Comment c’est joué notre destin. Hitler et l’offensive du 10 mai 1940
Malgré les travaux, souvent considérables, relatifs à la phase initiale de la dernière guerre, bien des obscurités subsistaient, notamment en ce qui concerne les intentions de manœuvre de l’ennemi et la part prise par les protagonistes dans l’établissement du plan de campagne allemand. C’est pour combler une lacune de première importance que le général Koeltz a voulu écrire l’histoire de la genèse, de l’évolution et de la fixation du plan offensif du 10 mai 1940. Il n’est donc question ici que de l’Armée allemande. Sous la plume de l’auteur, sans aucune recherche théâtrale, mais par la rigueur de l’enchaînement des faits, cette tranche d’histoire apparaît comme un véritable drame dont les acteurs sont, avec Hitler, les grands chefs des forces armées du Reich.
« La première constatation qui se dégage des faits, et elle est incontestable, c’est que le plan de l’offensive de mai 1940 n’a pas “jailli comme un éclair” du cerveau d’un chef de génie ; sa genèse fut laborieuse et de longue durée… Ébauché dans la première quinzaine d’octobre 1939, retouché en fin de la seconde quinzaine du même mois et dans le courant de novembre, laissé de côté en décembre, retouché légèrement à la fin de janvier 1940, il ne prit sa forme définitive, totalement différente de la première, que vers le 20 février, après quatre mois de tâtonnements, d’ajustements et d’hésitations.
On constate en même temps, que celui qui provoqua la première ébauche, suggéra les retouches successives, décida de la forme définitive, ne fut pas celui que la tradition appelait à cette mission : le commandant en chef de l’Armée de campagne, le général von Brauchitsch…
Car ce fut bien Hitler qui, après avoir fixé en octobre 1939 le premier objectif de l’offensive de l’Ouest (la côte belge et hollandaise en faisant effort par le nord de Liège pour protéger la Ruhr et être ensuite en bonne situation pour attaquer l’Angleterre) exprima en novembre l’idée d’engager un corps blindé sur Sedan, puis ordonna de se tenir prêt à exploiter un succès éventuel au sud de la Meuse, de Liège-Namur, enfin prescrivit, deux mois plus tard, de renforcer puissamment l’aile sud du dispositif d’attaque par les Ardennes. »
Si cette dernière constatation est patente, elle doit toutefois être nuancée, car il convient de tenir compte de l’influence directe ou indirecte des généraux. Il apparaît, en effet, en toute certitude, que, durant la difficile mise au point du plan, une intelligence et un caractère dominent les discussions : von Manstein, Chef d’État-Major de von Rundstedt, commandant le Groupe d’Armées A, fait figure d’inspirateur, d’animateur. À leurs postes aussi, von Brauchitsch et von Rundstedt, aux caractères souvent barrés par celui d’Hitler, ne sont pas restés inactifs. Le second a toujours pris à son compte les rapports de Manstein. Le premier, malgré ses silences, semble avoir pu saisir, dans la pensée fluctuante d’Hitler, les éléments de sa propre pensée – certainement influencée par celle de Manstein – et les faire promouvoir au rang d’ordres. Des exercices sur la carte – très heureusement conçus et conduits – n’avaient d’autres intentions et n’eurent d’autres résultats que ceux d’instruire les cadres.
En outre, pour bien saisir les causes de l’incertitude qui pèse sur le rôle de chacun, il faut tenir compte de la nature des relations du Führer avec ses généraux. Méprisant les chefs de son armée et le leur faisant nettement comprendre, il est à leur endroit insolent et grossier. Résolu à être le seul chef, il est d’un autoritarisme absolu. Aucune suggestion ou objection n’est permise. Pourtant il sait s’informer en sous-main et un sens certain de pénétration lui permet de retenir quelques idées maîtresses. Dans ce cas, il les fait siennes et il a l’art de les présenter comme le résultat de ses propres méditations. Il faut citer à ce propos le rôle du colonel Schmundt, son premier aide de camp. De toute évidence, il a joué plusieurs fois le rôle d’intermédiaire. Tout permet de penser en particulier que vers le 1er février 1940 il a exposé à son chef les idées de Manstein. Après quelques jours de méditation, on voit Hitler – le 13 exactement – favorable au déplacement vers le sud de l’axe principal d’effort ; vers le 17, il entend Manstein, seul, dans son bureau ; enfin le 18, il expose à Brauchitsch su nouvelle conception (que Brauchitsch connaissait bien puisqu’il avait reçu le rapport Rundstedt-Manstein). Ainsi pas à pas, jour après jour, le général Koeltz suit, textes en main, l’évolution de la pensée (inspirée ou spontanée) d’Hitler et l’acheminement progressif du plan initial vers le plan définitif.
Magistral, net, précis, d’une clarté remarquable, rigoureusement objectif dans sa partie historique, bâti sur une documentation considérable dont les éléments essentiels sont de première main, le présent ouvrage constitue une exceptionnelle contribution à l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Il a tous les caractères d’un instrument de travail de base. Il est aussi un modèle de méthode et de probité historique. ♦