Conférence à l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) le 21 mars 1967.
La politique extérieure de la France en 1967
Les principes et les objectifs de la politique étrangère de la France en 1967 peuvent se définir en termes simples, car en vérité ils sont simples.
Il s’agit, bien évidemment et en premier lieu, d’assurer à un pays qui a subi tant de guerres, pendant tant de générations, sur tant de continents, qui a perdu un si grand nombre de ses fils et vécu, au cours des siècles, une histoire aussi dramatique, il s’agit, en vue de lui permettre de subsister et de progresser, d’assurer à ce pays une longue période de paix. Il va de soi que la politique de paix que le Gouvernement poursuit ne s’apparente en aucune manière à l’« apaisement » qui a caractérisé la période de 1980-1989. La paix dont bénéficie actuellement la France après tant d’années de guerre ne s’accompagne d’aucun compromis quant à l’indépendance de la nation. Elle résulte d’un certain équilibre des forces auquel, pour sa part, notre pays contribue en se dotant de moyens de défense modernes et en participant à une alliance. À défaut d’un désarmement général et contrôlé, qui demeure un but lointain et malheureusement pour le moment un rêve, seul cet équilibre assure à l’Europe et donc à la France, la paix qu’elle mérite. J’ai eu beaucoup de prédécesseurs depuis 1920 dans le bureau que j’occupe au Quai d’Orsay, mais bien peu ont eu l’heureuse fortune de pouvoir tenir des propos aussi optimistes.
Le deuxième principe qui nous guide et que la France s’honore de proclamer (bien que, sans doute, elle l’ait parfois oublié au cours de son histoire) est celui de la non-intervention dans les affaires intérieures des autres nations, chacune devant rester entièrement libre de déterminer la forme de son gouvernement, les conditions de sa vie économique, sociale, politique suivant les méthodes et l’idéologie de son choix. À l’inverse, nous entendons que les pays étrangers ne se mêlent pas de nos propres affaires. Ces principes ne sont d’ailleurs nullement en contradiction avec l’existence des engagements que les uns et les autres nous pouvons prendre soit en vertu de pactes d’alliance, soit pour développer par accords librement consentis une coopération dans tel ou tel domaine. Ils ne sont pas non plus contraires au désir qu’a la France de développer son influence économique, commerciale, technique, culturelle dans le monde entier. Et c’est bien ce qui se passe puisque depuis huit ans nos exportations ont, en valeur constante, augmenté de 204 %, nos investissements au dehors de 558 % de 1961 à 1964, et que peu à peu nous regagnons les positions que la langue et la culture françaises avaient perdues après la guerre sur tous les continents.
C’est en vertu de ce principe de non-intervention et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes que nous avons mené à bien la décolonisation, tout en demeurant amis avec la plupart des États qui faisaient naguère partie de l’Empire français. C’est en vertu du même principe que nous reconnaissons des pays d’idéologies fort différentes et qu’en particulier nous avons établi des relations diplomatiques avec la Chine parce que depuis quinze ans un gouvernement existe à Pékin, contrôlant un territoire où vivent plus de 700 millions d’hommes.
Je crois que le troisième principe qui est à la base de l’action diplomatique de notre gouvernement est le « réalisme », autrement dit la volonté de considérer le monde tel qu’il est et non tel qu’il fut ou tel que nous rêvons qu’il soit. Cela paraît, au premier abord, évident. Cependant, plus j’avance dans la carrière qui est la mienne, plus je m’aperçois combien sont rares les hommes qui ont à la fois le courage, le caractère et le jugement nécessaires pour s’arracher et arracher ensuite leurs concitoyens à des formules, à des clichés, à des « slogans » périmés, qu’eux-mêmes parfois ont d’ailleurs contribué à créer, qui étaient parfaitement justifiés à certaines époques, mais que les circonstances nouvelles rendent absurdes ou dangereux. Il n’est certes pas toujours facile d’inventer un grand dessein, il est dix fois plus difficile d’y mettre un terme lorsqu’il est devenu hors d’usage. Or nous ne pouvons continuer à conserver, en 1967, des positions qui étaient bonnes en 1946 ou en 1950. Nous devons nous apercevoir à temps des changements qui résultent du rapport de forces, ou de la création d’armes nouvelles, c’est-à-dire ceux de l’ère atomique, de la montée de certains peuples et du déclin de certains autres, de la valeur relative des potentiels économique, financier, militaire, y compris d’ailleurs du nôtre.
Des principes aussi généraux semblent s’imposer tout naturellement. Mais il n’est pas aisé d’y conformer à chaque instant son action. Il ne me sera certes pas possible, en quelques pages, d’examiner comment se matérialise l’application de ces idées dans les innombrables circonstances où doit se manifester la diplomatie française. Je me bornerai à quelques exemples, en montrant comment se définit notre politique dans deux cas particuliers importants, d’abord en Europe, puis vis-à-vis des États-Unis d’Amérique.
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Voyons donc d’abord ce qu’il en est de notre politique européenne, et en premier lieu en Europe occidentale.
La France reste toujours favorable au grand mouvement vers l’union dont elle-même a pris l’initiative sur le plan économique, qu’elle a été en mesure de mettre en œuvre grâce à la stabilité politique et monétaire retrouvée en 1958 et qu’elle a, depuis lors, développé non seulement dans le domaine industriel et commercial, mais récemment dans celui de l’agriculture. Je crois que la formation d’un vaste groupement de 200 millions d’hommes qui acceptent de se plier à des règles économiques communes, où s’échangent librement marchandises, capitaux et main-d’œuvre, est à l’origine d’une transformation profonde de notre pays et de ses voisins continentaux. Elle nous permet, en ouvrant nos portes au vent salutaire de la concurrence, de sortir la France d’un isolationnisme qui, entre les deux guerres, a été une des sources de sa faiblesse, de ses retards et de ses malheurs. Ainsi le goût du risque, depuis si longtemps perdu, a-t-il été restauré en même temps que la nécessité d’améliorer la qualité de notre production ; ainsi, pouvons-nous espérer conclure la négociation Kennedy, en vue d’une libération plus large des échanges internationaux.
À la base de l’initiative européenne de la France, se trouve la volonté de réconcilier la France et l’Allemagne. Le traité qui a été signé entre le Général de Gaulle et M. Adenauer, quelles que soient les vicissitudes qu’il a pu subir, est fondamental. Le nouveau gouvernement allemand l’a marqué nettement, notamment au cours de la visite du Chancelier Kiesinger à Paris. Il y a là une des bases essentielles de la paix européenne.
Comment cet effort sera-t-il poursuivi dans les mois et les années qui viennent ? Il va de soi que les Six continueront à rechercher, à renforcer, sous une forme ou sous une autre, leur union dans de nouveaux domaines — social, monétaire, fiscal, peut-être un jour celui de la Défense et même de la politique extérieure. Il n’a pas dépendu de nous qu’à cet égard l’accélération n’ait été plus rapide. Les projets initiaux que nous avons soumis pour une coopération politique, il y a plusieurs années déjà, malgré leur modestie, n’ont pu recueillir l’accord de nos cinq partenaires. Faut-il s’en étonner d’ailleurs, aussi longtemps que la plupart d’entre eux ont sur les problèmes diplomatiques mondiaux des idées fort différentes des nôtres et plus proches de celles d’un État non européen ? Mais enfin nul ne peut contester que de grands progrès ont été réalisés.
Évidemment le problème se pose non seulement en ce qui concerne l’intensification des liens entre les Six, mais encore à propos de l’ouverture de la Communauté à d’autres puissances et notamment à la Grande-Bretagne. Je rappellerai que depuis le début, avant même que soient négociés les traités qui nous engagent à appliquer des règles communes, l’Angleterre avait été invitée à participer à la discussion et qu’elle s’y était obstinément et à plusieurs reprises refusée. Je rappellerai qu’en janvier 1968 le Gouvernement français n’a pas opposé un veto à la candidature anglaise, mais constaté seulement qu’en dépit de dix-huit mois de pourparlers ardus, l’Angleterre n’était pas en mesure d’accepter les disciplines que s’imposaient les Six. Cette vérité, longtemps contestée par une propagande acharnée, est reconnue aujourd’hui par les Anglais eux-mêmes.
Et maintenant, en 1967, le Premier Ministre britannique et son Secrétaire d’État aux Affaires Étrangères procèdent à un sondage en vue d’une nouvelle candidature éventuelle. Leurs explications ont été reçues à Paris avec beaucoup d’intérêt. M. Wilson et ses collègues ont affirmé que le Royaume-Uni a changé, qu’il est désormais animé d’un sincère désir de devenir membre de la Communauté. Ils ajoutent toutefois constamment que « les intérêts essentiels de l’Angleterre et du Commonwealth doivent être préservés », sans qu’il nous soit possible de savoir si l’application pure et simple du Traité de Rome et des arrangements qui l’ont suivi sont à leurs yeux compatibles avec les intérêts essentiels qu’ils évoquent. Le problème se pose notamment dans le domaine de l’agriculture où les structures du Marché Commun et celles de la Grande-Bretagne sont fort différentes dans le domaine monétaire puisque, seule dans la Communauté, la livre sterling serait une monnaie de réserve et une monnaie de compte mondiale, dans le domaine de la libre circulation des capitaux, compte tenu de l’existence des balances sterling, etc… Tout cela demande donc à être approfondi. Dès maintenant il nous apparaît que trois solutions sont possibles :
— ou bien l’Angleterre accepte les règles communes et, après une période intérimaire, les applique comme les Six pays continentaux. Mais cela est-il possible compte tenu des différences qui tiennent à la fois à la géographie, à l’histoire et aux habitudes ?
— ou bien la Communauté elle-même accepte de se modifier fondamentalement pour tenir compte de l’entrée de la Grande-Bretagne suivie de plusieurs de ses partenaires de la Zone de Libre-Échange : Scandinavie, Irlande, etc… C’est là un travail gigantesque et qui heurterait peut-être les fondements de la Communauté Européenne qui s’échafaude ;
— ou bien l’Angleterre et d’autres pays de la Zone de Libre-Échange seraient liés aux Six par des traités particuliers (ce que dans le vocabulaire de Bruxelles on appelle une association) qui pourraient d’ailleurs constituer une étape vers la participation entière. C’est une solution qui est actuellement rejetée par le Gouvernement britannique pour des raisons que je comprends d’ailleurs mal, car cette formule n’est en rien inspirée par une idée de discrimination, mais par la constatation qu’il est peut-être impossible d’appliquer aux Six nations continentales et aux îles Britanniques des règles identiques.
Pour le moment aucune décision n’a été prise ni quant au fond, ni quant à la forme. Il est clair que la question sera étudiée pendant les mois prochains. Quelle que soit l’issue de ces travaux, elle ne saurait porter atteinte à l’amitié profonde qui nous lie à l’Angleterre, ni à la coopération technique qui est engagée entre elle et nous, notamment dans le domaine aéronautique.
En même temps, au cours des douze mois qui viennent de s’écouler, la France a mis en pratique la politique de détente avec l’Europe de l’Est qui lui paraît correspondre à l’évolution des choses et qui n’est nullement en contradiction avec la consolidation du Marché Commun à l’Ouest. Pour de multiples raisons — au nombre desquelles on peut compter l’équilibre des armements nucléaires, les leçons tirées des affrontements de Cuba et de Berlin, la querelle qui s’est approfondie entre la Russie soviétique et la Chine, l’importance prise par l’Asie dans les préoccupations américaines et russes, l’éclatement du monolithisme communiste — on doit constater que la guerre froide en Europe a fait place à un désir d’entente et de coopération dans de multiples domaines technique, scientifique, économique, humain. Là encore la France a montré le chemin. Enfin, nous sommes heureux de voir qu’après certaines hésitations, certains procès d’intention même, nous sommes aujourd’hui suivis par beaucoup de pays occidentaux. Le Président de la République a été à Moscou, nous avons reçu à Paris M. Kossyguine. Notre Ministre des Affaires Étrangères a rendu visite à tous les pays de l’Europe orientale. De nombreux accords de coopération ont été passés, de nombreuses missions ont été accueillies et envoyées à Paris et dans les diverses capitales de ces pays.
Comme le Premier Ministre soviétique l’a déclaré lui-même, cette politique n’est dirigée contre personne. C’est la première fois, je pense, que la France entreprend une coopération à la mesure de l’Europe tout entière, incluant notamment à la fois l’Allemagne et la Russie. Elle voit dans cette conception la seule possibilité d’assurer pour une longue période la paix européenne et aussi la solution du problème allemand, en mettant fin à une division qui ne pourrait être maintenue indéfiniment sans graves dangers. Cet effort de coopération entre l’Ouest et l’Est dont nous nous sommes fait les champions et qui paraît aujourd’hui accepté par les uns comme par les autres, doit amener, selon nous, les conditions d’une réunion des deux Allemagnes dans les frontières actuelles, compte tenu des engagements de l’Allemagne en matière de sécurité dans le domaine atomique. Il va de soi qu’il s’agit là d’une politique à longue échéance. Les vues que je viens de rappeler ne sont certes pas acceptées par tous les protagonistes. Mais enfin le ton employé par le Gouvernement de Bonn, la certitude reconnue qu’une position de force ne saurait faciliter la solution, la renonciation de fait à toute participation à une Force Multilatérale atomique, l’établissement de relations diplomatiques entre la République Fédérale et la Roumanie, le désir de multiplier de tels contacts avec les autres pays socialistes d’Europe nous apparaissent comme les premiers signes du dégel que nous avons souhaité. Les tendances qui se manifestent ainsi ne doivent pas être découragées.
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Ce même souci de voir le monde tel qu’il est réellement détermine et explique aussi les relations de la France avec le pays le plus puissant, le plus riche de l’univers, son plus ancien allié, les États-Unis d’Amérique. J’en parlerai plus particulièrement parce que j’ai passé de nombreuses années à Washington.
Il est vrai que nos différends avec les États-Unis sont nombreux et parfois profonds ; mais, comme le disait déjà Jefferson : « les différences d’opinion ne sont pas des différences de principe » et notre amitié historique ne devrait pas en être altérée. Bien plus, il me paraît sain que parmi les nations du monde libre, chacune fasse connaître son sentiment en tenant compte de sa propre situation, géographique, historique et économique dans le monde. Il se trouve toutefois que, pour des raisons faciles à comprendre, la France est le seul des États occidentaux qui ose s’exprimer avec cette liberté. Il serait absurde de rechercher dans une sorte d’anti-américanisme systématique une explication des attitudes de la France. Des propagandes diverses n’ont pas hésité évidemment à recourir à cette analyse simpliste chaque fois que, au cours des dernières années, les deux pays se sont trouvés en désaccord. Elles ont été jusqu’à dire, par exemple, que c’est par désir de nuire aux intérêts américains que la France condamnait le fonctionnement actuel du système monétaire international et qu’elle provoquait des sorties d’or des États-Unis. En réalité, ces mouvements n’avaient d’autre cause que le déficit de la balance américaine des paiements. Ils se perpétuent actuellement alors que ce n’est pas la France mais d’autres pays qui en profitent — et aucune voix ne s’élève pour les condamner. Il en est ainsi de beaucoup d’autres sujets de querelles entre Paris et Washington qui ont été injustement rapportés par la presse des deux côtés de l’océan.
Aujourd’hui, deux problèmes principaux peuvent contribuer à troubler la traditionnelle amitié de nos rapports : la position que nous avons prise à l’égard de l’OTAN et les vues que nous avons exprimées sur le Vietnam.
La question de l’OTAN qui, il y a un an, avait fait tant de bruit, semble, tout au moins en ce qui nous concerne, actuellement réglée. À aucun moment d’ailleurs personne n’a pu croire que la décision de nous extraire de la structure militaire de l’OTAN — qui avait été établie en 1950, au milieu de la guerre froide, et qui ne nous paraissait plus justifiée en 1967 — nul n’a pu croire que cette décision, depuis longtemps annoncée, ait mis en péril la sécurité de l’Occident. On sait au surplus que nous demeurons membre de l’Alliance Atlantique pour le cas, d’ailleurs improbable, d’une résurgence des anciennes menaces. Les problèmes posés par la présence d’unités françaises en Allemagne, par le départ des forces alliées installées sur notre sol, par les accords destinés à assurer les liaisons entre États-Majors alliés en cas d’une guerre menée en commun, tout cela est réglé ou en voie de l’être.
L’opposition de nos points de vue sur l’affaire du Vietnam apparaît maintenant comme la plus sérieuse. Je rappellerai tout d’abord que cette opposition n’est pas nouvelle. Nous avons dit tour à tour à M. Eisenhower, à M. Kennedy, à M. Johnson les appréhensions que pouvaient faire naître d’abord la présence au Vietnam du Sud de conseillers militaires, puis l’envoi d’unités organisées, puis le déclenchement d’une guerre chaque jour plus cruelle. Nous l’avons exprimé au début par la voie discrète de la diplomatie, en soulignant que l’emploi de moyens militaires ne paraissait pas susceptible de régler le problème, que seul le recours à la négociation dans le cadre des accords de Genève ouvrait la voie à la paix. Ces mêmes idées ont été ensuite rendues publiques au fur et à mesure que se développait ce qu’on appelle l’escalade.
En agissant ainsi, en recommandant à Phnom-Penh l’annonce du retrait dans un délai raisonnable et déterminé des forces américaines, rendant possible une négociation pour garantir l’indépendance des peuples du Vietnam, nous n’avons pas le sentiment de proposer un règlement qui soit contraire à l’intérêt ou à la dignité des États-Unis. Quelle que soit la différence des circonstances, nous avons pour notre part mis fin par la négociation à des situations peut-être plus difficiles encore — et sans que l’honneur eût à en souffrir. Malheureusement l’expérience est la chose au monde la moins transmissible. Nos avertissements et nos conseils n’ont pas été entendus. Tant qu’il ne s’est pas produit un changement essentiel dans l’état d’esprit de nos amis américains, il nous paraît inutile de prendre des initiatives ou de nous mêler à des tentatives qui, pour l’instant, sont vouées à l’échec. Cela ne signifie pas qu’un jour, dans la mesure où nous le croirons possible et utile, ayant gardé de bons rapports avec tous les intéressés, nous ne nous décidions pas à mettre notre diplomatie et nos ressources à la disposition d’une recherche réelle de la paix, à la neutralisation et à la reconstruction du Sud-Est asiatique. Le moment n’est pas venu, nous ne devons pas le dissimuler, et l’épreuve nous paraît longue pour tous ceux qui combattent. Elle constitue, en même temps, un frein au mouvement de détente entre Washington et Moscou, dans la mesure où les États-Unis et la Russie soviétique se trouvent opposés dans ce conflit asiatique.
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Comme je l’avais dit au début de cet exposé, notre politique étrangère est simple ; elle est claire aussi, ne se perd pas dans de ténébreux méandres et nous permet de tenir à chacun de nos interlocuteurs le même langage.
Nous avons l’heureuse fortune de vivre en un temps où en Europe les risques de conflit généralisé se sont estompés ; en un temps où la voix de la France, en dépit du bruit des propagandes adverses, s’est fait de nouveau entendre comme celle d’un peuple fraternel et désintéressé, et cela sur tous les points du globe où naguère encore, — comme dans le monde arabe ou en Afrique — nous étions représentés sous les traits odieux du colonialisme.
J’ai vu moi-même, à l’étranger, s’opérer cette métamorphose. Je sais qu’elle est liée étroitement à des éléments internes, qui tiennent à l’action continue d’un homme et d’un gouvernement, à la réforme de nos institutions, à notre progrès économique, à la tenue de notre monnaie plus qu’à l’art du diplomate. Ceux qui se penchaient avec une sollicitude parfois un peu hypocrite sur la faiblesse et l’instabilité de nos gouvernements, ceux qui nous croyaient engagés sur la pente fatale du déclin, ceux qui se plaignaient de cette France trop souvent quémandeuse, sont les mêmes qui aujourd’hui nous font grief de reprendre notre rang et d’exprimer avec franchise notre opinion sur les affaires du monde. Ils devraient se persuader cependant qu’agissant de la sorte nous ne songeons pas uniquement à des intérêts égoïstes, mais à l’avenir de l’homme. Aucun sermon ne les en convaincra ; les faits seuls leur permettront de changer d’avis sans avoir à perdre la face. Sachons seulement, sans nous décourager, que le chemin sera long et que certains problèmes, que nous traînons à travers l’histoire, ne comportent pas ici-bas de solution. ♦