Otan - La nomination de M. Dirk Stikker
Les impératifs techniques de l’impression nous obligent à écrire cette chronique la veille de l’ouverture, à Oslo, de la session ministérielle de printemps du Conseil de l’Atlantique Nord. Nous devons donc reporter au mois prochain l’analyse des conclusions de cette conférence. Ainsi que nous l’indiquions dans notre précédente chronique, les discussions d’Oslo devaient surtout permettre une « relance » des conversations sur ta mise au point du « plan de dix ans », notamment en matière de consultation politique, après le hiatus provoqué par le départ de M. Spaak. De plus la session ministérielle de printemps du Conseil atlantique est traditionnellement consacrée à des questions non militaires, et les ministres de la Défense n’y participent pas. M. Couve de Murville a d’ailleurs précisé que les grands problèmes feraient l’objet de discussions au cours des prochains mois. C’est pourquoi on peut considérer la conférence d’Oslo comme le prélude à ces discussions (parmi lesquelles les entretiens de Gaulle-Kennedy occuperont une place importante) et comme la mise en chantier de celle de Paris, en décembre 1961.
La nomination de M. Dirk Stikker
Les pronostics ont été confirmés : M. Dirk Stikker a été nommé secrétaire général de l’OTAN, en remplacement de M. Paul-Henri Spaak. Qui est cet homme ?
À sa sortie de l’Université, après avoir soutenu sa thèse de docteur en Droit, il opte pour la carrière paternelle, la banque. Mais pas pour longtemps : après avoir dirigé la branche occidentale de la Twentsche Bank, il prend la direction des brasseries Heineken dont, avec le concours de groupes belges, suisses et français il ne tarde pas à faire une firme de réputation mondiale. Pour développer son réseau de vente, il visite de nombreux pays, dans toutes les parties du monde, en même temps qu’il se préoccupe de plus en plus des problèmes sociaux. À peine avait-il été appelé à la présidence du patronat néerlandais que la guerre éclate. Les conflits sociaux « traditionnels » lui paraissent devoir être mis à l’écart : « Nous avons été des ennemis dans le passé, dit-il aux délégués syndicaux. Dorénavant nous devons être des amis » – et, pour la première fois dans l’histoire du mouvement ouvrier, les syndicats se virent offrir l’aide financière du patronat (et l’acceptèrent). M. Stikker s’en expliqua plus tard : « Je ne me suis pas occupé des organisations catholiques et protestantes. Elles avaient les Églises pour les soutenir. Mais les syndicats socialistes, eux, n’avaient personne. C’est pourquoi j’ai pris l’initiative de leur faire attribuer des subsides ». De cette collaboration naquit une nouvelle institution, la « Fondation du Travail », dont le gouvernement fit un conseil consultatif pour toutes les questions relatives au travail.
La politique l’attire. Sénateur, il intervient activement dans tous les débats économiques et sociaux, puis prend une part prépondérante aux discussions relatives à l’Indonésie. Ministre des Affaires étrangères en 1948, il joue un rôle décisif dans les débuts de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE), au sein de laquelle il est nommé « conciliateur politique », avant d’y succéder à M. Van Zeeland comme président. C’est peut-être de ce moment-là que date le principal changement de ses préoccupations. À la différence de M. Spaak, il ne se passionne pas pour la politique intérieure, et comme la « Fondation du Travail » avait perdu de son intérêt en raison du retour des Pays-Bas à l’abondance et à la prospérité, il se dirige vers la diplomatie. Il reste six ans ambassadeur à Londres, puis, en 1958, il reçoit la direction de la délégation des Pays-Bas à l’Otan et à l’OECE.
Quelles sont ses convictions ?
Il est tout d’abord un fervent de la coopération internationale. Persuadé que les Pays-Bas ne peuvent se défendre seuls, et que leur intérêt leur commande de ne pas se replier sur eux-mêmes, à l’image du Portugal, la solution lui paraît être la collaboration étroite au sein d’institutions communes aux nations voisines par la géographie et les affinités : il signa au nom des Pays-Bas le traité de Washington en 1949, le traité créant la Communauté charbon-acier en 1950, puis celui de la Communauté européenne de défense (CED) en 1952 (il la définissait alors comme « un cercle concentrique au sein du cercle plus large de l’Otan » et comme un moyen d’associer l’Allemagne fédérale à la défense de l’Occident).
L’Europe unie n’a de sens pour lui que si elle vit en symbiose avec une Amérique sans laquelle elle ne peut se défendre. Au binôme Europe-Amérique, il substitue une idée plus organique des solidarités atlantiques.
L’« Europe des Six » ne lui paraît devoir être qu’une étape vers une organisation plus large, comprenant notamment la Grande-Bretagne, si toutefois celle-ci arrive à accepter l’idée de la supranationalité.
Il fut l’un des inspirateurs du plan Spaak-Norstad visant à mettre à la disposition du commandement de l’Otan un arsenal de fusées Polaris embarquées les unes sur des sous-marins américains, les autres sur des bâtiments d’autre pays. Il ne semble pas que ce projet ait maintenant des chances sérieuses d’être adopté tel quel, pour des raisons que nous avons exposées dans nos précédentes chroniques, mais il est révélateur de l’état d’esprit de M. Stikker.
Personnellement convaincu des vertus de l’intégration sur le plan militaire, et de la supranationalité dans le domaine politique, il est trop sensible aux réalités pour s’obstiner devant un obstacle momentanément infranchissable, et pour ne pas adopter les méthodes empiristes. C’est pour cela qu’il a donné son appui aux thèses de M. Spaak en faveur d’un renforcement de la consultation politique, moyen d’arriver à une meilleure coordination des politiques étrangères des pays membres de l’Otan – thèses qu’il fait siennes maintenant.
Sa vocation de conciliateur va être précieuse à l’Otan. Ses idées sont, sur des points importants, sensiblement différentes de celles du général de Gaulle. Des pays comme le Portugal et le Canada ont des concepts et des attitudes diamétralement opposés en matière de « colonialisme », etc. M. Stikker se souvient des efforts qu’il a déployés dans son propre pays entre patrons et ouvriers, puis, au sein de l’OECE, entre les diverses tendances européennes, et, optimiste par nature, il ne considère pas que la tâche excède ses forces. ♦