L’impact de 1870 sur la pensée militaire française
Les Français ont été traumatisés par les événements de 1870. Les lois de recrutement, d’organisation de l’armée, la création de l’École de Guerre en 1880, celle du premier État-Major de l’Armée Française en 1890, témoignent concrètement de la réflexion d’une génération sur la défaite. L’étude de la pensée militaire française avant 1914, à travers les abondants ouvrages de l’époque, montre la place que tient la guerre franco-allemande dans cet effort de renouveau intellectuel. Nous nous bornerons à définir l’impact de 1870 sur cette pensée à partir d’une source privilégiée, celle des documents que constituent les cours de l’École de Guerre qui ont formé nos premiers brevetés. Nous analyserons tout d’abord à partir d’un exemple, la bataille de Saint-Privat, comment les professeurs de l’École ont étudié « l’événement ». Puis nous déterminerons comment, à partir des faits de 1870, ils ont réfléchi sur la nature et sur la conduite de la guerre.
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Les professeurs de l’École de Guerre, Maillard, Bonnal et Foch ont longtemps axé leur réflexion sur la bataille de Saint-Privat. Rappelons-la brièvement. Après les échecs d’Alsace, les troupes françaises sont ramenées vers Metz, Moltke les coupe, au sud, de leurs communications avec le reste du pays ; par la faute de sa cavalerie, il ne sait pas exactement où l’ennemi se trouve et ordonne le 17 août de gagner du terrain vers le nord-ouest pour interdire les accès de la Meuse et rechercher les Français. La bataille s’engage spontanément le 18 août du fait du prince Frédéric Charles, commandant la IIe Armée, qui attaque dès qu’il a pris le contact. Au sud, à Gravelotte, la Ire Armée donne l’assaut sans artillerie sur un front trop étroit et se débande. Au centre le front reste stationnaire. Au nord enfin se déroule, contre le corps d’armée Canrobert, la bataille de Saint-Privat, épisode qui, malgré d’énormes fautes, va décider de la victoire finale allemande. Le XIIe Corps saxon déborde par le nord dans la région de Roncourt ; sans l’attendre et sans soutien d’artillerie, le prince de Wurtemberg lance la Garde à 17 heures 30, sur deux kilomètres d’un glacis dénudé. Au lieu de s’abriter, les Prussiens se mettent en formation sous le feu des chassepots entre Saint-Privat et Sainte-Marie-aux-Chênes. Ils donnent l’assaut en masses compactes et ayant subi un tiers de pertes, ils se couchent à bout de forces à 500 mètres des lignes françaises. Le succès est dû au débouché des Saxons et à l’intervention finale de l’artillerie. Saint-Privat, après un deuxième assaut, tombe à 20 heures. Toute la ligne française s’effondre progressivement du nord au sud, les troupes se replient sur Metz.
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