Le satellite isolé, l’Albanie (VII)
Le voyage de Khrouchtchev en Albanie, à la fin de mai 1959, avait suscité en Occident quelques appréhensions. On pouvait craindre une rentrée brutale de l’U.R.S.S. dans les affaires balkaniques et méditerranéennes. Mais les interventions du chef du gouvernement soviétique, dont il sera question plus loin, n’offrirent rien d’imprévu ni de sensationnel. Il parut évident que l’un des buts du déplacement de Khrouchtchev était de manifester clairement, après ses visites aux autres démocraties populaires, que l’U.R.S.S. continuerait à accorder à l’Albanie une importance allant bien au-delà des ressources du pays.
Le schisme yougoslave avait placé géographiquement ce petit pays dans la difficile situation d’un satellite maintenu par le Kremlin « à bout de bras » dans le groupe des démocraties populaires, le seul à n’avoir plus aucune frontière commune avec un quelconque État du bloc socialiste contrôlé par Moscou. Mais à bien d’autres points de vue la situation de l’Albanie était particulière. Dégagée depuis 1912 de la tutelle ottomane, elle avait dû s’accommoder, après 1918, avec le roi Ahmed Zogou, d’un semi-protectorat de l’Italie, jusqu’à son annexion par celle-ci en avril 1939. Les déboires fascistes lors de la campagne contre la Grèce n’avaient trouvé leur terme qu’avec l’intervention de la Wehrmacht en 1941, et l’occupation allemande avait succédé à celle des Italiens à la fin de 1943. Bénéficiant de l’appui du commandement anglo-saxon, les formations de partisans yougoslaves et des groupements de résistants albanais, en majorité communistes, allaient engager la lutte contre les troupes hitlériennes, et de ce fait, l’Albanie allait être la seule des futures démocraties populaires à se trouver libérée sans une intervention directe de l’armée rouge.
Un Front démocratique albanais avait été constitué sous la direction d’Enver Hodja. Ancien élève du lycée français de Goritza, étudiant à la faculté de droit de Lyon, puis à Paris, celui-ci avait été conseiller au consulat d’Albanie de Bruxelles en 1934. Rentré à Goritza comme professeur de français en 1936, il avait ensuite fondé, en s’installant dans un bureau de tabac de Tirana, un parti communiste hostile aux Italiens, mais qui ne comptait guère plus en 1939 d’une centaine de membres. Il avait en 1942 pris la tête de groupes de résistance, et après le départ des Allemands, celle d’un gouvernement. Les élections du 2 décembre 1945 avaient donné la totalité des sièges au Front démocratique. En janvier 1946 était proclamée la République albanaise, dont Enver Hodja prenait la présidence tout en restant chef du gouvernement, et en se nommant général et commandant en chef. La constitution de mars 1946 allait être modifiée en juillet 1950, après de nouvelles élections, pour donner à l’Albanie le régime des démocraties populaires.
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