Aéronautique - L’Airbus A300B et la coopération européenne – Difficultés européennes dans le choix d’un avion de combat polyvalent – Évolution de l’aviation d’affaires
L’Airbus A300B et la coopération européenne
La présentation du Concorde, qui a été sans conteste le clou de ce dernier Salon de l’aéronautique au Bourget, a brillamment démontré les possibilités que l’on peut attendre de la coopération de plusieurs constructeurs européens sur le plan des formules nouvelles, de la technologie et du développement.
À ce salon, a fait également son apparition, mais encore à l’état de maquette, un nouveau projet de coopération européenne : l’Airbus A300B qui mérite que soient évoquées les raisons ayant présidé à sa naissance et les conditions retenues pour sa réalisation.
Dès le début des années 1960, les compagnies aériennes comme les constructeurs se sont préoccupés de trouver un successeur moyen-courrier pour la Caravelle ou les appareils équivalents.
Il s’agissait de satisfaire aux besoins de 1975 tels qu’ils pouvaient être déterminés, compte tenu d’un taux de croissance annuelle du transport aérien supérieur à 10 %, tout en s’efforçant de réduire le prix de revient du siège-kilomètre, ce qui aurait pour conséquence une extension supplémentaire de la clientèle.
Il fallait également que, au moment de la production en série, le marché soit suffisant pour amortir les investissements et frais de développement.
Une étude des routes aériennes inférieures à 1 600 km (limite adoptée pour les moyen-courriers) faisait apparaître qu’en 1958 seulement quatre routes aux États-Unis avaient un trafic de 1 000 passagers-jour. Dès 1968, leur nombre s’élevait à 44 routes pour les États-Unis et 16 pour l’Europe et il est prévu pour 1978 qu’il atteindra respectivement 215 et 56.
La saturation de la circulation aérienne, en particulier à proximité des aéroports, l’impossibilité d’étaler totalement les horaires au cours de la journée inclinaient à choisir un appareil à grande capacité qui fort heureusement, grâce à l’amélioration des cellules et surtout des réacteurs à double flux, se trouvait être le mieux adapté à une plus grande rentabilité de l’exploitation. Dès 1965 à Londres, les grandes compagnies européennes réunies en symposium avaient officiellement reconnu le besoin d’un moyen-courrier à grande capacité à partir de 1970.
De leur côté, à la même époque les gouvernements anglais et français, désireux de sauvegarder les intérêts de leurs industries aéronautiques nationales, avaient préconisé l’élaboration en coopération de projets répondant aux besoins des compagnies.
Parallèlement aux projets français avec le Galion (Sud Aviation, Marcel Dassault) et franco-anglais (Hawker Siddeley, Breguet, Nord Aviation) avec le HBN 100, un groupe d’études réunissant les principales firmes allemandes demandait par l’intermédiaire du gouvernement à s’associer aux autres partenaires.
Les grandes lignes du projet commun furent très rapidement arrêtées grâce à une uniformité de points de vue et présentées aux trois gouvernements en octobre 1966 sous l’appellation A300.
Après le choix du moteur, le Rolls-Royce RB207, les principales clauses techniques et un projet d’organisation industrielle furent soumis aux gouvernements suivis d’un protocole d’accord en août 1967. L’unanimité s’étant faite sur la nécessité d’une maîtrise d’œuvre, cette responsabilité fut confiée à Sud Aviation pour la cellule et à Rolls-Royce pour les moteurs.
Sur le plan commercial, une société anonyme, l’Airbus international, créée à partir des sociétés réalisatrices, serait chargée de la vente et du service après-vente dans le monde entier.
Les travaux avancèrent rapidement dans un climat de parfaite coopération, mais les conclusions présentées aux services officiels le 2 août 1968 n’entraînèrent pas une décision immédiate car, en partie grâce au gain de puissance obtenue sur le RB207, l’appareil avait fortement grossi avec une capacité de 300 sièges soit notablement supérieure à celle souhaitée par les compagnies aériennes.
Du côté américain, le choix s’était arrêté sur deux triréacteurs : le Lockheed L-1011 TriStar et le McDounnel Douglas DC-10, moyen-courriers à rayon d’action nettement supérieur, qui n’entraient donc pas en compétition directe avec l’A300.
Il fut décidé de réduire le nombre de places en se donnant la possibilité de choisir parmi trois types de moteurs étudiés pour équiper les triréacteurs américains (Rolls-Royce RB2117 [introuvable], Pratt et Whitney JT9D, General Electric CF6) et de ce fait économiser la mise au point du nouveau RB207.
Ce nouveau projet présenté en décembre 1968 sous le nom de A300B était destiné à satisfaire aux conditions de confort, de rapidité et d’économie d’exploitation souhaitées par les passagers et les compagnies. Les principaux points à noter sont : une vitesse de croisière de 945 km/h, de bonnes performances de décollage et de montée essentielles pour des étapes courtes. Afin de raccourcir au maximum la durée des escales : des accès aisés pour l’embarquement des passagers, et surtout pour le ravitaillement et la remise en condition de l’appareil.
Il est également prévu un dispositif d’atterrissage tout temps catégorie III qui permettra de s’affranchir en très grande partie des conditions atmosphériques à l’atterrissage.
De par les progrès technologiques l’A300B devrait avoir un prix de revient siège-kilomètre très faible et aurait l’avantage sur les triréacteurs américains de bénéficier d’un coefficient de remplissage nettement supérieur.
Toutefois, de manière à faire face à toute augmentation ultérieure du trafic, l’A300B pourra facilement voir sa capacité portée à 300 sièges par simple allongement du fuselage et augmentation de la poussée des réacteurs.
Les études de marché ont fait apparaître un besoin global d’environ 1 000 appareils pour 1980.
Quel est l’état d’avancement du projet ? Dès le début 1969, les gouvernements allemand et français ont pris officiellement position en faveur du projet, tandis que la Grande-Bretagne reste encore dans l’expectative.
Un accord de coopération signé le 29 mai 1969 charge Sud Aviation et Deutsche Airbus de poursuivre la réalisation du programme selon la formule originale suivante : les deux États financent le projet sur la base d’un forfait qui sera remboursé au fur et à mesure des ventes des avions de série. Ce forfait couvre l’ensemble du programme de développement jusqu’à la certification en vol des prototypes et la réalisation de l’outillage de série. La maîtrise d’œuvre confiée à Sud Aviation passera sous la responsabilité d’un organisme commun groupant les constructeurs associés : Airbus industrie, qui aura toute latitude pour sous-traiter.
Rien ne s’oppose à ce que de nouvelles firmes s’associent au projet à condition de participer au financement de la phase de développement.
La décision franco-allemande d’aller de l’avant, sans attendre le choix du propulseur, devrait permettre aux industries aéronautiques de l’Europe de l’Ouest, d’arriver en tête dans cette section du marché mondial et de préserver leur avenir et leur indépendance.
Difficultés européennes dans le choix d’un avion de combat polyvalent
Un consortium européen, la Panavia, avait été chargé d’étudier un projet d’avion de combat à rôles multiples qui dans le cadre de l’Otan devait remplacer certains appareils périmés comme les F-84 et F-86.
Cet appareil de supériorité aérienne devait être relativement petit, léger et bon marché afin de pouvoir être commandé en grande série.
Le projet présenté par la Panavia vient d’être rejeté par les Pays-Bas, qui sont opposés au choix d’un bimoteur et qui considèrent cet appareil comme un chasseur bombardier ne répondant pas aux spécifications d’un chasseur de supériorité aérienne.
Les Pays-Bas n’en désirent pas pour autant se retirer du consortium, mais désireraient que soient examinés d’autres appareils déjà en cours de développement ou à l’étude tels que le Northrop P-530, les Mirage F1 et G, le Saab Viggen, ainsi que deux projets allemands non désignés.
Des représentants italiens ont exprimé, mais en privé seulement, un point de vue proche de celui des Néerlandais car l’Italie a un besoin urgent de remplacer ses F-84 et F-86 et considère que les délais de développement d’un avion nouveau seraient prohibitifs.
Il serait alors proposé que cet appareil soit construit sous licence par le consortium, ce qui constitue le point clé de l’affaire.
Les arguments hollandais sont les suivants : la mission de réponse flexible de l’Otan s’accommode mieux d’une flotte importante d’avions légers et simples que d’un petit nombre d’appareils complexes et coûteux et les Pays-Bas, en conséquence, souhaitent que la Panavia se charge simultanément des deux programmes.
Cette contre-proposition néerlandaise paraît difficilement acceptable par le consortium car elle entraînerait des bouleversements importants dans l’organisation et le déroulement des travaux en cours.
Il semble que le refus de la Panavia se traduirait par un retrait des Néerlandais, mais sans répercussion notable sur le coût du chasseur biréacteur.
En effet, les commandes originelles s’élevaient à 1 200 dont 600 pour l’Allemagne de l’Ouest, 300 pour la Grande-Bretagne, 200 pour l’Italie et 100 pour les Pays-Bas.
Le retrait des Pays-Bas serait à peu près compensé par la commande supplémentaire de 85 unités par la Grande-Bretagne.
Le coût unitaire de cet appareil n’a pu encore être déterminé avec précision mais d’ores et déjà le coût du développement est évalué à 1 milliard de dollars à répartir au prorata des commandes.
Les Italiens comme les Néerlandais étant favorables à un avion léger et peu coûteux, sont peu pressés de donner leur accord définitif ; ce qui pourrait provoquer finalement une coopération germano-anglaise entre la BAC (British Aircraft Corporation) et Messerschmitt Bolkow Blohm.
En réalité, les discussions et les difficultés de réaliser un accord proviennent moins d’un désir de satisfaire aux spécifications de l’Otan que d’un souci évident de conserver une certaine compétence et autonomie en matière de construction aéronautique de – que ne pourrait procurer une simple fabrication de matériel étranger sous licence.
Évolution de l’aviation d’affaires
Bien que tout ait été dit sur le dernier Salon du Bourget, il est un point sur lequel il faut encore insister et qui concerne le développement de l’aviation d’affaires.
On assiste actuellement à une transformation des appareils qui constituent le parc de l’aviation « générale ». Les avions très légers mono ou bimoteurs aux performances modestes continuent à connaître une vogue grandissante mais, parallèlement, se développe un nouveau type d’appareil de liaison rapide et équipé pour le vol tout temps mieux adapté aux besoins particuliers de l’aviation d’affaires.
C’est ainsi que dans la revue Aviation Week, un article fait ressortir l’excellence des réalisations européennes en matière de biturbopropulseurs et biréacteurs légers en signalant la compétitivité du matériel et les efforts déployés par les constructeurs pour s’imposer sur le marché aéronautique mondial. Le succès du Mystère 20 Falcon aux États-Unis est sans doute la cause initiale d’une telle préoccupation outre-Atlantique.
Les principaux avions qui ont particulièrement retenu l’attention compte tenu de l’avancement des programmes sont le L-410 Turbolet et trois réalisations françaises : le Mystère 10 dénommé Mini-Falcon, le SN-600 Corvette et le biturbopropulseur Hirondelle présenté par Dassault.
L-410 Turbolet
Cet appareil construit par les usines Let de Tchécoslovaquie est un biturbopropulseur qui a effectué son premier vol le 16 avril 1969 et qui a été montré la première fois au public au Bourget.
Caractéristique originale, ses moteurs sont deux PT6A-27 fabriqués par United Aircraft of Canada, et les hélices tripales sont des Standard Hamilton ce qui démontre un désir évident de s’immiscer dans le marché mondial d’où les pays de l’Est sont pratiquement exclus depuis la Seconde Guerre mondiale.
Le Turbolet est prévu en six versions différentes allant du cargo au transport de personnalités (huit passagers) en passant par la formule 20 passagers en classe touriste pour les liaisons de complément entre les grands centres et les villes-satellites. Le constructeur a recherché d’excellentes performances sur terrain court et sommairement aménagé par la combinaison de moteurs puissants, de volets hypersustentateurs à double fente et de pneus basse pression.
Une distance de décollage en 300 mètres avec passage de l’obstacle de 15 mètres au poids maximum de 5,5 t devrait procurer au Turbolet une grande variété d’application tant en Tchécoslovaquie que dans les pays de l’Est.
En URSS, en particulier, cet appareil apparaît comme un concurrent non négligeable du Beriev Be-30 destiné à remplacer l’importante flotte d’Antonov An-2.
Il est vraisemblable qu’un moteur soviétique sera choisi pour la diffusion au-delà du rideau de fer et qu’en dépit des essais effectués avec le PT6A et des discussions en cours avec United Aircraft pour une production sous licence, la clientèle occidentale ne pourra être réellement prospectée qu’après l’accord donné par la commission du contrôle des munitions du département d’États.
Mystère 10 Mini-Falcon
Le Mystère 10 ne figurait au salon que sous forme de maquette et représente une reproduction à l’échelle réduite du Mystère 20, ce qui constitue une garantie quant à ses qualités futures. Prévu pour huit passagers avec un rayon d’action maximum de 4 000 km et une vitesse maximale dépassant 850 km/h, le Mini-Falcon a l’avantage de pouvoir être équipé de trois moteurs différents, ce qui facilite l’exportation : soit le réacteur de General Electric CJ-610, soit une version dérivée du Garrett TFE631 retenu pour le Learjet soit, enfin, un réacteur français étudié par Turbomeca, le M49 Larzac.
Le marché qui semble immédiatement ouvert est celui lié au Falcon dont la commercialisation par l’intermédiaire de la PAWA (Pan American World Airways) a été une brillante réussite aux États-Unis. Cette compagnie a annoncé au salon une commande de 25 Mystère 10 avec une option sur 120 autres appareils, alors que le premier vol n’aura lieu qu’au printemps prochain et que la production en série ne débutera qu’en 1972.
Un tel succès n’a pas été sans soulever des récriminations de la part des firmes américaines, l’une d’entre elles (la Butler Aviation International) ayant annoncé qu’elle protesterait auprès du Civil Aeronautic Board, la commande de la PAWA constituant un obstacle au développement d’un avion équivalent de fabrication américaine.
Enfin, le Mini-Falcon a également pour objectif de satisfaire aux besoins de l’Armée de l’air française le jour où elle remplacera sa flotte de liaison à moteurs à piston par des doubles flux.
SN-600 Corvette
Également présenté en maquette grandeur nature, le SN-600 auparavant appelé Diplomate doit être construit par Sud et Nord Aviation et constitue un rival direct du Mystère 10 pour le marché militaire français. Légèrement plus gros que le Mystère 10, il est prévu dans un plus grand nombre de versions allant du cargo au transport de personnalités (13 passagers).
Bien que le moteur retenu, au moins pour satisfaire les besoins militaires, soit le Larzac (1 100 kg de poussée), le prototype sera équipé de JT15D-6 de United Aircraft of Canada dont la mise au point est plus avancée que celle du réacteur de Turbomeca.
Le JT15D-6 sera sans doute réservé aux exemplaires destinés à l’exportation.
La production en série ne devrait débuter comme pour le Mini-Falcon qu’en 1972 et les constructeurs paraissent décidés à fournir de gros efforts pour prendre également pied sur le marché américain, leur appareil ayant sensiblement les mêmes performances que le Mini-Falcon.
Dassault Hirondelle
Cet avion, à sa conception, était surtout destiné à répondre aux besoins de l’Armée de l’air pour le renouvellement de son parc d’avions de liaison et d’école.
Dotée de deux turbopropulseurs Turbomeca Astazou XIV, l’Hirondelle peut emporter six à 14 passagers.
Cependant, l’Armée de l’air semblant orienter son choix plutôt vers un turboréacteur, la Société Dassault envisage actuellement un nouveau débouché pour cet appareil comme avion de complément pour les liaisons entre les grands centres et les villes périphériques ; formule qui se développe rapidement aux États-Unis.
La description de ces quelques appareils ne donne pas un tableau complet du matériel de cette classe existant ou en cours de mise au point ; il faudrait y ajouter le Leargep, le Jetstream, le Gulfstream, le Hawker Siddeley HS.125 dont 200 exemplaires ont déjà été vendus, ou même un turbopropulseur japonais le Mitsubishi.
Il faut noter tout de même que les constructions aéronautiques françaises ont fait en la matière de gros efforts et que l’intérêt ou les craintes qu’elles ont suscités en particulier aux États-Unis sont significatifs de la valeur et de la compétitivité de notre industrie aéronautique. ♦