Introduction
Chacun sait que les militaires et les diplomates sont depuis des siècles deux des plus solides piliers de l’État, mais, paradoxalement, ils se sont pendant longtemps constitués en deux mondes assez imperméables l’un à l’autre. Certes, les militaires et les diplomates ont depuis toujours donné des preuves égales de leur entier dévouement à notre pays – que ce soit au roi, à l’empereur ou à la République – mais leurs actions ne se conjuguaient pas toujours, ou si peu, que l’on en venait à dire que les militaires intervenaient quand et là où les diplomates avaient échoué.
De fait, on rencontre peu d’exemples anciens d’une coopération organique des militaires et des diplomates. J’en mentionnerai toutefois quelques-uns à titre de préfiguration historique. Le maréchal d’Huxelles, à la fin du règne de Louis XIV, s’est illustré dans la guerre de Succession de France. Il a conduit les négociations du Traité d’Utrecht (1713) – le premier traité rédigé en français, rappelons-le – d’une façon si habile que le Régent le choisit aussitôt après pour présider le Conseil des affaires étrangères pendant trois ans. Il fut ainsi le premier militaire français à devenir ministre des Affaires étrangères.
À la Révolution, l’expérience se renouvelle avec la nomination du général Dumouriez comme ministre des Affaires étrangères de Louis XVI mais pendant trois mois seulement, avant de partir et de conquérir ses lauriers à Valmy et à Jemmapes (1792).
Sous l’Empire, ce fut Caulaincourt, un autre habile diplomate et un grand soldat, qui réussit cette synthèse. Sous la Restauration, ce fut le général Sébastiani et, sous la monarchie de Juillet, ce fut l’illustre, mais surtout indéboulonnable, maréchal Soult. Après eux, l’histoire diplomatique et l’histoire militaire ont semblé ne plus se croiser souvent. Il y a eu cependant la grande aventure coloniale de la France et les riches épisodes où la canonnière et la diplomatie firent, si j’ose dire, bon ménage. Il suffit de mentionner les figures de Gallieni, de Gouraud et de Lyautey.
Le XXe siècle a totalement modifié la nature des relations entre militaires et diplomates. Rien ne l’a peut-être mieux illustré que cette image du wagon de Rethondes où se sont brutalement imbriquées, de façon intime, la geste militaire et la diplomatie.
Ce bref rappel de cet arrière-plan historique souligne combien le thème de notre colloque aujourd’hui est moderne. Pour chacun de nous, il va de soi que militaires et diplomates agissent de façon solidaire et coordonnée, et qu’ils ne peuvent agir autrement, y compris pour faire face aux défis du futur. J’ajoute que, rarement, notre Société, qui est une société d’histoire, n’a consacré un colloque à des questions aussi sensibles et aussi actuelles, ainsi qu’en témoignent les prises de parole publiques récentes des plus hautes autorités de l’État, parmi lesquelles certaines des personnes qui vont intervenir dans notre colloque.
Notre colloque va se dérouler selon quatre lignes directrices, en insistant cette fois sur les aspects fonctionnels davantage qu’institutionnels du sujet que nous voulons traiter. La première ligne consiste à faire systématiquement dialoguer, sur chacun des sujets abordés, un militaire et un diplomate. D’où l’organisation de cette journée en une succession de « panels ». Pour chacun d’eux, après les propos tenus par les deux intervenants, une place sera faite à un court débat avec l’assistance.
La deuxième ligne concerne l’animation de ces panels. Nous avons choisi pour cela de faire appel au témoignage de personnes qui ont été, ou qui sont, directement impliquées dans ces expériences historiques récentes ou actuelles, en quelque sorte ceux qui font l’histoire plutôt que ceux qui l’étudient et la commentent.
Concernant la troisième ligne, nous avons pris le parti de circonscrire notre sujet à l’histoire contemporaine, celle du dernier quart de siècle. Le contexte des années 1990 et celui de la guerre des Balkans occidentaux nous ont semblé amener à la construction d’une ambitieuse coopération politique européenne et ont aussi conduit notre pays à de nouvelles formes de coopération entre militaires et diplomates.
Enfin, quatrième et dernière ligne, notre colloque nous amènera très normalement à considérer les défis présents mais aussi ceux de l’avenir.
Il reviendra à mon confrère le professeur Georges-Henri Soutou de dresser la synthèse des exposés et des débats, avant que M. Hubert Védrine, ancien ministre, et le général Lecointre, Chef d’état-major des armées (Céma) – que je remercie de leur participation – ne viennent nous rejoindre pour tirer les conclusions de cette journée d’échanges. ♦