La situation des anciens États baltes
Le 24 janvier 1969, dans un article d’une demi-page, la Pravda dénonçait de graves déviations à caractère nationaliste dans les républiques baltes, notamment en Lithuanie. D’autre part, au cours des dernières semaines de 1968, un million et demi d’hommes et femmes originaires des pays baltes ont célébré dans le monde, avec leurs organisations, le cinquantenaire de l’indépendance de leurs États respectifs : Lithuanie, Lettonie, Estonie, proclamée après la révolution de 1917, devenue effective entre 1918 et 1920, et qui ne devait durer que le temps d’une génération. Mais si perturbée qu’ait été cette vingtaine d’années, son souvenir n’est pas effacé. Les États baltes ne sont-ils pas les seuls pays européens indépendants de l’entre-deux-guerres qui aient disparu de la carte en tant qu’États indépendants ? Réabsorbés par la Russie, ils ont subi depuis de profondes transformations politiques, économiques, démographiques et sociales, et sur le plan diplomatique, leur situation demeure particulière.
L’originalité de ces nationalités n’a jamais été contestée. Constituées par deux groupes ethniques distincts, les Baltes proprement dits et les Lives (Finno-ougriens d’origine mal connue), isolées entre la mer et les peuples slaves sur la frange terminale de l’immense plaine russe, ces populations se sont trouvées, après leur passage au christianisme au XIIIe siècle et l’arrivée d’étrangers germaniques, slaves et Scandinaves, être les témoins et souvent les victimes des compétitions entre ceux-ci, marchands, guerriers ou missionnaires. L’Ordre teutonique s’y établit solidement dans la partie septentrionale, y introduisant le luthéranisme, tandis que les Lithuaniens constituaient avec les Polonais un puissant État à majorité catholique. Après le troisième partage de la Pologne, ces territoires passèrent dans leur ensemble sous la domination des tzars, mais ces nouveaux liens n’étaient pas renforcés par des affinités ethniques. Maintenant leurs langues propres, leurs traditions et leurs religions, développant une littérature originale et leurs arts particuliers, ces peuples résistèrent avec succès à plusieurs tentatives tzaristes de russification systématique, qui suscitèrent seulement un important courant d’émigration vers le Nouveau Monde et des aspirations nationales plus précises, encore intensifiées après les mouvements de 1905 en Russie.
La brève indépendance
La guerre et la révolution précipitèrent les événements. Le 16 novembre 1917, Lénine lançait sa proclamation accordant aux diverses nationalités le droit de se constituer en États indépendants. Des Comités nationaux se formèrent et au cours de 1918 proclamèrent l’indépendance de la Lithuanie, de l’Estonie et de la Lettonie. Mais les armées allemandes occupaient ces territoires où s’étaient élevées les forteresses des Chevaliers teutoniques. L’armée von der Goltz prétendait s’y maintenir, après la capitulation allemande, pour aider les autochtones à refouler les troupes soviétiques qui tentaient de se réinstaller sur la Baltique. Elles ne se retirèrent que sur l’ultimatum de Foch. Les armées rouges ne furent elles-mêmes définitivement rejetées qu’après la contre-offensive de Pilsudski en 1920. Désireuses de ne pas se laisser entraîner dans les complications territoriales de l’Est européen et attendant que tout espoir soit définitivement perdu de reconstituer une Russie libérale, les puissances occidentales ne reconnaîtront de jure les trois nouveaux États mis en place en 1919 qu’en janvier 1921 pour la Lettonie et l’Estonie, et 1922 pour la Lithuanie. Il est caractéristique qu’à l’égard de ces petits pays dangereusement placés entre les mondes slave et germanique, les démocraties pratiqueront toujours, sans contester leur caractère national, une politique de prudente réserve.
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