Le Pays et les Institutions - Entretien avec M. Michel Debré, ministre de la Justice
Un changement de régime est toujours pour un pays un événement extrêmement grave : en lui-même d’abord, mais aussi parce qu’il n’y a pas plus de génération spontanée en politique qu’en biologie. Ce qui s’est passé depuis le 13 mai est à cet égard particulièrement significatif. Depuis longtemps nul ne pouvait mettre en doute la déficience de nos structures institutionnelles — encore que bien des faiblesses de notre politique, que l’on attribuait à la Constitution elle-même, résultaient surtout de la manière dont elle était appliquée. À plusieurs reprises des tentatives de réformes avaient été ébauchées : elles n’avaient guère abouti qu’à des modifications dans les mécanismes parlementaires. Or rien de ce qui se passait à Paris ne restait sans répercussions directes à Alger — où l’on eut le sentiment que sans un nouveau régime, basé sur une conception différente des Pouvoirs et de l’État, l’Algérie était vouée à des négociations qui ne pourraient que préparer la victoire du F.L.N. Contre ce risque d’abandon, une réaction violente se cristallisa — et, considérant les responsabilités du régime dans ce risque qu’elle refusait, elle se tourna vers l’homme qui incarnait l’opposition à ce régime, le général de Gaulle.
Une nouvelle Constitution est en préparation. Dans quelques jours le projet, définitivement élaboré, sera soumis au Comité Consultatif (composé pour un tiers de non-parlementaires, pour deux tiers de parlementaires). Celui-ci aura la possibilité de présenter des contre-propositions. Le projet gouvernemental sera alors réétudié en fonction de ces contre-propositions, et modifié si elles sont jugées dignes d’intérêt. C’est ce texte définitif que le général de Gaulle se propose de présenter lui-même le 4 septembre, jour anniversaire de la proclamation de la IIIe République.
Depuis plusieurs années, M. Michel Debré, sénateur d’Indre-et-Loire, membre du Conseil d’État, menait le combat contre la Constitution de 1946 — et dans quatre livres : « La mort de l’État républicain », « La République et son pouvoir », « La République et ses problèmes », « Ces princes qui nous gouvernent » — il s’était efforcé de remonter des effets aux causes, de préciser ce qui, dans nos institutions, constituait une hypothèque pour notre politique. Il est aujourd’hui Ministre de la Justice, et dirige l’ensemble des travaux constitutionnels. À ce titre, il était particulièrement qualifié pour exposer, aux lecteurs de la « Revue de Défense Nationale », les raisons du combat qu’il a mené, les perspectives dans lesquelles se situent ses travaux actuels, les rapports à établir entre les divers Pouvoirs, etc… Si une Constitution est rédigée par des juristes, si à ce titre son texte même est peu accessible aux non-initiés, ses principes appartiennent à ce domaine politique, au sens noble du terme, qui nous concerne tous.
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