L’enjeu du désordre. De la contagion révolutionnaire à la guerre atomique
Dans son précédent ouvrage, Bâtir l’avenir, le général Beaufre avait proposé une méthode d’analyse et de décision basée sur l’établissement d’un faisceau d’hypothèses d’évolution des relations internationales. Transposée à ce vaste domaine, c’était une méthode d’état-major, familière aux militaires. Ici, partant du postulat que les événements de mai 1968 en France se sont montrés particulièrement et spécifiquement révélateurs de la révolution dans laquelle le monde se trouve engagé, il applique la méthode au cas concret véritable, tout en avertissant le lecteur qu’il ne s’agit que d’une esquisse bien imparfaite.
L’intérêt peut donc se porter sur la méthode elle-même à l’épreuve de son application, ou sur les conclusions qu’elle permet de dégager, les deux objets n’étant évidemment pas exclusifs.
Théoriquement satisfaisante, la méthode nous a semblé incomplètement conduite. Pour la mieux faire comprendre et plus encore pour en rendre l’emploi plus aisé, l’auteur a été amené à la simplifier. Or toute méthode prospective est par nature complexe ; par suite, toute simplification est dangereuse. De plus, une méthode est une technique et, à ce titre, ne doit pas reculer devant sa propre technicité. Il est évident qu’il est plus agréable et plus facile pour le lecteur de suivre un texte rédigé que des tableaux, des courbes ou des graphiques, mais la démarche est moins sûre, la progressivité du raisonnement moins nettement marquée et les interactions des paramètres en jeu moins aisément discernables. Il nous paraît donc que la formule reste à trouver qui concilie l’exigence rigoureuse du raisonnement sous tous ses aspects et l’indispensable clarté de l’exposé.
Les conclusions ne peuvent être qu’à court terme ; à lointaine échéance, le nombre des hypothèses se multiplie au point de faire perdre à la plupart d’entre elles toute crédibilité. En dehors de principes fondamentaux, comme le caractère déterminant de l’éducation et de l’instruction, qui sont des quasi-évidences, elles portent sur des données qu’il est normal d’accepter et dont il est sage d’admettre la vraisemblance. Le général Beaufre se garde évidemment de faire des prédictions ; il aboutit à un éventail de plusieurs déroulements possibles des relations internationales dans le proche avenir. On peut en discuter le détail ; il semble difficile de ne pas donner un accord d’ensemble.
Ce livre nous paraît donc marquer une bonne étape dans la voie de la clarification des méthodes d’étude des problèmes complexes, bien qu’il n’apporte pas d’emblée la solution définitive. Mais nul ne pouvait s’attendre à ce que l’on puisse passer d’un seul coup de l’empirisme d’autrefois à la méthode scientifique de l’avenir. ♦