Dans son numéro de février 1955, la Revue de Défense Nationale publiait un article de l’Amiral Castex, intitulé : « Moscou rempart de l’Occident » (p. 129-143). Nous pourrions demander à nos abonnés de se reporter à cette livraison. Mais, vieille de plus de douze ans, nous pensons qu’elle a pu disparaître de certains rayons, d’autant que notre publication n’avait pas, à cette époque, le rayonnement national et international qu’elle connaît aujourd’hui. Aussi, nous extrayons de cet article la dernière partie. Nos lecteurs y apprécieront l’objectivité de l’Amiral Castex, et son sens de la prospective, « Une prophétie qui se réalise », n’est-ce pas le titre que mériterait cet extrait ?
Moscou, rempart de l’Occident ?
Devant le rayonnement politique de la Chine d’aujourd’hui, devant ses prétentions au leadership asiatique comme devant son développement militaire accéléré, on conçoit que les dirigeants de la Russie éprouvent quelque perplexité et quelque inquiétude, d’autant que leur pays est proche voisin de l’empire nouveau, avec une frontière commune de plus de 6 000 km. De quoi demain sera-t-il fait ? N’aurait-on pas été mal avisé en jouant l’apprenti sorcier ? En présence de ces masses asiatiques en voie peut-être de s’unir sous l’égide de Pékin, le Kremlin ressentirait-il « l’instinctif frisson » dont parle Mahan ? Verrait-il venir, proche, « l’imminent face à face de l’Europe et de l’Asie », qui hantait le même auteur, face à face dans lequel, comme autrefois, la Russie serait en première ligne ? Comme le disait excellemment M. Branellec, dans un remarquable article paru ici même (1) : « Les Soviétiques sont aujourd’hui confrontés avec le problème qui, dans quelques décades et peut-être même avant, dominera toutes les tentatives de maintien de la paix mondiale, celui de la coexistence, non plus avec un monde capitaliste, mais avec le monde jaune… D’ici peu la Russie soviétique risque d’entrer en compétition, à l’Est, avec la Chine. Celle-ci constitue le grand allié du jour, mais c’est aussi un grand adversaire potentiel. »
En d’autres termes, cette perspective se résumerait dans le vieux proverbe russe : « Deux ours ne peuvent vivre dans la même tanière ».
Faisant allusion à des difficultés possibles entre Moscou et Pékin, on a évoqué parfois la possibilité d’un « titisme ». Ce terme est tout à fait impropre. Le titisme n’était que l’évasion d’un petit satellite échappant à l’attraction d’un gros astre central. Ici, le satellite momentané est en passe de devenir politiquement, démographiquement et militairement un deuxième astre central aussi et même plus gros que le premier, au point de régner complètement sur l’Asie et même d’inquiéter l’Europe.
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