Après les études du général Ély (« Former des chefs », décembre 1960) et de Marcel Demonque (« Formation des chefs », mars 1961), nous avons cru devoir demander l’opinion d’un universitaire, puisque l’Université avait été mise en cause aussi bien par le chef militaire que par le chef d’industrie. M. André Aymard, doyen de la Faculté des Lettres et Sciences humaines de l’Université de Paris, a bien voulu répondre à notre appel. Le titre de son article résume parfaitement le point de vue de l’Université. Il en expose les raisons dans ce texte court, précis et de haute élévation de pensée.
Former les hommes d’où se dégagent les chefs
Formation des chefs : plus grave le thème, et plus vive l’hésitation ressentie par l’universitaire que je suis à risquer sur lui quelques réflexions. Elle vient surtout de la nouveauté du problème pour l’Université.
C’est depuis toujours qu’il se pose à l’Armée et que celle-ci en recherche, analyse, éprouve et harmonise les données, consubstantielles à sa structure, inhérentes à son être même. La dense méditation du général Ély (1), toute vivifiée qu’elle est de sève personnelle et d’expérience actuelle, s’alimente néanmoins aux plus anciennes et riches traditions d’un grand corps qui, n’ayant jamais pu se concevoir sans chefs, a toujours été contraint de se demander et a eu mille occasions d’expérimenter quelles qualités caractérisent le chef, à quels signes leurs germes se discernent chez ceux en qui elles existent latentes et comment susciter, favoriser au moins leur épanouissement. Le problème, non plus, n’est pas tel qu’il prenne sans vert l’Industrie, bien qu’il doive, au moins partiellement, l’intérêt qu’elle lui porte et dont a témoigné l’exposé de M. Marcel Demonque (2), à l’orientation qui commande le développement de l’économie. Mais il s’en faut que cette orientation, accentuée par l’accélération du rythme auquel évolue aujourd’hui notre civilisation matérielle, se soit imposée brusquement sans avoir été pressentie par personne : qu’on songe au « paradoxe » du comte Henri de Saint-Simon. Au vrai, depuis qu’existent des entreprises — et ce n’est pas d’hier, si la réalité évoquée par ce mot prend dans l’esprit de chacun une ampleur constamment croissante —, pas d’entreprise sans chefs, dont les décisions engagent la responsabilité et dont les aptitudes aux fonctions qu’ils exercent se jugent sans appel à l’examen des bilans périodiques. Là encore donc, notion familière que celle du chef, c’est-à-dire notion personnellement assimilée, sur laquelle s’approfondissent analyse et réflexion même inconscientes, que l’expérience quotidienne éclaire sous de multiples faces et définit en l’enrichissant, qui rend attentif aux indices révélateurs et qui, par empirisme peu à peu constitué en souple doctrine, incite à mettre au point les bonnes méthodes de formation ainsi qu’à préciser les étapes du mûrissement.
Mais l’Université ?
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