbrication de ces enjeux de souveraineté locale avec les grandes tensions géopolitiques internationales de plus en plus étroite (29). Or, ce changement d’échelle devrait nous inciter à réfléchir et à prendre conscience de l’ampleur de la menace dans un contexte stratégique marqué par la fragilisation du droit international et des grands principes qui fondent la souveraineté ultramarine de la France. Sous couvert de son initiative « une ceinture, une route », la Chine s’est lancée résolument dans l’établissement et l’élargissement d’une vaste zone d’influence en s’appuyant notamment sur des capacités d’investissements colossales. Dans le Pacifique, cette poussée chinoise est d’ores et déjà considérée comme une menace sécuritaire par les États-Unis et les puissances régionales comme l’Australie ou la Nouvelle-Zélande qui ont commencé une stratégie de « roll back ». Si la perception d’un danger immédiat est moindre en France, un certain nombre de signaux doivent être suivis avec attention et sans naïveté. Au-delà de ses intérêts économiques de captation de ressources et de contrôle des flux, la Chine poursuit également un objectif politique, les micro-États du Pacifique représentant un poids non négligeable à l’Assemblée générale des Nations unies (30). La dimension militaire, par la constitution progressive d’un réseau de points d’appui jusque dans le Pacifique sud, est par ailleurs évidente.
Le Vanuatu est emblématique de ce néo-colonialisme économique. Présente depuis les années 1980 et l’indépendance de cet ancien condominium franco-britannique des Nouvelles-Hébrides, la Chine a désormais largement supplanté la France comme premier investisseur et partenaire commercial. Pékin mise également sur la coopération culturelle et militaire pour établir des liens étroits avec Port-Vila (capitale du Vanuatu). Les investissements chinois ont permis notamment la construction d’infrastructures portuaires potentiellement duales, capables d’accueillir des bâtiments militaires. En quelques années, la Chine est parvenue à s’implanter solidement dans une zone d’influence française à 550 km de la Nouvelle-Calédonie. Outre l’érosion de sa capacité d’influence, la France doit être attentive à préserver son indépendance dans certains secteurs économiques et dans certaines infrastructures stratégiques. Outre un intérêt chinois marqué pour l’aéroport international de Tahiti-Faaa, la Polynésie française fait d’ores et déjà l’objet d’investissements importants, notamment dans une ferme piscicole sur l’atoll d’Hao. Or, cet ancien site du centre d’essais du Pacifique (CEP) dispose en plein Pacifique d’une piste d’aviation de 3 000 m, un bel effet d’aubaine, voire un bel exemple de stratégie indirecte… En outre, en Polynésie, la Chine cherche à s’appuyer sur une communauté chinoise industrieuse et influente. Pékin entretient avec cette dernière des relations étroites par le biais d’un consulat très actif, et voit certainement en elle une population « activable » de choix pour ses services. Particulièrement marquée dans le Pacifique, la poussée stratégique de la Chine n’est pas pour autant limitée à cet océan. Ainsi, dans l’océan Indien, on constate une présence et une influence grandissante de la Chine dans tous les secteurs à Madagascar ou dans les Comores, mais également sur notre territoire national, à La Réunion. Enfin, dans les Caraïbes, la Chine est d’ores et déjà un partenaire commercial important du Brésil et cette tendance va en s’accroissant.
Terrain de compétition économique et de luttes d’influence, les vastes ZEE ultramarines constituent, pour la puissance qui a théorisé la « guerre hors limites (31) », des « zones grises » idéales, c’est-à-dire situées en deçà du double seuil de l’agression et de l’attribution. Afin d’asseoir leur souveraineté dans des zones contestées en mer de Chine, les Chinois ont par exemple mis sur pied une milice paramilitaire sous l’autorité du Parti communiste pour se livrer à des activités de pêche illégales. Ce mode d’action pourrait progressivement être importé dans les ZEE françaises, or « le déploiement d’une force navale dans une zone maritime riche en ressources minières ou halieutiques, y compris une zone sous juridiction (ZEE) d’un État tiers, [est] explicitement autorisé par la Convention de Montego Bay, [un tel acte] reste en deçà du seuil de l’agression (32) ». Citant l’amiral James Stavridis (33), qui estimait en 2017 que la prochaine guerre serait commencée par un conflit lié à la pêche, l’amiral Prazuck, chef d’état-major de la Marine, s’interroge sur notre possible réaction à ce type d’action, de plus en plus probable à mesure qu’augmentent les convoitises dont font l’objet nos ressources halieutiques : « une ressource vitale pour des dizaines de millions d’êtres humains, pillée dans des proportions gigantesques par des flottilles quasi militaires : n’est-il pas temps d’y consacrer des moyens coordonnés à la mesure des enjeux de sécurité alimentaire ? (34) ».
Concomitamment, mais de manière plus discrète, on observe également un retour russe à Madagascar, point d’appui important du bloc soviétique pendant la guerre froide (35). Les départements français d’Amérique pourraient voir leur environnement régional dégradé par la crise du Venezuela, pays qui entretient par ailleurs des liens de coopération militaire étroits avec la Russie (36). Les Outre-mer, jusqu’alors relativement marginalisés, reviennent insensiblement dans le « grand jeu » stratégique, caractérisé par une compétition exacerbée et le recours désinhibé à la force, ou à tout le moins à des modes d’action contraires au droit.
Remettre en cohérence ambitions et moyens
Face au constat de la fragilisation de son influence, alors que les risques
s’aggravent et que des menaces se précisent, une attitude attentiste de la France n’est plus permise, car elle rendrait définitivement incantatoires ses ambitions globales et sa souveraineté.
Dans le domaine politique et diplomatique, renforcer l’intégration régionale des Outre-mer
Une telle ambition ne saurait être portée efficacement qu’en affichant une ferme volonté politique et en adoptant une stratégie globale et un narratif centrés sur nos intérêts, la prospérité de nos territoires et la puissance de la France. Pour cela, la gouvernance des Outre-mer devrait être réexaminée en renforçant les capacités de prospective du ministère de l’Outre-mer (MOM). Ce dernier est aujourd’hui principalement chargé de la coordination et de l’adaptation de multiples politiques sectorielles, essentiellement dans le domaine socio-économique. Cet effort permanent de coordination et de plaidoyer ne permet pas de consacrer suffisamment de ressources à la réflexion stratégique et prospective globale. La multiplication des délégués interministériels chargés de questions ultramarines en témoigne.
Les capacités du MOM pourraient être renforcées par une cellule dédiée à la réflexion stratégique, à laquelle des officiers supérieurs seraient à nouveau associés (37). Ce renforcement des capacités d’anticipation et de planification devrait par ailleurs s’accompagner d’une densification du maillage diplomatique en affectant, auprès de chaque préfet et haut-commissaire, un conseiller diplomatique chargé de l’intégration régionale de chaque territoire, en complément des trois ambassadeurs à la coopération régionale placés sous double tutelle du MOM et du ministère des Affaires étrangères. L’avenir des Outre-mer passe en effet par leur intégration dans leur environnement et ce que M. Lechervy, ancien ambassadeur de France auprès de la Communauté du Pacifique (CPS (38)), décrit comme un « mini-latéralisme de concertation et d’action (39) ». Sans de telles politiques de voisinage ambitieuses et actives, la France risque de demeurer perçue comme une puissance européenne occasionnellement présente plutôt qu’un acteur légitime et impliqué dans la région.
Dans l’Indo-Pacifique, les moyens déployés par la France demeurent particulièrement modestes au regard de l’immensité de la région et des défis qui se profilent. Cette faiblesse relative incite naturellement à une politique partenariale particulièrement active. La stratégie de défense de la France dans cette zone géographique présentée en 2019 témoigne de sa volonté d’intégration. Il s’agit de faire de la France un partenaire pleinement impliqué dans la gestion des problématiques communes, crédible et de confiance. À cet égard, notre pays s’appuie essentiellement, dans l’océan Indien, sur le partenariat stratégique conclu avec l’Inde en 1998. Dans ce cadre, la France a notamment ouvert en 2018 ses bases navales aux navires de la marine militaire indienne et initié des projets de mutualisation de la surveillance des ZEE, comme le déploiement d’un avion de patrouille maritime indien à La Réunion, et de façon plus ambitieuse le développement d’une constellation commune de satellites d’observation (40).
Dans le Pacifique, le partenariat franco-australien signé en 2016 constitue la clé de voute de l’intégration française. Il a été renouvelé et approfondi en 2017 à la faveur du contrat gagné par Naval Group pour la fourniture de 12 sous-marins Scorpène et sert de cadre à des exercices communs. En outre, l’accord FRANZ (41) liant Cambera, Wellington et Paris depuis 1992 vise à « coordonner et rationaliser l’aide civile et militaire aux États et territoires du Pacifique insulaire victimes de catastrophes naturelles ». Il apporte une dimension concrète à la politique de la France vis-à-vis des micro-États insulaires tout en facilitant une meilleure compréhension et acceptation du rôle régional des forces de souveraineté. Une telle stratégie de défense pourrait, par ailleurs, être déclinée dans le bassin atlantique, où la coopération internationale s’articule essentiellement avec les États-Unis dans le cadre de la lutte contre le trafic de stupéfiants (42).
Dans le domaine militaire, adapter les forces de souveraineté aux enjeux du XXIe siècle
La souveraineté française doit naturellement s’appuyer sur un renforcement de notre capacité à agir, véritable gage de crédibilité. L’actualisation de la LPM 2019-2025 devra en particulier confirmer le rééquilibrage des forces de souveraineté pour retrouver un socle de capacités indispensables. Ce premier effort visant essentiellement à « réparer » devra impérativement être poursuivi par la modernisation et l’adaptation des forces de souveraineté aux nouvelles menaces. À ce stade, leurs capacités ne sont pas dimensionnées pour « un environnement marqué par la rivalité, la contestation et la subversion (43) ». Il conviendra de tenir compte du fait que l’environnement immédiat de nos Outre-mer sera probablement plus instable et que nos moyens devront être a minima plus dissuasifs envers nos compétiteurs – notamment les capacités de détection et d’agression des futures frégates de surveillance, à l’horizon 2035 – mais également plus crédibles envers nos partenaires, une préoccupation affichée par Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’Armée de terre, qui juge que nos moyens en Nouvelle-Calédonie ne sont « pas à la hauteur de notre coopération avec les Australiens (44) ». Cet effort au profit des Outre-mer doit bien évidemment rester raisonnable, soutenable et adapté aux spécificités de chaque territoire (45). Les volumes considérés sont relativement faibles et permettraient à bon compte de monter en gamme. Dans le domaine aérien, l’achat et la mise en place d’un avion de transport tactique, le C-130J, adapté aux terrains sommaires par grand bassin océanique augmenterait ainsi significativement l’autonomie des forces. De même, la mise en place Outre-mer de quelques exemplaires du futur avion de patrouille maritime, capables de surveiller de vastes zones, constituerait une réelle plus-value.
Les commandants supérieurs pourraient en outre être chargés de la rédaction et de la conduite d’un plan stratégique régional. Dans ce cadre, une stratégie déclaratoire et démonstrative à l’égard des puissances prédatrices incluant des exercices réguliers de projection de puissance, à l’image du déploiement de Rafale à La Réunion en 2019, permettrait de rappeler régulièrement notre détermination politique. De tels exercices gagneraient par ailleurs à impliquer nos partenaires, afin de valoriser nos points d’appui ultramarins face à des compétiteurs communs et de donner corps à l’initiative de co-basing proposée par la France dans le cadre des coopérations structurées permanentes. L’intérêt des emprises des forces de souveraineté comme plateformes de projection et hubs logistiques pourrait par ailleurs être valorisé dans d’autres formats en accueillant par exemple des exercices de projection de la Combined Joint Expeditionary Force (CJEF) franco-britannique (46) ou de la Very High Readiness Joint Task Force (VJTF) de l’Otan (47).
Par ailleurs, les capacités des commandements interarmées mériteraient d’être renforcées, en les dotant de toutes les compétences nécessaires pour appréhender le contexte régional, planifier et conduire des opérations dans tous les domaines de l’action militaire moderne, dont les champs cyber, informationnel et de l’influence, mais également de l’espace exo-atmosphérique. Déjà intimement liés à l’aventure spatiale française et européenne avec le Centre spatial guyanais (CSG), les Outre-mer constituent également autant d’atouts à valoriser dans le cadre d’une stratégie spatiale ambitieuse. Ils pourraient notamment permettre de développer notre dispositif de surveillance des objets spatiaux. Comme le souligne un rapport parlementaire sur le secteur spatial de défense (48), les forces de souveraineté pourraient jouer un rôle innovant à l’heure de la militarisation de l’Espace. Ainsi, le successeur du Grand réseau adapté à la veille spatiale (Graves), en cours de développement par l’Onera pour une mise en service à l’horizon 2030 (49), pourrait être déployé en métropole et sur un territoire ultramarin, afin de gagner en sécurité et en efficacité. La création d’un Centre opérationnel de surveillance militaire des objets spatiaux (Cosmos) ultramarin permettrait en outre de sensibiliser encore davantage nos partenaires européens à l’intérêt des Outre-mer et de continuer à développer des coopérations dans ce secteur voire d’attirer de nouveaux partenaires, à l’instar de l’Inde.
Enfin, il serait judicieux de renforcer l’autonomie capacitaire des Outre-mer, notamment dans la perspective de crises simultanées limitant fortement l’envoi de renforts depuis la métropole. Outre la relance d’un effort de renforcement des capacités de sécurité civile, resté lettre morte à deux reprises, l’adaptation des structures des unités de l’Armée de terre pourrait permettre d’augmenter significativement leurs capacités en cas de catastrophes naturelles. Alors que le choix des unités Proterre (50) et d’un plus petit dénominateur commun de compétences tactiques a été privilégié jusqu’à maintenant, une réflexion pourrait être lancée pour adapter les formats, les équipements et les savoir-faire des forces de souveraineté en tirant parti de l’expertise des formations militaires de sécurité civile. Sans prétendre à la création d’unités spécialisées pour les unités « tournantes », il s’agirait de renforcer leur socle de compétences techniques et d’adapter leur organisation en s’appuyant sur des cadres experts « permanents » à même de former et d’entraîner l’ensemble des personnels.
De la même manière que le service militaire adapté a constitué dans les années 1960 une réponse originale aux problèmes sociaux des Outre-mer, des solutions innovantes mériteraient d’être explorées pour inventer un format optimisé répondant au mieux au besoin. L’adaptation de la réserve opérationnelle pour constituer des unités de réserve spécialisées dédiées au secours et au déblaiement pourrait notamment constituer une piste intéressante et particulièrement valorisante pour la jeunesse ultramarine, dont il faut par ailleurs souligner qu’elle contribue de manière significative à la défense nationale par l’engagement de nombreux Ultramarins dans les armées. Parallèlement, la phase de volontariat du Service national universel (SNU) pourrait être orientée prioritairement vers les services de secours afin de développer une véritable « culture du risque » et de démultiplier la capacité de réponse immédiate.
Dans le domaine économique, exploiter raisonnablement et durablement nos ressources
Partant du constat de bon sens posé par le Premier ministre Édouard Philippe que « ce qui n’est pas surveillé est visité, ce qui est visité est pillé et ce qui est pillé finit toujours par être contesté (51) », une réflexion de fond sur la mise en valeur des ressources ultramarines doit être conduite pour dépasser la stricte logique défensive et de protection adoptée par la France. Votée fin 2017, la loi Hulot a par exemple mis fin aux forages exploratoires de Total au large de la Guyane, privilégiant un objectif « 0 carbone » pour l’Outre-mer, mais privant de fait le département et ses habitants de ressources qui auraient pu lui permettre d’accélérer son développement économique. De même, alors que l’orpaillage illégal en Guyane rapporte chaque année dix fois plus que l’activité légale, soit environ 440 millions d’euros, aucun projet d’exploitation industrielle n’a pu voir le jour, l’emblématique projet Montagne d’or étant notamment jugé incompatible avec les exigences de protection de l’environnement. Pourtant, des perspectives d’exploitation durable et raisonnée de nos ressources existent et mériteraient d’être explorées.
Dans le domaine de la pêche, la France, en envisageant la cogestion de certaines ZEE semble paradoxalement prête à faire des concessions en matière environnementale. Alors que l’essentiel de la pêche française est réalisé dans les eaux communautaires de l’Union européenne, la ZEE ultramarine française ne représente qu’une faible part des prises et son potentiel est largement sous-exploité. Les pratiques de pêche locales dans les Départements et régions d’outre-mer et collectivités d’outre-mer (Drom-Com) demeurent majoritairement artisanales et la faiblesse des infrastructures portuaires ne permet pas le développement d’une pêche hauturière et industrielle. Il en va de même pour l’aquaculture, encore limitée à la consommation locale, mais qui pourrait s’ouvrir à d’autres marchés. Seule une volonté politique ferme et durable peut changer la donne.
Enfin, la France devrait s’affirmer davantage au sein de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), au sein de laquelle les Chinois sont très actifs. À ce stade, la volonté politique de développer l’exploitation sous-marine manque, notamment en raison de doutes sur les effets potentiels de l’exploitation minière sur les écosystèmes. Or, il s’agit vraisemblablement d’un terrain d’avenir qui justifie des investissements pour la recherche et une prise de risque.
* * *
Soumise à la fois à des risques naturels et sociaux majeurs et aux convoitises de plus en plus désinhibées de la part de différents compétiteurs, la souveraineté ultramarine de la France est contestée et fragile. Elle n’en demeure pas moins un pivot de notre positionnement comme puissance d’équilibre et doit, à ce titre, être impérativement renforcée. Les moyens ne sont certes pas illimités, mais le devoir national comme la nécessité stratégique imposent d’augmenter notre capacité à agir, tant pour assumer nos responsabilités que pour dissuader nos adversaires potentiels. La France doit retrouver pour ses Outre-mer une forme d’imagination stratégique afin d’optimiser ses moyens, d’augmenter son rayonnement et de conforter la confiance de ses partenaires régionaux.
Éléments de bibliographie
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Tenenbaum Élie avec Paglia Morgan et Ruffie Nathalie, « Confettis d’empire ou points d’appui ? L’avenir de la stratégie française de présence et de souveraineté », Focus stratégique n° 94, Centre des études de sécurité de l’Ifri, février 2020, 162 pages (www.ifri.org/).
Antoinette Jean-Étienne, Guerriau Joël et Tuheiava Richard, Zones économiques exclusives (ZEE) ultramarines : le moment de vérité (rapport d’information fait au nom de la délégation sénatoriale à l’outre-mer), avril 2014, 382 pages (www.senat.fr/).
Becht Olivier et Trompille Stéphane, « Rapport d’information déposé en application de l’article 145 du règlement, par la commission de la défense nationale et des forces armées, en conclusion des travaux d’une mission d’information sur le secteur spatial de défense », janvier 2019 (www.assemblee-nationale.fr/).
Danigo Pierre-Marie, « Les codes miniers de l’autorité internationale des fonds marins », mémoire de recherche (Master 2), Université Paris Nanterre, 2019, 136 pages.
Struye De Swielande Tanguy (propos recueillis par Delage Thomas), « La Chine à la conquête de l’Indo-Pacifique ? », Diplomatie n° 53, octobre 2019.
Giraud Jean-Philippe, « Zone économique exclusive française, 11 millions de km², pour quoi faire ? », S’engager par la plume – La parole à la jeunesse, Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale, mars 2016, p. 155-174.
Folliot Philippe, « Îles Éparses : françaises ! », Revue Défense Nationale, n° 823, octobre 2019, p. 31-34.
Gardin (du) Vincent et Maire Franck, « Le renouveau capacitaire Outre-mer », Revue Défense Nationale, n° 823, octobre 2019, p. 35-41.
Gassiloud Thomas, « Guyane : exploiter l’or, seul moyen pour protéger durablement la forêt ? », Revue Défense Nationale, n° 823, octobre 2019, p. 47-53.
Lechery Christian, « La place des Outre-mer océaniens dans la politique Indo-Pacifique de la France », Revue Défense Nationale, n° 823, octobre 2019, p. 18-24.
Magras Michel, « Avis n° 148 (2018-2019) présenté au nom de la commission des affaires économiques », projet de loi de finances, Tome IV Outre-mer, 22 novembre 2018, 36 pages (www.senat.fr/).
Marilossian Jacques, « Les besoins navals pour l’Outre-mer : une ambition française ! », Revue Défense Nationale, n° 823, octobre 2019, p. 25-30.
Marot Laurent, « Total met un terme à ses opérations de forage en Guyane », Le Monde, 28 février 2019 (www.lemonde.fr/).
Prazuck Christophe, « En deçà de la guerre, au-delà de la paix : les zones grises », Revue Défense Nationale, n° 828, mars 2020 p. 29-32.
Teisseire Matthieu, « Les forces navales françaises outre-mer de 1945 à nos jours. L’illustration d’un potentiel de puissance inexploité ? », mémoire, École de guerre, 2018, 33 pages.
Vial Philippe, « La France et la mer depuis 1945 : une mutation inachevée », Service historique de la Défense, 2018, 12 pages. ♦
(1) Ministère des Armées, Revue stratégique de défense et de sécurité nationale, 2017, p. 16.
(2) « Je mesure plus que jamais à quel point cette Loi de programmation militaire est pertinente et adaptée aux défis actuels. Mais peut-être “juste” pertinente et “juste” adaptée… », a déclaré François Lecointre, chef d’état-major des Armées (Céma), devant la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat, le 16 octobre 2019 (www.senat.fr/).
(3) Macron Emmanuel, « Discours du président de la République lors de la restitution des assises des Outre-mer », 28 juin 2018 (www.elysee.fr/).
(4) Magras Michel, « Avis n° 148 (2018-2019) présenté au nom de la commission des affaires économiques », projet de loi de finances, Tome IV Outre-mer, 22 novembre 2018, p. 10 (www.senat.fr/).
(5) Ministère des Armées, op. cit., § 272, p. 77.
(6) A fortiori depuis le départ du Royaume-Uni et de ses neuf pays et territoires d’outre-mer (PTOM). La France est désormais l’État-membre de l’Union européenne comprenant le plus grand nombre de PTOM (6) et de régions ultra-périphériques (RUP-5), devant le Portugal (2 RUP), les Pays-Bas (2 PTOM), le Danemark (1 PTOM, 1 territoire sui generis) et l’Espagne (1 RUP).
(7) Détachement avancé de transmissions (DAT) armés par la Direction du renseignement militaire (DRM) et centres de télémesures militaires (CTM) armés par la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE).
(8) Folliot Philippe, « Îles Éparses : françaises ! », Revue Défense Nationale, n° 823, octobre 2019, p. 33.
(9) Antoinette Jean-Étienne, Guerriau Joël et Tuheiava Richard, Zones économiques exclusives (ZEE) ultramarines : le moment de vérité (Rapport d’information fait au nom de la délégation sénatoriale à l’outre-mer), avril 2014, p. 13 (www.senat.fr/).
(10) Vial Philippe, « La France et la mer depuis 1945 : une mutation inachevée », Service historique de la Défense, 2018, p. 5.
(11) C’est-à-dire le sol et le sous-sol sous-marins situés dans le prolongement des terres émergées. Le programme Extraplac a déjà permis cette extension en Guyane, dans le sud-ouest de la Nouvelle-Calédonie, dans les Antilles et les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) depuis 2015. Des discussions sont en cours en ce qui concerne les îles Éparses, Saint-Martin, Clipperton et Saint-Pierre-et-Miquelon.
(12) Antoinette Jean-Étienne, Guerriau Joël et Tuheiava Richard, op. cit, Annexe 3 : Les ZEE françaises, p. 132. Carte : Louhansk/Wikimedia
(13) Les effectifs sont ainsi passés de 8 700 hommes en 2008 à 7 150 hommes en 2018 avec une proportion croissante de personnels « tournants » détachés pour quelques mois. Tenenbaum Élie avec Paglia Morgan et Ruffie Nathalie, « Confettis d’empire ou points d’appui ? L’avenir de la stratégie française de présence et de souveraineté », Focus stratégique, Centre des études de sécurité de l’Ifri, février 2020, tableau I-2, p. 28 (www.ifri.org/).
(14) Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, 2013, p. 33 (www.livreblancdefenseetsecurite.gouv.fr/).
(15) L’ouragan Irma qui a dévasté l’île de Saint-Martin en août-septembre 2017 a servi de révélateur à ces fragilités internes, mais aussi à la relative faiblesse des moyens disponibles pour projeter les spécialistes et les matériels nécessaires aux opérations de secours.
(16) Remplacement progressif des patrouilleurs P400, repoussé à deux reprises en 2009 et 2014, par 3 Patrouilleurs Antilles-Guyane (PAG), livrés en 2017 et 2019 (pour le dernier), et 6 Patrouilleurs outre-mer (POM) commandés en décembre 2019 qui devraient entrer en service entre 2022 et 2025 (La Réunion, Nouvelle-Calédonie et Polynésie). Livraison de 4 Bâtiments de soutien et d’assistance outre-mer (BSAOM, ex- Bâtiments multimissions, B2M) en remplacement des 5 Bâtiments de transport légers (Batral) retirés du service.
(17) Antoinette Jean-Étienne, Guerriau Joël et Tuheiava Richard, op. cit., p. 66.
(18) Tenenbaum Élie avec Paglia Morgan et Ruffie Nathalie, op. cit., p. 66.
(19) Missions intérieures respectivement de lutte contre l’orpaillage illégale et de protection du Centre spatial guyanais (CSG) de Kourou.
(20) Dantec Ronan et Roux Jean-Yves, « Rapport d’information fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective sur l’adaptation de la France aux dérèglements climatiques à l’horizon 2050 », mai 2019, p. 97 (www.senat.fr/).
(21) Réinscription votée en mai 2013 par l’Assemblée générale des Nations unies (Agnu) malgré l’opposition de l’Assemblée de la Polynésie française.
(22) Communément appelé « Comité spécial des Vingt-Quatre », cet organe a été créé en 1961, par l’Agnu afin d’étudier l’application de la Déclaration sur la décolonisation. Il formule chaque année des recommandations en vue de mobiliser l’opinion publique internationale en faveur du processus de décolonisation.
(23) Antoinette Jean-Étienne, Guerriau Joël et Tuheiava Richard, op. cit., p. 61.
(24) Surnom donné aux soldats des Troupes de Marine.
(25) Nom d’origine portugaise désignant les chercheurs d’or.
(26) Gassiloud Thomas, « Guyane : exploiter l’or, seul moyen pour protéger durablement la forêt ? », Revue Défense Nationale, n° 823, octobre 2019, p. 48.
(27) Giraud Jean-Philippe, « Zone économique exclusive française, 11 millions de km², pour quoi faire ? », S’engager par la plume – La parole à la jeunesse, Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale, mars 2016, pp. 155-174 (www.ihedn.fr/).
(28) Antoinette Jean-Étienne, Guerriau Joël et Tuheiava Richard, op. cit., p. 13.
(29) Tenenbaum Élie avec Paglia Morgan et Ruffie Nathalie, op. cit., p. 119.
(30) Notamment dans le cadre de sa lutte d’influence avec Taïwan, la Chine mettant en œuvre une diplomatie du « carnet de chèque » pour réduire le nombre de pays reconnaissant l’île.
(31) Titre de l’ouvrage de réflexion stratégique de deux colonels de l’Armée de l’air chinoise : Qiao Liang et Wang Xiangsui, La Guerre hors limites, Rivages, 2006, 310 pages.
(32) Prazuck Christophe, « En deçà de la guerre, au-delà de la paix : les zones grises », Revue Défense Nationale, n° 828, mars 2020, p. 31.
(33) Amiral américain, ancien commandant en chef des Forces alliées en Europe (SACEUR) de 2009 à 2013.
(34) Prazuck Christophe, op. cit., p. 32.
(35) Signature d’un protocole d’accord de coopération militaire le 29 septembre 2018.
(36) Tenenbaum Élie avec Paglia Morgan et Ruffie Nathalie, op. cit., p. 93.
(37) Jusqu’en 2011, le ministre des Outre-mer disposait d’un conseiller militaire.
(38) Ex-Commission du Pacifique Sud.
(39) Lechery Christian, « La place des outre-mer océaniens dans la politique Indo-Pacifique de la France », Revue Défense Nationale, n° 823, octobre 2019, p. 31.
(40) Tenenbaum Élie avec Paglia Morgan et Ruffie Nathalie, op. cit., p. 122.
(41) Pour France, Australie et Nouvelle-Zélande.
(42) La France participe notamment à la Joint Inter Agency Task Force South qui lutte contre le trafic de stupéfiants ; « 20 % des 250 à 300 tonnes de cocaïne destinées au marché européen transiteraient par la mer des Caraïbes », selon Gandilhon Michel, « Les Antilles françaises (Martinique, Guadeloupe, Saint-Martin) et la Guyane : au cœur du trafic international de cocaïne », OFDT, 27 juin 2014 (www.ofdt.fr/).
(43) Tenenbaum Élie avec Paglia Morgan et Ruffie Nathalie, op. cit., p. 80.
(44) Commission de la défense nationale et des forces armées, « Audition du général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’Armée de terre, sur le projet de loi de finances pour 2020 », 2 octobre 2019 (www.assemblee-nationale.fr/).
(45) Ainsi, l’Armée de terre pourrait faire le choix de doter certains territoires comme la Nouvelle-Calédonie de Véhicules de l’avant blindés (VAB) en profitant de l’entrée en service des véhicules du programme Scorpion.
(46) Force expéditionnaire conjointe franco-britannique, non permanente et forte de 3 500 à 5 000 hommes, prévue par le Traité de Lancaster House en 2010.
(47) Fer de lance de la Force de réaction de l’Otan (NRF), annoncée en 2014 au sommet du Pays de Galles et devant compter à terme jusqu’à 25 000 hommes qui peuvent être déployés en 5 jours partout dans le monde.
(48) Becht Olivier et Trompille Stéphane (députés), « Rapport d’information déposé en application de l’article 145 du règlement, par la commission de la défense nationale et des forces armées, en conclusion des travaux d’une mission d’information sur le secteur spatial de défense », janvier 2019 (www.assemblee-nationale.fr/).
(49) Voir « 1er système européen de veille spatiale Graves » (www.onera.fr/).
(50) Ces unités sont capables de remplir un socle de missions communes à toute l’Armée de terre, essentiellement de protection, sans considération d’arme ou de spécialité.
(51) Discours du Premier ministre à Toulon le 30 septembre 2017 (www.gouvernement.fr/).