Deux satellites résignés : la Roumanie et la Bulgarie (VI)
Le Danube à Orsova
Depuis l’arrivée des troupes soviétiques en 1944, les deux États riverains de la mer Noire n’ont plus connu l’heure du choix. Leur satellitisme à l’égard de l’U.R.S.S. comporte plus de continuité dans le conformisme que d’enthousiasme dans l’orthodoxie. Si la géographie leur a imposé des attitudes souvent parallèles, leurs réactions intérieures ont été parfois nuancées, en raison de la variété de leur structure sociale et économique et du fait qu’au cours de la deuxième guerre mondiale l’un, la Roumanie, s’était résolument engagé aux côtés du Reich, l’autre, plus slave, se contentant d’une neutralité orientée (1). Ayant pris conscience des frontières qui leur étaient assignées et de la renonciation de l’Occident à leur accorder son soutien, ils furent rapidement convaincus qu’ils allaient seulement passer d’un satellitisme à un autre, le deuxième plus exigeant encore que le premier. Après quelques brèves vicissitudes, ils admirent avec résignation que leur ultime ressource résidait dans l’accommodement.
La démocratie populaire roumaine après la monarchie
Les événements de l’automne 1956 avaient pris les dirigeants roumains quelque peu au dépourvu. Si convaincus qu’ils fussent de la stricte nécessité de rester dans la ligne fixée par le Kremlin, ils n’étaient pas en toute chose disposés à suivre sans délai les sautes d’humeur et les brusques revirements de Nikita Khrouchtchev. Le 24 juin 1956 le maréchal Tito, depuis peu revenu en grâce auprès de Moscou, avait fait à Bucarest une visite qui avait été pour la population l’une des rares occasions où elle avait pu applaudir avec spontanéité. Les relations entre les deux peuples n’avaient jamais été tendues depuis la guerre et les efforts de dégagement des communistes yougoslaves avaient été suivis avec sympathie. Le 20 octobre le chef du gouvernement roumain devait à son tour se rendre à Belgrade. Déjà les événements de Poznan et les remous de Varsovie et Budapest avaient amené les Russes et les partis communistes des démocraties populaires à s’en prendre plus vigoureusement au révisionnisme. Mais le voyage de Chivu Stoica en Yougoslavie ne fut ni retardé ni annulé, et l’amélioration des rapports économiques et culturels entre les deux États y fut sincèrement discutée. Ce sera seulement après l’intervention de l’armée rouge en Hongrie que les relations entre les deux pays se firent plus discrètes : on ne pouvait à Bucarest rester sourd aux consignes soviétiques. Le 26 novembre une délégation, conduite par Stoica, se rendait à Moscou et le 3 décembre était signé un communiqué de parfait alignement. Le gouvernement roumain allait se prêter à toutes les rencontres entre dirigeants des États satellites destinées à manifester la cohésion du camp socialiste et l’immuabilité de ses buts.
Cette politique était conforme à celle pratiquée depuis que des troupes soviétiques stationnaient sur le territoire roumain. Cependant l’évolution du pays avait eu ses caractères propres. En août 1944, au moment du décrochage de l’Axe, il n’y avait, selon l’ancien ministre des Affaires étrangères Anna Pauker, pas plus de mille communistes en Roumanie. Mais la présence des Russes allait vite accroître le nombre des adhérents. Le gouvernement formé en décembre 1944 par le général Radescu ne pouvait empêcher la main-mise progressive des communistes sur l’ensemble de la vie du pays, bien qu’il comptât des représentants des quatre partis du « Front national » antihitlérien : le parti national paysan, que présidait Maniu, le parti libéral national de Dinu Bratianu, le parti social-démocrate de Titul Petrescu et le parti communiste avec Lucretiu Patrascanu. Mais sous la pression soviétique ce Front avait dû s’accommoder de la formation d’un autre, le Front démocratique, d’inspiration toute différente, destiné à la mobilisation des masses et à la préparation d’élections « populaires ». La visite de Vychinski, ministre soviétique adjoint des Affaires étrangères, en mars 1945, afin que soit mis un terme à toutes les velléités de politique nationale, avait enlevé toutes les illusions. Le ministère présidé par Petru Groza, président du « Front des laboureurs », accordait aux communistes tous les postes essentiels.
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