Outre-mer - Le deuxième congrès de l'Institut international de droit des pays d'expression française - Tchad : congrès du parti progressiste
Le deuxième congrès de l’Institut international de Droit des pays d’expression française
Le 18 janvier 1967, à Lomé, cinq jours après le coup d’État militaire – qui écartait du pouvoir le président Grunitzky – et la mise en place par le lieutenant-colonel Eyadema d’un « Comité de réconciliation nationale », s’est ouvert, comme prévu depuis plusieurs mois, le Congrès de l’Institut international de droit des pays d’expression française (Idef). Créé le 9 juin 1964, cet institut a pour objet de grouper les personnes s’adonnant à l’étude ou à la pratique du droit dans les pays totalement ou partiellement d’expression française. Il se propose essentiellement d’établir des relations entre les personnes physiques ou morales qui s’occupent de problèmes juridiques et de faciliter l’échange des idées sur ces mêmes questions ; de favoriser et d’organiser les échanges culturels et la coopération entre personnes et institutions de différentes nationalités qui s’occupent des problèmes faisant l’objet de l’activité de l’association ; d’organiser, avec l’aide de correspondants établis dans les différents pays, un bureau d’information et de documentation concernant ces sujets. Son siège a été fixé à Paris. Le président d’honneur est M. Isaac Forster, Juge à la Cour internationale de justice (Sénégal). Le président est M. René Cassin, président honoraire du Conseil d’État (France). Les vice-présidents sont MM. Gabriel d’Arboussier, ancien Garde des Sceaux et Ambassadeur en France, Directeur général de l’Institut de recherches et de formation des Nations unies (Sénégal) ; Paul-André Crepeau, Professeur à l’Université de Montréal (Canada) ; Pierre Lampué, Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences économiques de Paris (France) ; Alain Plantey, Maître des Requêtes au Conseil d’État, Ambassadeur de France à Madagascar (France) ; René Rakotobe, président du Conseil supérieur des institutions (République malgache) ; Anani Santos, avocat-défenseur (Togo) ; Joseph Brahim Seid, magistrat, ministre de la Justice (Tchad). Les membres du Comité directeur sont des juristes mauritanien, cambodgien, mandais, dahoméen, vietnamien, français, nigérien et gabonais. Le secrétaire général est M. Pierre Decheix, magistrat français.
L’Idef avait déjà organisé l’an dernier à Fort-Lamy (Ndlr : Ndjamena depuis 1973, Tchad) un colloque fort réussi. Ce second congrès montre la vitalité de l’Institut : seize pays étaient représentés : l’Algérie, le Cambodge, le Canada, la République Centrafricaine, la Côte d’Ivoire, le Dahomey (Ndlr : Bénin), la France, la Haute-Volta (Ndlr : Burkina Faso), le Liban, Madagascar, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Ruanda (Ndlr : Rwanda), le Togo et la Tunisie. Les participants, au nombre d’environ soixante se sont réunis à Lomé du 18 au 25 janvier 1967. Ils se recrutaient dans les diverses branches des activités juridiques, professeurs de droit, magistrats, avocats, notaires, hauts fonctionnaires. Les ministres de la Justice du Niger, M. Mahamane Dandobi, et du Dahomey, M. Grégoire Gbenou, dirigeaient en personne la délégation de leur pays. La représentation française était présidée par M. Pierre Lampué, professeur à la faculté de droit et des sciences économiques de Paris et vice-président de l’Idef.
Les débats, présidés avec autorité par Me Anani Santos, docteur en droit de la faculté de Paris, avocat-défenseur à Lomé, et vice-président de l’Idef, étaient consacrés à la famille et permirent d’entendre plus d’une vingtaine de communications consacrées soit à des monographies sur le droit de la famille des pays représentés, soit à des études d’ensemble mettant en parallèle la législation de divers États, soit à des rapports sur l’influence de diverses disciplines sur la situation de la famille : droit pénal, droit du travail, sécurité sociale. Des exposés d’ordre économique et historique en rapport avec le thème choisi ont également été développés.
La plupart de ces communications ont été suivies de débats animés permettant d’intéressantes comparaisons entre les droits des divers pays. Les nombreux praticiens de l’assistance ont pu, à cette occasion, confronter leurs expériences personnelles. Les principales communications ont été les suivantes :
Pierre Lampué : Les sources du droit de la famille en Afrique.
Gilbert Mangin : Le droit pénal de la famille dans les pays africains.
Martin Kirsch : Le droit du travail et la famille.
Pierre-François Gonidec : Famille et sécurité sociale en Afrique.
Gaston Leduc : Le statut de la famille et le développement économique.
Théodore Acouetey : Unité ou dualité de statuts dans le droit de la famille au Togo.
Grégoire Gbenou : La famille dahoméenne.
Lazéni Coulibaly : Les traits principaux du nouveau droit ivoirien de la famille.
Désiré Vangah : Le statut de la femme mariée dans le nouveau droit de la famille en Côte d’Ivoire.
Mahamane Dandobi : L’institution du mariage au Niger.
Aziz Benamor : L’évolution de la famille en Tunisie et la réglementation actuelle du droit de garde.
Jacques Massip : L’évolution actuelle du droit français de la famille.
Pierre Gannage : L’État face au pluralisme des statuts familiaux au Liban.
Albert Bohemier : La révision du droit de la famille du Québec et l’apport des sciences sociales.
Jacques Boucher : L’acculturation juridique dans l’histoire du droit de la famille au Québec.
Henri Raharijaona : La condition juridique de la femme en droit privé malagasy.
Abderrahmane Ounadjela : La famille algérienne.
Pierre Decheix : L’engagement de monogamie dans le code malien du mariage.
Chan Youran : Condition de la femme dans l’ancien droit khmer et à l’époque angkorienne.
Adrien Houngbedgi : Le chef de clan et le droit de la famille dans les coutumes du Bas-Dahomey.
Télesphore Yaguibou : Le lévirat en pays Kasséna et Lobi.
Raymond Verdier : Le problème matrimonial en pays kabrè.
Parmi les communications les plus remarquées on peut citer celle de M. Pierre Gannage, Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences économiques de Beyrouth, sur l’État face au pluralisme des statuts familiaux au Liban. Il existe en effet au Liban des communautés religieuses traditionnelles (musulmane, druze, chrétienne) et dans de nombreux secteurs de la vie publique, le citoyen ne prend contact avec l’État qu’à travers le cadre communautaire. Le législateur libanais a accompli avec prudence et modération un effort de laïcisation et d’uniformisation du droit. Un domaine paraît cependant encore complètement fermé à la législation civile, celui du mariage, également revendiqué par toutes les communautés en raison de son caractère religieux et de l’impossibilité de trouver à la réglementation que lui donnerait l’autorité civile un visage s’accordant avec la structure et le mode de vie de toutes les familles libanaises. Cette communication a particulièrement intéressé les délégués africains en raison de l’existence dans leur propre pays d’un droit coutumier souvent très diversifié.
Les sujets traités par les délégués ivoiriens MM. Lazéni Coulibaly et Désiré Vangah (droit ivoirien de la famille, statut de la femme mariée) ont également vivement intéressé l’assistance et donné lieu à de très longs débats. La France avait institué, parallèlement au statut civil de droit commun qui ne concernait qu’une minorité, ce qu’il était convenu d’appeler le statut personnel en vertu duquel chacun continuait d’être soumis aux règles de droit applicables à son ethnie, voire à sa tribu. Mais du point de vue de la stricte technique juridique le droit, très divers, généralement non écrit, souvent variable était difficile à interpréter et d’une application hasardeuse. Dans un but d’unité nationale, le législateur ivoirien s’est orienté vers un droit privé unique. Techniquement, l’œuvre accomplie se présente comme un ensemble de dix lois relatives au nom, à l’état-civil, au mariage, au divorce et à la séparation de corps, à la paternité et à la filiation, à l’adoption, aux successions, aux donations entre vifs et aux testaments, aux dispositions transitoires et à l’enregistrement des mariages non déclarés dans les délais légaux. Ces textes doivent être prochainement complétés par les lois relatives à la puissance paternelle, à la tutelle et à la protection des mineurs et aux incapables. Le passage de la famille de type traditionnel à la famille conjugale de droit moderne a été possible grâce à l’abolition de la polygamie, de la dot et du matriarcat. Le nouveau droit se caractérise par l’intervention de l’État (célébration civile du mariage, contrôle des conditions de fond du mariage), le libre consentement des époux et l’institution d’une nouvelle hiérarchie familiale. Des mesures ont été prises pour prévenir l’éclatement de la famille et protéger le patrimoine familial. Les orateurs ont reconnu qu’il serait vain de prétendre que les lois nouvelles seraient partout appliquées sans délai car la diffusion du droit est toujours lente. Mais l’accélération progressive des mutations socio-économiques donnera nécessairement un élan puissant à la famille conjugale et aidera le gouvernement ivoirien dans sa tâche. Toutes les autorités politiques, administratives et judiciaires ont d’ailleurs été mobilisées pour faire connaître à tous, hommes, femmes, citadins et paysans, le sens et le contenu des réformes. Un long débat a suivi les communications des représentants de la Côte d’Ivoire.
À la séance de clôture du congrès, M. Alex Ohin, membre du Comité de réconciliation chargé de la Justice, après avoir rendu hommage à la France, a précisé que le Togo, « dont la parenté juridique avec la France reste forte, compte, dans l’élaboration de son droit familial, faire une synthèse harmonieuse, tenant compte de nos aspirations au progrès et de la culture juridique que nous avons héritée de la France ».
Ce congrès, consacré à la famille, s’est révélé être une véritable réunion de famille : la communauté de langue et de formation juridique constitue en effet, ainsi que l’ont noté tous les observateurs, un facteur irremplaçable de compréhension et de cohésion.
Tchad : congrès du Parti progressiste
Préparé depuis longtemps et avec grand soin, le sixième congrès national du Parti progressiste tchadien (PPT), parti unique, s’est tenu à Fort-Lamy, en janvier, dans un palais construit spécialement dans ce but, en présence de plusieurs centaines de congressistes venus de toutes les provinces du pays. Il avait l’ambition de faire un bilan du chemin parcouru depuis l’indépendance, de montrer au reste de l’Afrique les réalisations et les ambitions de la jeune République. Le PPT avait donc lancé des invitations à tous les partis frères de l’Afrique francophone. Les présidents Diori Hamani du Niger et Bokassa de Centrafrique siégaient à la droite du président François Tombalbaye. Les présidents Houphouet-Boigny de Côte d’Ivoire, Modibo Keita du Mali, Massamba-Debat du Congo (Brazzaville), Bourguiba de Tunisie, Ahidjo du Cameroun, Tsiranana de Madagascar, Moktar Ould Daddah de Mauritanie avaient envoyé des messages et s’étaient fait représenter, ainsi que les présidents d’Algérie et du Ghana.
Le président de la République du Tchad, M. François Tombalbaye, est également le Secrétaire général du Parti Progressiste Tchadien. Il lui appartenait donc de présenter le rapport moral : énorme document dans lequel sont abordés tous les problèmes auxquels le Tchad doit faire face depuis l’indépendance. Le Président a d’abord rendu hommage à la sagesse de la politique du général de Gaulle qui « réside dans le fait que toutes les décisions prises depuis 1958, même les plus importantes, laissaient la porte ouverte aux adaptations successives imposées par les changements dans l’environnement politique : la constitution de la Communauté d’octobre 1958 contenait la communauté rénovée. Les accords de coopération, notamment en matière économique et financière, conclus avec les nouveaux États apportent la garantie de la continuité sans marquer une ingérence quelconque dans les affaires intérieures africaines ». Puis il a abordé, lucidement et courageusement, tous les problèmes actuels : le paysannat, l’information et l’éducation populaire, la jeunesse, l’émancipation de la femme, les institutions, le syndicalisme, les rapports internationaux, l’unité de l’Afrique et la place des entreprises étrangères dans la construction du pays. Une formule a retenu l’attention des observateurs : « J’ai souvent répété que tout était à faire ; il faut savoir dire que tout est souvent à refaire ».
Les délégués ont surtout attiré l’attention du congrès sur les problèmes économiques en vue du développement de la production agricole et de l’élevage et sur la nécessité « d’une politique énergique d’assainissement des finances publiques, notamment par la lutte contre la corruption ». Les délégués des différentes préfectures se sont exprimés avec une grande liberté, notamment lorsqu’ils ont dénoncé violemment la concussion, le népotisme, le tribalisme et l’incompétence des fonctionnaires. En conclusion, les délégués ont rendu hommage à l’assistance technique française, réaffirmé leur attachement à la France et au général de Gaulle, le non-alignement politique du Tchad, l’appui aux populations africaines luttant pour leur indépendance et souhaité la création de l’Eurafrique, présentée comme « l’unique palliatif au désordre international ». Le président Tombalbaye fut, à l’unanimité, reconduit dans ses fonctions de Secrétaire général du Parti. Mais le congrès ne put se mettre d’accord sur la composition du bureau politique national. En fin de compte, un comité de quatre membres (MM. Tombalbaye, Adouni Tchéré, président de l’Assemblée nationale, Jacques Baroum, ministre des Affaires étrangères, et Mme Kaltouma Guembang, représentant les femmes tchadiennes) fut mandaté pour proposer dans un délai de trois mois un nouveau bureau. Le 22 février, soit un mois et demi plus tard, les noms des 24 membres du nouveau bureau ont été rendus publics. Deux anciens membres, écartés précédemment, y font leur rentrée : M. Marc Dounia, ancien ministre d’État, et M. Mahamat Abd El Krim, ancien président de l’Assemblée nationale. Trois ministres, MM. Antoine Bangui, Ali Kéké et Raymond Naimbaye, entrent au bureau. On remarque le départ de sept anciens membres, en particulier de M. Maurice Adoum El Bongo, ministre de la Santé et des Affaires sociales, de M. Issa Outman, ministre des Eaux et Forêts et de M. Jean-Charles Bakoure, vice-président de l’Assemblée nationale. ♦