Avant l’affaire Dreyfus, il existait au Ministère un bureau appelé modestement « section de Statistique » et qui était en réalité le point de convergence de tout le système d’espionnage et de contre-espionnage. Il avait fort bien été organisé et perfectionné par le Lieutenant-colonel Sandher. Toutes les affaires s’y traitaient naturellement dans le plus grand secret ; les officiers, même du Ministère, ne pouvaient y pénétrer que rarement et toute visite était annoncée par un système compliqué de sonneries électriques.

Les renseignements obtenus par espionnage étaient envoyés par la section aux directions compétentes du Ministère. C’est par cette section notamment, avec intermédiaire d’un affilié près de l’Ambassade d’Allemagne à Paris, que l’on recueillit dans une corbeille à papier les fragments du fameux bordereau attribué à Dreyfus. Mais l’affaire causa la désorganisation de la section de Statistiques ; bien des officiers qui y avaient travaillé (le Commandant Rollin en particulier) furent sacrifiés ; la plupart des espions ou contre-espions furent brûlés, et puis on considéra que les relations entre espions et officiers — souvent envoyés en mission — étaient indignes du caractère de ces derniers. Je ne sais ce que cette machine de guerre est devenue depuis la fin de l’affaire Dreyfus.

Quoi qu’il en soit, le 5 février 1892, la 3^e Direction reçoit de la section de Statistique trois documents sommaires, sur deux systèmes d’affûts de campagne Haussner (allemand), l’un d’eux étant caractérisé par la longueur de la course du canon sur l’affût ⁽¹⁾. Je vois encore ces trois documents ; ils étaient, comme tous ceux venant de la section, sur papier pelure d’oignon et tirés au cyclostyle. Nous recevions souvent de ces documents mais que d’ivraie pour y trouver quelques bons grains !