Aéronautique - Le budget de l'Armée de l'air pour 1970 - Concorde : état du projet ; des pilotes de ligne aux commandes - L'avenir du Breguet 941
Le budget de l’Armée de l’air pour 1970
Si l’on se reporte au tableau du budget des Armées qui a été présenté par le Contrôleur général Heidt (voir Revue de Défense de janvier 1970), on constate que le budget Air (Titre III et Titre V) se monte sensiblement à 6 000 millions de francs (MF), soit 22 % du budget des Armées (les chiffres correspondants sont de 26 % en Grande-Bretagne et 31,5 % aux États-Unis). Les crédits de paiement et les autorisations de programme de la section Air se décomposent comme suit :
- |
Crédits de programme (CP) |
Autorisations de programme (AP) |
||||
- |
1969 |
1970 |
Balance |
1969 |
1970 |
Balance |
Titre III |
2 469,9 |
2 630,9 |
+ 5,4 |
387 |
404,5 |
+ 4,5 |
Titre V |
3 150,1 |
3 410 |
+ 8 |
3 467 |
3 978,5 |
+ 14,75 |
Total |
5 647 |
6 040,9 |
+ 7 |
3 854 |
4 383 |
+ 13,7 |
Si le budget Air comporte des crédits de paiement en augmentation globale de 7 %, la progression du Titre III (+ 5,4 %) signifie que les difficultés de gestion rencontrées en 1969 ne pourront que croître en 1970 du fait de la hausse générale des prix et de l’apparition de charges nouvelles, telles que la campagne d’essais dans le Pacifique et la poursuite des opérations au Tchad. La situation est légèrement plus favorable pour le Titre V qui représente 56 % du budget total. Son accroissement de 8 % par rapport à 1969 devrait permettre la réalisation d’un programme annuel satisfaisant.
Les autorisations de programme pour 1970 augmentent nettement (+ 14,7 %) mais ce taux d’accroissement est inégalement réparti entre les divers chapitres.
En ce qui concerne les études de matériel, il sera possible de poursuivre les programmes de développement en cours : Mirage F1, Jaguar, Mirage G, bimoteur à géométrie variable, réacteurs M53 et Larzac et de commencer l’étude d’un avion-école franco-allemand destiné à remplacer le Lockheed T-33 Silver Star à partir de 1975 et dont le besoin devient pressant.
Sur le plan des fabrications, la commande de Jaguar a été ramenée à 71 exemplaires au lieu de 100 tandis que se poursuivront à un rythme ralenti le rajeunissement du matériel de transmissions de bord, et la réalisation du réseau de télécommunications Air 70 et du Système de transmission rapide des informations de défense aérienne (Strida).
La refonte des SNCASO SO-4050 Vautour et SMB2 (Dassault Super-Mystère B2) et un programme des quelques avions de guerre électronique compléteront l’équipement en matériel aérien.
L’examen rapide de ce budget 1970 qui fait apparaître des difficultés probables dans la vie quotidienne au cours de l’année à venir, représente quant aux investissements un budget d’attente qui ne condamne pas l’avenir à condition que pour le 3e plan d’équipement militaire, une progression réaliste et raisonnable des ressources allouées à l’Armée de l’air lui permette d’assumer avec efficacité les nombreuses et importantes missions qui lui incombent.
Comme le rappelait M. Debré à l’Assemblée nationale lors de l’examen des crédits militaires, une fois les équilibres économiques fondamentaux établis, il faudra poser le problème politique que constitue la place que la France entend donner à sa Défense nationale : « 3,4 % du Produit national brut (PNB) est acceptable actuellement, mais ne serait pas tolérable à la longue… Il faut donc doter notre pays de la capacité militaire qui lui est indispensable pour rester indépendant de toutes les hégémonies et pour participer à l’établissement de la paix. »
Concorde :
État du projet
Le programme Concorde résulte d’une association BAC-Sud Aviation signée en novembre 1962 qui avait pour objet la combinaison de deux projets, l’un anglais concernant un transport transatlantique s’appuyant sur des recherches en matière d’aile delta et l’autre français à moyen rayon d’action dénommé Super Caravelle.
Prévu pour des liaisons Paris-New York à une vitesse de croisière de Mach 2,2, le Concorde a finalement été conçu pour relier le centre de l’Europe à New York avec 128 à 144 passagers à une vitesse de Mach 2,05 avec une durée de vie de 45 000 heures de vol.
La mise au point du projet comprend quatre prototypes et deux cellules pour les essais de résistance. Les deux premiers prototypes totalisent 150 heures de vol.
Le coût du programme est actuellement évalué à 14 950 MF (1 220 millions de livres) se répartissant ainsi :
– 9 750 MF pour les recherches et développement de la cellule et des moteurs (soit un dépassement de 3 750 MF sur les 6 000 prévus en 1966 résultant de l’inflation, de la dévaluation de la livre et des modifications de structures survenues pour conserver une charge transatlantique de 25 000 livres) ;
– 800 MF pour les travaux de recherche gouvernementaux ;
– 800 MF pour la réalisation de machines-outils spéciales ;
– 3 330 MF pour l’outillage de production et les travaux initiaux ;
– 270 MF provenant de la dévaluation du franc.
Le marché est estimé à 300 appareils s’étalant de fin 1973 à 1976. Le prix de vente unitaire sera d’environ 110 MF (135 MF avec le lot de rechanges) et ne permettra sans doute pas d’amortir plus de 60 % des investissements. Cependant pour une perte globale d’environ 5 350 MF, chaque État bénéficiera pour sa balance des changes d’une rentrée de devises équivalente à 6 650 MF (500 M£).
Actuellement le nombre des commandes passées à BAC-Sud Aviation s’élève à 74, réparties comme suit :
Air France 8 ; BOAC 8 ; Pan American 8 ; Continental Airways 3 ; American Airlines 6 ; Transworld Airlines 6 ; Middle East Airlines 2 ; Quantas 4 ; Air India 2 ; Japan Airlines 3 ; Sabena 2 ; Eastern Airlines 6 ; United Airlines 6, Braniff 3 ; Air Canada 4 ; Lufthansa 3.
Das pilotes de ligne aux commandes
Les deux firmes Sud Aviation et BAC ont pris l’heureuse initiative de convier plusieurs pilotes de compagnies aériennes pour une évaluation en vol du Concorde. Ont bénéficié de cette faveur quatre compagnies : Air France et BOAC de même nationalité que les constructeurs, mais également deux compagnies américaines : Pan American World Airways et Trans World Airlines.
Les vols se sont déroulés à Toulouse début novembre 1969 sous la direction d’André Turcat et ont duré dans leur ensemble 7 h 50. Il est à remarquer qu’ils correspondent environ au 60e vol du prototype français.
Après une présentation détaillée de l’appareil et de ses performances et deux séances de simulateur, chaque pilote a pu procéder en vol à une évaluation complète de l’appareil. Aucune limitation n’avait été imposée quant aux manœuvres et exercices explorés au cours des vols antérieurs, ce qui permit à chaque pilote d’expérimenter Concorde à la limite de ses possibilités et dans les configurations les plus défavorables. Les vols se sont déroulés avec un rapport poussée-poids correspondant aux futurs avions de série.
Pour une masse de 286 500 livres, la vitesse de rotation au décollage était de 170 nœuds. Après une montée à 3 000 mètres à vitesse de 300 nœuds, visière et nez ont été relevés pour monter à 8 000 m et prendre un régime de croisière à 0,9 Mach.
Une fois une partie du carburant transférée à l’arrière pour obtenir un centre de gravité adapté au vol supersonique, la postcombustion a été allumée et le passage de Mach 1 a été réalisé à 10 000 m, pour atteindre finalement Mach 1,2 à 13 000 m. Un réacteur coupé à cette altitude a été rallumé à 9 000 m sans entraîner de difficultés particulières. Les différents cas de panne ont été laissés à l’initiative des pilotes de ligne qui ont pu apprécier les remarquables capacités du Concorde. Des approches ont été réalisées sur deux moteurs avec un fort vent de travers correspondant aux conditions les plus défavorables rencontrées en exploitation. Remise de gaz à 60 m, panne de moteur au décollage, approches manuelles sans serve-commande et sans système de stabilisation ont complété cette mise à l’épreuve du Concorde.
De l’avis général des quatre pilotes, au cours de toutes les conditions de vol rencontrées, l’appareil était agréable et facile à piloter et n’imposait pas une surcharge de travail, même au cours des pannes simulées. Ils ont conclu qu’il n’y aurait vraisemblablement aucune difficulté à transformer sur Concorde pilotes de lignes et mécaniciens navigants.
Les quelques critiques mineures, qui ont été exprimées, concernent l’aménagement intérieur de la cabine de pilotage et la course des pédales de freins et n’enlèvent rien aux immenses qualités de l’appareil en vol subsonique et supersonique.
L’avenir du Breguet 941
Depuis plusieurs mois de nombreux articles sont consacrés au Breguet 941 dans la presse aéronautique tant étrangère que française. L’intérêt porté à cet appareil provient du succès de la formule choisie pour des performances de décollage et atterrissage courts, intérêt rehaussé par l’essor des liaisons intercentres urbains (commuter Unes) aux États-Unis. De plus, les essais en vol se terminent et si la commande de quatre exemplaires par l’Armée de l’air est de bon augure, elle n’en est pas pour autant significative quant au lancement de la production en série.
Les armées étrangères intéressées subordonnent leurs commandes à un équipement plus important de nos Forces aériennes, ce qui, dans l’état actuel du budget militaire, est difficilement réalisable.
Au moment où se développent à l’étranger les recherches sur avion de transport à décollage et atterrissage court ou vertical, il est regrettable que l’avance détenue par le Breguet 941 en la matière n’ait pas donné lieu à une exploitation rapide à grande échelle. Tout espoir n’est toutefois pas abandonné en ce moment même où se joue l’avenir de cet avion qui mérite de voir rappelées dans cette chronique ses qualités et sa carrière déjà longue.
Description
Le Breguet 941 est issu d’un programme d’avion de transport léger militaire dont l’utilisation opérationnelle est basée essentiellement sur ses qualités Adac (Avion à décollage et atterrissage courts) et sa capacité d’emport. Ces deux facteurs qui conditionnent en grande partie l’aéromobilité des armées modernes correspondent également à une nouvelle forme du transport aérien civil. Le Breguet 941 a été précédé d’un appareil expérimental le Breguet 940 dont le premier vol remonte à mai 1958. Les vols d’expérimentation du Breguet 941 ont débuté dès juin 1961.
C’est un appareil classique dont les qualités Adac sont obtenues grâce à une aile soufflée sur sa totalité par 4 hélices de grand diamètre conjuguées mécaniquement et assurant ainsi une symétrie de fonctionnement même en cas d’arrêt d’une turbine. D’une longueur de 24,35 m et d’une envergure de 23,40 m, son poids à vide est d’environ 14 tonnes pour un poids maximum au décollage de 26,5 t. Il est équipé de 4 turbines Turmo IIID3 de 1 500 CV entraînant des hélices de 4,50 m de diamètre. Le train d’atterrissage Messier type Jockey très robuste permet de s’accommoder de terrains extrêmement sommaires.
La soute très vaste (66 m3) autorise des charges allant jusqu’à 9,8 t ou 55 sièges en version passagers, ou 24 brancards en version sanitaire. Le chargement est facilité par la présence d’une rampe incorporée et le réglage de l’assiette de l’avion au sol.
Le Breguet 941 peut être utilisé en parachutage de personnels ou matériels lourds grâce à la soute arrière qui s’ouvre en vol.
La caractéristique principale demeure l’aptitude remarquable au décollage et à l’atterrissage courts dans d’excellentes conditions de sécurité.
Au poids de 20 t sur un terrain en herbe, la distance de roulement au décollage est de 175 m, et de 80 m à l’atterrissage. La pente de montée est de 26 % sur 4 moteurs, réduite à 17 % sur 3 moteurs.
De telles performances confèrent au Breguet 941 d’importantes possibilités d’utilisation aussi bien sur le plan militaire au voisinage de la zone des combats que sur le plan du transport civil à partir de plates-formes restreintes à l’intérieur des villes.
Une capacité d’emport non négligeable a permis de définir plusieurs types de missions militaires :
– mission d’assaut comportant le transport de 3 t entre deux terrains sommaires distants de 500 km, le trajet étant effectué à 3 000 m d’altitude jusqu’à 200 km du point de destination, puis à basse altitude ; retour à vide dans les mêmes conditions sans recomplètement de pleins ;
– mission de transport normale à partir de terrains sommaires avec l’emport de 4,5 t sur 1 200 km, trajet à 3 000 m ;
– mission logistique correspondant au transport, à partir d’un terrain type aéroclub, de 7,5 t sur 900 km, et même, dans certaines conditions dites de surcharge, sur 1 500 km.
État d’avancement du programme
Le Breguet 940 a effectué 300 h de vol, le prototype 941-01 1 150 h. Depuis le 1er avril 1967, les avions de présérie 941 S ont réalisé environ 1 000 h de vol.
En utilisation civile de transport de passagers, une version pressurisée dénommée Breguet 942 comportera la même motorisation mais avec une section de fuselage circulaire.
Sur les quatre avions commandés par l’Armée de l’air, deux sont déjà en place à Mont-de-Marsan où ils ont effectué plus de 100 h de vol sur un programme de 450 à 600 h. L’expérimentation militaire devrait être terminée à la fin du premier trimestre 1970 afin de permettre l’exploitation des quatre appareils en unité dès avril 1970.
Les essais effectués à Mont-de-Marsan intéressent plusieurs États étrangers qui ont envoyé des missions militaires d’évaluation (États-Unis, Belgique, Italie).
Sur le plan civil, le n° 2 a fait une importante campagne de démonstration aux États-Unis, sous l’appellation McDonnell Douglas 188.
Des équipements particuliers pour une navigation tridimensionnelle sur zone ont été montés pour deux compagnies américaines : Eastern Airlines et American Airlines.
L’élément principal était un calculateur omnitrack avec indicateur topographique pouvant être alimenté par différents systèmes de navigation (VOR-DME, HARCO, LORANC C) et des aides à l’atterrissage perfectionnés. American Airlines a également expérimenté un Doppler dont les informations pouvaient être directement traitées par le calculateur, et un ensemble inertiel comme moyen de navigation indépendant. Un transmetteur de données Data Link sur simple interrogation du sol pouvait fournir, sous forme codée, l’identification de l’avion et du vol, la position et l’altitude. Le degré de précision a été évalué à 7,60 m pour l’altitude et 30 m pour l’écart de route, ce qui permet d’envisager favorablement la définition de trajectoires pour les Adac s’imbriquant dans les couloirs aériens et la création d’un trafic supplémentaire en dépit de l’encombrement qui caractérise certaines zones.
Perspectives d’avenir
Le Breguet 941 dispose de réelles qualités Adac qui ne sont pas le résultat d’une surmotorisation mais la concrétisation de l’efficacité de la formule du souffle défléchi. Le système d’interconnexion des hélices qui constitue un important facteur de sécurité en cas de panne d’un moteur, vient compléter le bien-fondé d’une telle solution aux problèmes du décollage court, solution qui mériterait une plus large application.
Cependant, si l’on veut utiliser totalement les performances d’un appareil type Breguet 941, il est nécessaire de lui adjoindre des moyens de navigation et d’atterrissage adaptés, c’est-à-dire extrêmement précis et homogènes avec ses caractéristiques d’emploi. Ces conditions réunies, la formule paraît très attrayante sur le plan militaire et civil.
Dans l’état actuel des choses, l’Italie et la Belgique seraient fortement intéressées par le Breguet 941 S pour le remplacement de leurs Fairchild C-119 Flying Boxcar. Leurs besoins s’élèvent à une soixantaine d’appareils mais il est vraisemblable qu’une commande ferme ne peut être envisagée sans l’achat préalable de 20 exemplaires pour notre Armée de l’air.
Par contre, sur le plan civil, le Breguet 942 paraît promis à un plus bel avenir. L’expérimentation menée aux États-Unis a permis de démontrer les avantages opérationnels de la formule Adac dans les zones de trafic aérien saturé qui seront bientôt aussi l’apanage de l’Europe occidentale et les économies substantielles d’ordre financier qui peuvent être réalisées en exploitation commerciale. American Airlines et Eastern Airlines estiment pouvoir assurer un service Adac régulier dès 1975. Une extension du Breguet 941 S, le McDonnell Douglas 210 semblerait leur convenir ainsi qu’à plusieurs autres compagnies de transport aérien.
Quant au Breguet 942 lui-même, une nouvelle société Aeritalia doit être créée prochainement en Italie pour en assurer la construction sous licence en vue d’un marché potentiel d’environ 150 à 200 appareils.
Souhaitons que cette solution française débouche rapidement avant que les projets étrangers, en particulier allemands, n’entrent directement en compétition. ♦