Politique et diplomatie - M. Chou En Lai visite l’Europe
J’ai, à maintes reprises, attiré l’attention des lecteurs de la « Revue de Défense Nationale » sur l’importance prise par les pays indépendants d’Afrique et d’Asie dans les relations internationales. La conférence de Bandoeng d’avril 1955 a affirmé la réalité du « poids » international de l’Afrique et de l’Asie. L’initiative de cette conférence date d’une réunion tenue en janvier 1954, sur l’invitation du premier ministre de Ceylan, entre les chefs des gouvernements de Birmanie, de l’Inde, de l’Indonésie et du Pakistan. C’est à Bogor en décembre que ces cinq gouvernements annoncèrent officiellement la réunion à Bandoeng des pays d’Afrique et d’Asie. Ce retour en arrière nous fait constater que la conférence fut décidée par cinq pays dont aucun n’était communiste et dont certains pouvaient même être considérés comme anti-communistes : le Pakistan est membre du pacte de Bagdad et de l’OTASE ; quant à la Birmanie, elle a lutté par les armes contre une insurrection communiste. C’est donc bien la volonté d’affirmer le rôle de l’Asie et de l’Afrique dans la politique mondiale et non le dessein de faire accepter une doctrine politique déterminée qui a inspiré les cinq gouvernements invitants de Bandoeng.
Il est d’ailleurs significatif à cet égard que le « groupe de Bandoeng », malgré la communauté de vues qu’on y constate sur des principes généraux tels que l’anti-colonialisme, témoigne par ses votes à l’ONU d’une remarquable division. Sur 80 membres des Nations Unies, les pays d’Afrique et d’Asie sont au nombre de 27. « L’Economist » de Londres, dans un numéro récent, les divisait en deux groupes : 1° le groupe pro-occidental comprenant les membres du pacte de Bagdad et de l’OTASE : Iran, Irak, Thaïlande, Pakistan, Philippines, Turquie, plus l’Éthiopie et le Liberia ; 2° le groupe « neutraliste » conduit par l’Égypte et par l’Inde et qui comprend normalement l’Afghanistan, l’Arabie séoudite, le Soudan, la Syrie, le Yémen. Entre ces deux groupes se situe un groupe d’hésitants aux votes incertains : la Birmanie, le Cambodge, Ceylan, le Japon, la Jordanie, le Laos, le Liban, la Libye, le Maroc, le Népal et la Tunisie. Cette division apparaît dans les résultats des votes récents aux Nations Unies : le 16 novembre 1956, la proposition de renvoyer la discussion sur l’attribution du siège de la Chine à l’ONU (au gouvernement de Pékin ou à celui de Formose) a provoqué le résultat suivant : 10 voix avec le premier groupe, 10 voix avec le second, 6 voix distinctes des votes des deux groupes. La résolution du 21 novembre demandant le retrait des forces soviétiques de Hongrie a été approuvée par 13 voix (le premier groupe et quelques autres), 13 autres pays votant avec le deuxième groupe ou s’abstenant. La deuxième demande de retrait des troupes soviétiques et la condamnation de l’action de la Russie discutée le 12 décembre à l’ONU donnait 15 voix au premier groupe contre la résolution et 11 abstentions au second ; enfin la résolution sur le Togo du 14 janvier 1957 obtenait 10 voix (du premier groupe) 11 voix votant avec le second groupe contre la résolution et 6 voix votant d’une manière indépendante. Les 11 voix arabes, note « L’Economist » ne sont pas plus unies dans leurs votes que l’ensemble du groupe de Bandoeng. Sur la Chine, le 16 novembre, 3 voix « arabes » (l’Irak, le Liban et le Maroc) ont opté pour le premier groupe, 4 pour le second et 4 se sont abstenues. Sur le Togo, la Tunisie seule a voté avec le premier groupe, 8 arabes, y compris l’Irak, ont voté avec le second. Il en est de même des cinq puissances de Colombo qui furent à l’origine de la conférence de Bandoeng : elles votent souvent à l’ONU de façon différente.
La signification de ces scrutins est claire. Si les pays d’Afrique et d’Asie sont unis dans un commun désir de jouer un rôle actif sur la scène internationale, d’y prendre une place de premier plan, ces pays n’ont pas une idée uniforme du rôle qu’ils doivent jouer.
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