L’affaire rhodésienne
Imaginons la population — enfants compris — d’une ville comme Saint-Étienne, ou encore du 16e arrondissement de Paris, s’arrogeant sans partage le contrôle d’un territoire vaste comme les cinq septièmes de la France et habité par quatre millions de Noirs. Telle pourrait apparaître, réduite aux seules statistiques, la gageure délibérément assumée par les deux cent dix-sept mille Blancs de Rhodésie depuis ce 11 novembre 1965 dont ils auront voulu faire leur 4 juillet 1776.
En vérité, l’expérience ne présentait en elle-même aucun caractère de nouveauté, hormis les contingences constitutionnelles. Un gouvernement de colons européens fonctionnait en effet à Salisbury depuis plus de quarante ans, en vertu de l’autonomie interne conférée par Londres à cette colonie dès 1923. Aussi n’y a-t-il pas eu prise de pouvoir par cette minorité blanche, non plus que modification des principes antérieurs en matière administrative ni même de politique indigène. C’est la métropole elle-même qui s’était mise hors d’état de légiférer pour la Rhodésie du Sud bien avant que celle-ci se fût, en 1964, rebaptisée de son propre chef « Rhodésie » tout court puis, en 1965, proclamée purement et simplement indépendante.
Maîtresse de sa propre administration, de son armée, de sa police et de sa monnaie, on ne voit guère ce que cette colonisation blanche en Afrique australe eût pu perdre au maintien d’un statu quo aussi avantageux. Pour en garantir la perpétuation, il ne pouvait cependant y avoir, crut-elle, que l’indépendance, mais une indépendance que Londres, précisément, ne pouvait se permettre d’entériner, à la face du monde, dans les conditions qui régissaient l’autonomie interne, c’est-à-dire sous le contrôle exclusif de la minorité européenne. Celle-ci n’eût-elle pas revendiqué l’unique privilège qui lui manquât encore, en l’espèce la souveraineté constitutionnelle, que la métropole n’eût pas été amenée à formuler en faveur de la majorité africaine les exigences qui heurtèrent tant M. Ian Smith et ne lui laissèrent finalement le choix qu’entre la soumission ou la rébellion.
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