Le conflit libyen a mis en lumière le concept de « responsabilité de protéger », sur lequel s’est fondée l’intervention déclenchée par la France. En apparence, les opérations en Libye représentent un triple succès : succès politique pour la France, succès militaire pour l’Otan, succès éthique pour l’ONU. Pourtant, une analyse approfondie révèle que l’Otan et l’ONU ont été les grandes perdantes de ce conflit.
L’Otan et l’ONU : victimes de l’intérêt national en Libye
NATO and the UN: victims of national interests in Libya
The Libyan conflict highlighted the concept of responsibility to protect, upon which France based its intervention. On the face of it, the Libyan operation represented a triple success—a political one for France, a military one for NATO and an ethic one for the UN. Deeper analysis reveals that NATO and the UN were the great losers during the conflict.
Le 17 mars 2011, le Conseil de sécurité de l’ONU vote la résolution 1973 et autorise par là les États à recourir à tous les moyens nécessaires pour protéger les civils en Libye (1). À peine la résolution votée, le président de la République, Nicolas Sarkozy, ordonne le début de l’intervention militaire pour stopper les colonnes de blindés du colonel Kadhafi qui se déplacent vers Benghazi pour faire couler « des rivières de sang » (2) et mater ainsi la rébellion. La France est très vite rejointe par d’autres partenaires, principalement les États-Unis et le Royaume-Uni. Le 31 mars, soit deux semaines après le début des bombardements, l’Otan, pourtant tenue initialement à l’écart, prend le contrôle des opérations (3) : c’est le début de l’opération Protecteur unifié (OUP - Operation Unified Protector). Quatorze pays membres de l’Alliance auxquels quatre pays partenaires (4) choisissent de s’associer, participent à cette intervention.
Celle-ci se fonde sur le concept de « responsabilité à protéger » ; elle met en scène l’ONU, l’Otan et des États qui poursuivent pourtant chacun des buts différents. Le déroulement et l’épilogue de cette intervention posent de nombreuses questions. En effet, l’ONU a autorisé les États à intervenir pour protéger les populations : le mandat a-t-il été outrepassé dès lors que l’objectif final recherché n’est pas seulement la garantie de la protection des populations ? L’Otan, au vu des résultats obtenus, revendique un succès complet : l’Alliance aurait prouvé là son efficacité (5), sa capacité à travailler avec de nouveaux partenaires et son aptitude à coopérer avec d’autres grandes organisations internationales. Pourtant, cette intervention en Libye est d’abord une initiative franco-britannique, soutenue par les États-Unis, à laquelle s’associent d’autres pays qui demandent ensuite d’utiliser le cadre de l’Otan. Ce succès est-il aussi évident ? En d’autres termes, l’ONU et l’Otan n’auraient-elles pas été utilisées par certains États pour satisfaire leurs objectifs politiques propres, au mépris peut-être de la cohésion générale et des règles de fonctionnement de ces organisations ? En effet, l’ONU, par le biais du Conseil de sécurité, a délivré un mandat dont l’objectif était la protection des populations ; or, les pays de la coalition ont rapidement fait comprendre que l’objectif final recherché était devenu un changement du régime libyen. De même, l’Alliance peut-elle se satisfaire d’une intervention, fût-elle un succès militaire, dans laquelle seule la moitié de ses membres accepte d’intervenir et dont le contrôle politique lui échappe ? La « responsabilité de protéger » ne serait-elle qu’un simple outil dont le caractère indiscutable pour les opinions publiques et médiatiques internationales a servi à instrumentaliser l’ONU puis l’Otan ?
La « responsabilité de protéger », sur laquelle se fonde la résolution 1973, a constitué le motif, mais aussi le moyen de l’intervention. Cette dernière a incontestablement permis d’éviter le bain de sang annoncé par le colonel Kadhafi. En revanche, au-delà du succès apparent de l’opération, au plan institutionnel, elle a révélé les faiblesses et les dysfonctionnements de l’ONU, plus divisée que jamais et de l’Otan, en quête de raison d’exister. L’Otan et l’ONU sont bien les victimes collatérales du conflit libyen.
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