L'élargissement de la Communauté à dix offre à la construction européenne de nouvelles chances, mais il comporte aussi des risques : aux assauts des supergrands, pour lesquels l'Europe devient une rivale, pourraient en effet se conjuguer les difficultés de gestion et les possibilités de divergence dans les attitudes politiques. En demeurant un simple mécanisme commercial et douanier la Communauté ne tarderait pas à se dégrader. L'auteur, inspecteur des Finances, membre de la Commission des Communautés européennes, est précisément chargé des discussions sur l'adhésion des nouveaux candidats à la Communauté économique européenne ainsi que des relations avec l'Afrique.
L'avenir de la Communauté élargie
La Communauté européenne va connaître une période de profonde transformation à la suite notamment de la demande d’adhésion du Royaume-Uni et des trois autres pays candidats : Norvège, Danemark et Irlande. L’élargissement de la Communauté nous amène à nous poser plusieurs questions sur son avenir et sur celui de la construction européenne en général.
La négociation qui vient de se conclure avec le Royaume-Uni a soulevé un nombre de problèmes limités. Dans la précédente négociation, de 1961 à 1963, le Gouvernement du Royaume-Uni avait demandé à négocier afin d’examiner « les possibilités d’une adhésion à la Communauté au titre du 237 ». La négociation portait donc sur toute l’étendue du Traité, ce qui la rendait particulièrement complexe. En 1970, la situation fut différente. Le 30 juin 1970, à Luxembourg, les États candidats donnaient solennellement leur acquiescement à la condition posée à la Conférence de La Haye : l’acceptation des Traités et de leurs finalités politiques d’une part et des décisions intervenues depuis l’entrée en vigueur des Traités et des options prises pour son développement d’autre part. Les États candidats ayant ainsi accepté « l’acquis communautaire », c’est donc essentiellement sur les transitions nécessaires que porta la négociation, ce qui explique son caractère technique et pour ainsi dire « sectoriel ».
Les points les plus sensibles de cette négociation ont été la contribution financière britannique au budget communautaire, les dérogations pour les exportations de beurre et de fromage néo-zélandais, le régime du « Commonwealth Sugar Agreement » à accorder aux pays en voie de développement, la diminution du rôle de la Livre Sterling comme monnaie de réserve. Sauf en ce qui concerne ce dernier point (traité d’ailleurs par un « gentlemen’s agreement » en termes assez généraux), la négociation n’a pas véritablement abordé les problèmes de fond inhérents à l’élargissement. Le fait que la Communauté de six pays devienne une Communauté à dix, allant du Cap Nord à la Méditerranée, comprenant la Grande-Bretagne avec sa dimension politique et économique, ses traditions et ses obligations diverses, modifiant ainsi les structures de la Communauté et sa place, son rôle dans le monde, ce fait n’a pas été évoqué, parce que cela aurait aussi engagé les États membres dans un débat sur l’avenir, que chacun préférait éviter. Si la négociation d’adhésion était importante et délicate, les négociations sur les conséquences de l’adhésion seront donc au moins aussi importantes et sans doute encore plus difficiles. Cela ne veut pas dire qu’elles soient moins nécessaires. Il y a, paradoxalement, un certain nombre de raisons objectives pour renforcer la construction européenne dans différents domaines et simultanément plusieurs conditions sont réunies pour une sorte de dégradation ou de dilution de cette construction.
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