Notre politique militaire repose sur la notion de dissuasion. La théorie de la dissuasion, parce qu’elle est encore trop méconnue, donne lieu parfois à des confusions ou à des malentendus — confusion de la part de ceux qui, jugeant en termes de référence conventionnels, ne veulent voir que la différence d’échelle, qui existe réellement, entre la puissance mégatonnique de nos forces de riposte et celles dont disposent les super-grands ; malentendu de la part de ceux qui dissocient capacité de riposte nucléaire et volonté populaire de défense, sans l’étroite conjonction desquelles il ne saurait y avoir de défense. Répondant au désir exprimé par de nombreux lecteurs, il nous a paru intéressant de rappeler ici les éléments essentiels d’une théorie de la dissuasion et d’esquisser les grandes lignes de son application possible au cas d’une puissance moyenne comme la France.
L’auteur a été jusqu’en 1971 au Centre de prospective et d’évaluations. Il fait partie actuellement des cadres de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN). L’exposé qui suit doit beaucoup aux travaux que, dès 1965, des officiers français entreprirent pour l’étude d’un modèle logique de dissuasion.
Les armes de destruction massive ont revalorisé un mode de la stratégie — la dissuasion — qui, pour être aussi ancien que l’homme affrontant l’homme, était rarement évoqué par les traités d’art militaire. La dissuasion est en effet un mode stratégique assez particulier, puisqu’il se donne pour fin de détourner autrui d’agir à nos dépens en lui faisant prendre conscience que l’entreprise qu’il projette est irrationnelle.
L’entrée dans l’ère nucléaire allait bouleverser les données de la dissuasion en la fondant, non seulement sur l’irrationnel politique, mais sur l’absurde des situations apocalyptiques qu’engendrerait le recours à l’arme suprême. Paradoxalement, celle-ci mettait la guerre en question au lieu de la servir ; ce qui ne pouvait manquer d’affecter profondément les relations internationales en modifiant la fonction traditionnelle de la violence armée dans la compétition des États. En outre, elle atténuait les conséquences des disparités entre les puissances les plus inégales.
La France a tiré la leçon de ces faits. La stratégie de dissuasion nucléaire est l’une des composantes de sa politique de défense — la principale. Elle a prêté et prête encore à contestation. Mais mon propos consiste moins à revenir sur sa justification qu’à tenter de résumer les principes qui la fondent et à montrer qu’elle obéit à sa logique propre, qui est tout autre que celle qui gouverne la dissuasion des hyper-puissances couramment prise comme référence pour mieux critiquer la solution française.
Rappel de notions générales
Pourquoi une stratégie de dissuasion nationale
Comment dissuader ?
Le domaine de validité du modèle stratégique de dissuasion
Conclusion