Institutions internationales - Silence et inquiétudes à l'ONU - Nouvelles étapes européennes
Durant la période des vacances, l’activité des institutions internationales n’a guère attiré l’attention de l’opinion publique. Sans doute aurait-il fallu, pour qu’il en fût autrement, que quelque événement particulièrement grave menaçât directement la paix mondiale, les institutions internationales à vocation politique ou militaire ne pouvant guère prévenir les conflits, et ne pouvant qu’essayer de les minimiser, parfois de les réduire, lorsqu’ils ont éclaté. Comme les Nations unies n’ont pu jusqu’ici que formuler des vœux pieux à propos de la guerre du Vietnam, et qu’elles ont témoigné de leur impuissance lors de la phase guerrière du conflit israélo-arabe, elles ne pouvaient guère qu’enregistrer, à propos de ces deux problèmes, les événements qui survenaient.
En ce qui concerne les organisations européennes, la mise en place de l’Exécutif commun des trois Communautés (Marché commun, Euratom, Communauté charbon-acier) sous la présidence de M. Jean Rey s’est poursuivie dans un climat particulièrement favorable, mais aucun problème particulier ne paraissait devoir se poser, et, en effet, il ne s’en est posé aucun.
L’activité de l’Otan, quant à elle, est dominée par l’installation du SHAPE dans la banlieue bruxelloise, et par le prochain déménagement (courant octobre) du Secrétariat International et du Conseil Atlantique à Bruxelles.
Silence et inquiétudes à l’ONU
M. Thant, Secrétaire général des Nations unies, n’a pas éprouvé la nécessité de tenter une nouvelle médiation dans la guerre du Vietnam, ses précédentes tentatives dans ce sens s’étant heurtées à l’opposition conjointe des États-Unis et du Vietnam-Nord, les deux antagonistes estimant qu’ils n’avaient aucune raison de renoncer à leur intransigeance, chacun d’eux s’estimant fondé à la maintenir en droit, et à s’y tenir en raison des perspectives de la situation militaire. Par ailleurs, les troubles qui agitent la Chine ne sont pas de nature à favoriser l’intervention d’un tiers.
Quant à Israël et aux États arabes, ils se sont contentés de tirer les conclusions qui leur paraissent les plus favorables (plusieurs interprétations sont en effet possibles) du vote émis avant les vacances par l’Assemblée générale. Les incidents qui se sont produits à diverses reprises dans les zones arabes occupées par l’armée israélienne n’ont pas été d’une ampleur suffisante pour mettre en péril l’état de fait, qui depuis la victoire israélienne, a « figé » momentanément le Moyen-Orient. Comme Israël a décidé de ne tenir aucun compte des recommandations des Nations unies à propos de Jérusalem, et comme les États arabes refusent les conditions posées par Israël pour l’ouverture de négociations, la situation ne pouvait que demeurer telle qu’elle était. Un fait nouveau est toutefois intervenu – mais « extérieur » aux Nations unies : la conférence arabe de Khartoum a décidé la reprise du pompage du pétrole, assortie de l’engagement des gouvernements producteurs de fournir une aide financière importante aux pays directement affectés par la campagne de juin – et, en marge de la conférence, un accord pour mettre fin à la guerre du Yémen et en retirer les troupes égyptiennes.
Le remplacement de M. Seydoux par M. Bérard à la tête de la Représentation française aux Nations unies est une occasion de souligner que la France, au cours des dernières années, a retrouvé, au sein de l’aréopage de New York, une audience et un crédit nouveaux. Ainsi apparaît-il clairement que le rôle d’une grande puissance dans les institutions internationales dépend moins de son comportement au sein de celles-ci que de sa politique générale. Les institutions internationales enregistrent et répercutent les politiques nationales, en s’efforçant d’ailleurs de les coordonner beaucoup plus qu’elles ne les inspirent.
Nouvelles étapes européennes
Durant ce temps, M. Jean Rey, président de la nouvelle Commission unique des Communautés européennes, a enregistré un premier succès : les quatorze membres de la Commission se sont mis d’accord sur la répartition de leurs attributions respectives. La prochaine étape sera la mise en place des « directions générales » incombant aux différents membres. La décision de l’accord de fusion stipulant que le nombre des membres passe de 9 à 14 pour une durée de 3 ans (pour revenir ensuite à 9) ne pose pas de problèmes, parce que la Commission travaille sur le principe de la collégialité. M. Hallstein s’était toujours élevé contre l’élargissement de la Commission, parce qu’il craignait d’y voir se former des clans. M. Rey, lui, a considéré le problème sous un autre angle. Outre la répartition des responsabilités communautaires entre les 14 membres, il a décidé de former des groupes de travail pour assurer la coordination interne et pour faire apparaître une plus grande clarté dans les travaux de la Commission. Cette dernière pourra ainsi recourir aux quatre instruments suivants :
– pour l’élaboration des nouveaux décrets européens, aux chefs de cabinet, aux « commissaires » et aux groupes de travail ;
– pour la rédaction finale, le vote et la décision, à la Commission réunie en séance plénière et à la procédure écrite.
Dans un cas au moins la conception des groupes de travail permet d’offrir une sorte de prix de consolation : il s’agit du vice-président allemand, M. Fritz Hellwig, qui fut pendant 8 ans membre de la Haute Autorité de la Communauté Charbon Acier. Ancien directeur de l’Institut allemand de l’Industrie, ancien président de la commission économique du Bundestag, il a été considéré comme tout indiqué pour s’occuper, dans la nouvelle Commission, de la politique industrielle et concurrentielle, mais il voudrait en outre être chargé des relations extérieures, et n’apprécie guère les responsabilités qui lui ont été confiées en matière d’affaires nucléaires et de recherche. Mais, dans les groupes de travail, M. Hellwig se retrouve président du groupe chargé d’examiner les demandes d’adhésion, et vice-président du groupe « Problèmes économiques généraux », que dirige M. Raymond Barre (France). M. Hellwig peut ainsi exercer une influence déterminante sur le cours de la Commission en matière de politique économique, et c’est le seul membre allemand qui a voix au chapitre pour la « politique étrangère » de la Commission, mais c’est un partisan déclaré de l’adhésion de la Grande-Bretagne, et il est ainsi à prévoir que ses suggestions se heurteront à l’attitude française sur ce point.
Il est évidemment trop tôt pour savoir si les groupes de travail vont entraîner la formation de « factions », comme on le craint à Bruxelles… Le groupe de travail « Problèmes agricoles », dirigé par M. Mansholt (Pays-Bas) et M. Deniau (France) est déjà qualifié ironiquement de « groupe des dauphins ». Le grand spécialiste des affaires agricoles qu’est M. Mansholt était déjà, avec M. Hallstein, la personnalité la plus en vue de la Commission du Marché commun. Malgré la controverse avec la France, qu’il n’a jamais cherché à atténuer, sa position est toujours aussi forte, et il sera vraisemblablement l’un de ceux qui s’efforceront d’élargir les prérogatives de la nouvelle Commission au-delà des textes et dans un sens supranational, ce qui ne pourra manquer de provoquer une opposition française, comme lors de la crise du 30 juin 1965, provoquée précisément par une tentative semblable de M. Hallstein. Son adjoint, M. Deniau, conduisait la délégation de la Commission du Marché commun lors des premières négociations avec la Grande-Bretagne en 1961-1962. Son poste au sein de la nouvelle Commission est le commerce extérieur, domaine particulièrement important si l’on songe par exemple à la position qu’occupe la Communauté économique européenne (CEE), première puissance commerciale du monde, dans l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT).
C’est un autre Allemand, M. von der Groeben qui, après avoir abandonné à M. Sassen (Pays-Bas) les problèmes de concurrence et d’entente (cartels, fusions et concentrations d’entreprises) est chargé du « marché intérieur », y compris le commerce intérieur, la politique fiscale et la politique régionale. Ce sont là des domaines riches d’avenir. L’harmonisation de la fiscalité européenne vient de démarrer et elle constituera l’une des tâches les plus importantes des prochaines années. Quant à la politique régionale, elle est un terrain pratiquement vierge, et les exigences de l’aménagement du territoire s’imposent sur le plan européen comme elles s’imposent sur le plan national.
À cela, on peut ajouter :
• Le quatrième « congrès acier », organisé par la Haute Autorité de la Communauté Charbon-Acier, qui s’est tenu à Luxembourg en juillet ;
• Trois propositions de la Commission du Marché commun, décidant le droit d’établissement et la libre prestation des services pour les activités non salariées des architectes ;
• L’adoption, par la République fédérale, de la TVA à partir du 1er janvier 1968, (taux moyen : 10 %, taux réduit pour de nombreuses exceptions : 5 %) en remplacement des taxes en cascades jusqu’à alors pratiquées, cette décision ayant été prise en application de la décision visant à l’établissement, en 1970, d’un système uniforme de TVA dans les pays de la Communauté européenne, premier « impôt européen ».
Par ailleurs, plusieurs travaux ont été entrepris pour étudier le problème de l’intégration monétaire européenne. Bien des progrès ont été accomplis : les monnaies européennes sont aujourd’hui librement convertibles, les balances des paiements sont équilibrées et parfois excédentaires, les réserves d’or et de dollars sont substantielles, les niveaux des prix se sont rapprochés, les barrières douanières ont été abaissées de 80 % entre les « Six » et disparaîtront le 1er juillet 1968, cependant que les institutions européennes se développaient, se fortifiaient, développaient régulièrement leur influence sur les politiques nationales. Mais les aspects proprement monétaires sont restés au second plan, la politique agricole, les droits de douane, la liberté d’établissement n’ont pas cessé depuis dix ans de passer avant la préoccupation d’une monnaie européenne. Le Traité de Rome accorde peu de place à la monnaie, mais, surtout, les événements ont suivi un cheminement différent de celui que l’on avait imaginé. Il semblait à beaucoup que la solution du problème monétaire incombait à l’« Union européenne des paiements » (UEP). Or celle-ci a été liquidée en 1958, et l’assainissement monétaire est passé par la voie de la restauration des monnaies nationales et non par celle de la création d’une monnaie européenne. Celle-ci est aujourd’hui beaucoup moins nécessaire, parce que l’un des résultats recherchés – la création d’un pouvoir d’achat valable dans une zone étendue – est obtenu grâce à la libre convertibilité des monnaies à taux fixe. Dès l’instant où l’on peut en toute liberté échanger des francs contre des marks à un cours stable, on n’a pas réellement besoin d’une monnaie qui serait valable à la fois en France et en Allemagne. Mais les « Européens » notamment ceux de tendance fédéraliste, estiment que si le passage à une monnaie unique ne serait peut-être pas très difficile techniquement, il aurait une grande signification politique. Selon eux, il ne s’agit plus de promouvoir la libre circulation des produits et des services au moyen d’une monnaie commune ou interchangeable : cela est acquis. Il s’agit d’influer en commun sur le développement économique et social, c’est-à-dire d’élaborer et d’exécuter une politique monétaire commune, comme instrument d’une politique économique et sociale commune.
À certains indices, il apparaît que ce problème sera posé dans quelques mois par la Commission des Communautés européennes.