Des Tsars aux Soviets : logique et continuité de la diplomatie russe
L’attitude adoptée par le Kremlin depuis 1958, notamment dans l’affaire des îles côtières chinoises et dans la crise chronique du Moyen-Orient, puis la « relance » du problème de Berlin, ont déconcerté certains milieux diplomatiques. Il est évident que si l’on s’en tient aux explications classiques, ce comportement justifie la surprise. Mais, précisément, il est indispensable de se dégager de ces perspectives classiques, pour se placer dans celle de la pensée soviétique elle-même, si l’on veut en saisir la logique. Ceci peut paraître un truisme — et pourtant si tant de responsables politiques ne comprennent pas la diplomatie soviétique et ne peuvent qu’imaginer des ripostes, c’est parce qu’ils ne se placent pas dans cette optique.
Les démocraties libérales obéissent certes à des intérêts, mais leur comportement reste essentiellement pragmatique, alors que la diplomatie soviétique, elle, si elle n’est pas insoucieuse de certains intérêts, repose d’abord sur une conception politique des relations internationales, sur une vision idéologique des rapports entre les États, et vise, autant que la satisfaction de certains intérêts (du moins tels que les comprennent les démocraties libérales) la réalisation d’un idéal. Or, à peine a-t-on constaté cela qu’une contradiction apparaît. Au-delà des changements qui peuvent affecter les justifications idéologiques qu’elle se donne, la diplomatie soviétique reste orientée selon des lignes permanentes : parmi ses objectifs majeurs figurent toujours l’Europe occidentale, l’Océan Indien, la Méditerranée, c’est-à-dire des rivages maritimes. C’était aussi une des caractéristiques fondamentales de la diplomatie tsariste, et tout se passe ainsi comme si les dirigeants communistes avaient repris à leur compte certaines des préoccupations constantes de leurs prédécesseurs.
Il faut donc rechercher une explication qui permette de comprendre cette continuité, car ce n’est pas fortuitement, ou sous la pression des circonstances, que les Soviets se comportent comme se comportaient les Tsars. Il faut rechercher une explication qui soit valable pour les Soviets et pour les Tsars. Où la trouver, si ce n’est dans les éléments permanents qui conditionnent la diplomatie d’un État, quel qu’il soit, et en tout premier lieu dans la géographie ? La politique d’un État s’inscrit toujours dans l’espace géographique, toute action politique est localisée à la surface du globe et se développe en fonction de conditions inhérentes à cette localisation dans l’espace.
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