Weygand mon père
Un livre de piété filiale peut-il être à la fois un livre d’histoire ? Ou tout au moins, puisqu’il s’agit d’une histoire toute récente qui se prolonge toujours en nous, un témoignage utile pour les historiens de l’avenir ? Jacques Weygand, dont la mort récente rend le récit plus émouvant, n’a pas été seulement le fils de l’ancien collaborateur de Foch et de l’ancien généralissime des sombres journées de mai et de juin 1940 ; il a été aussi son collaborateur intime à partir du moment où Weygand a été écarté des postes de responsabilité par le gouvernement de Vichy et tout au long des épreuves qui marquèrent la fin de la vie du vieux soldat. Aussi est-il entré dans l’événement et peut-il en témoigner, pour défendre la mémoire de son père et le laver de toute suspicion, même légère, d’avoir failli, ne fût-ce qu’un instant et dans une seule pensée, à la voie droite et difficile de l’honneur et du service public.
Ce qu’écrit Jacques Weygand, dans un style direct, prenant et d’une haute qualité, frappe par l’élévation de la pensée, par le souci de suivre au plus près la vérité psychologique d’un homme que sa valeur propre et une suite de circonstances heureuses avaient fait participer aux plus hautes charges dans des moments particulièrement troublés. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, la vie de Weygand est une réussite continue, dont les étapes sont marquées par les difficultés inhérentes à ses charges ; elle est comparable à celle des hommes célèbres de tous les temps et de tous les pays, la dominante en étant la passion de bien servir dans le bonheur d’un « idéal vécu ». En 1940, et plus encore dans les années suivantes, Weygand devient le symbole d’une certaine résistance menée dans la légalité, avec une opiniâtreté et une volonté inflexibles. Les emprisonnements, les procès seront de dures épreuves ; aucune charge ne pourra être finalement retenue contre lui, mais une partie de l’opinion continuera à le tenir pour responsable de la défaite et de lui reprocher son attitude en Afrique, lorsqu’il y était Délégué général du Gouvernement et commandant en chef. Dans la dernière partie de son ouvrage Jacques Weygand stigmatise, parfois durement, ceux qui ont poursuivi son père.
Ce livre est trop long et trop abondant pour être lu d’un seul trait. Mais il est probable que ceux qui l’ont commencé le liront jusqu’au bout, fascinés par l’évocation faite par son fils d’un homme qui a connu les heures les plus exaltantes de la victoire et les plus atroces de la défaite. ♦