Militaire - États-Unis : déflation des effectifs militaires et répercussions sur la présence des forces armées américaines dans le monde - République fédérale d'Allemagne : le budget fédéral de défense pour 1970 et les perspectives pour 1971 - Turquie : le budget de défense 1970 - Extrême-Orient : la situation en Corée - Sud-Est asiatique insulaire et péninsulaire : défense commune
États-Unis : Déflation des effectifs militaires et répercussions sur la présence des forces armées américaines dans le monde
Le Secrétaire à la Défense, M. Melvin Laird, a déclaré, le 3 juin 1970 à Colorado Springs, que la réduction des effectifs militaires américains, entreprise en 1968, porterait au total sur un million d’hommes. Les forces armées américaines qui ont compté plus de trois millions et demi de personnels militaires en 1968 (1), seront ainsi ramenées à quelque deux millions et demi d’hommes. La date à laquelle cette réduction pourrait prendre fin n’a cependant pas été précisée par M. Laird.
Malgré cette incertitude, il est possible d’imaginer quelle va être, au moins à court terme, l’évolution générale de la politique des effectifs militaires américains avec ses conséquences pour les différentes armées ainsi que ses répercussions sur le déploiement des forces des États-Unis dans le monde.
Après l’accroissement très important qu’ils ont connu à partir de 1965 en raison de l’intensification de la guerre du Vietnam, les effectifs des forces armées américaines ont atteint leur plafond en 1968. Une première réduction substantielle, d’environ 300 000 hommes, a été opérée entre le 1er juillet 1969 et le 1er juillet 1970. Ce mouvement de déflation se poursuivra pendant l’exercice budgétaire 1970-1971 (période du 1er juillet au 30 juin 1971).
En présentant au Congrès, en février 1970, le projet de budget de défense pour 1970-1971, M. Laird a en effet annoncé que le volume des personnels militaires d’active subira pendant cette période une nouvelle diminution de 252 000 h, dont 124 000 pour la seule US Army. Au total, les forces armées américaines ne comprendront plus que 2 908 000 h au 30 juin 1971, contre 3 459 000 au 30 juin 1969. Si aucune modification du rythme prévu des réductions d’effectifs n’intervient avant le 1er juillet 1971, le gouvernement de M. Nixon devra encore à partir de cette date rayer des contrôles de l’armée active environ 400 000 h pour arriver au niveau souhaité de deux millions et demi de militaires sous les drapeaux
Cette politique de déflation des effectifs, qui est liée au désengagement militaire américain au Vietnam, affectera essentiellement dans l’immédiat le volume des forces d’emploi général et en particulier de leurs composantes terrestres.
L’armée de terre et le Corps des « Marines », pour la période 1969-1971, passeront respectivement de 1 512 000 à 1 240 000 hommes et de 310 000 à 241 000 hommes.
Déjà, entre le 1er juillet 1969 et le 30 juin 1970, l’armée de terre a été réduite de 19 2/3 à 17 1/3 divisions (une brigade comptant pour 1/3 de division).
De même, dans le Corps des « Marines », une Division a été dissoute pendant cette période, ce qui ne laisse plus que trois divisions d’active pour ce corps. D’autres dissolutions d’unités sont à prévoir à court terme, mais leur rythme sera essentiellement fonction de l’évolution de la situation en Indochine.
Les forces stratégiques, quant à elles, ne seront pas affectées par la politique de réduction des effectifs.
Un tel mouvement de déflation accompagné de dissolutions d’unités ne peut manquer, dans les mois à venir, d’entraîner des modifications dans le déploiement des forces américaines.
Au Sud-Vietnam, les États-Unis ont actuellement 4 divisions d’infanterie, 2 divisions aéromobiles et 5 brigades indépendantes. Après le rapatriement de 115 000 h entre le 1er juillet 1969 et le 15 avril 1970, le président Nixon a annoncé le 21 avril dernier un nouveau retrait de 150 000 h avant le printemps 1971. À cette date, il ne devrait plus rester au Vietnam qu’environ 280 000 h chargés d’assurer l’appui aérien et le soutien de la jeune armée sud-vietnamienne qui devrait, dans le cadre du programme de « vietnamisation », acquérir progressivement les qualités nécessaires pour permettre au gouvernement de Saïgon de mener une guerre « révolutionnaire » contre les communistes.
Le calendrier pour cette nouvelle phase du retrait américain n’est pas encore connu. Il semble cependant probable que les États-Unis laisseront sur ce théâtre les deux divisions aéromobiles. En effet, ces grandes unités, qui comprennent chacune 450 hélicoptères organiques, sont particulièrement adaptées aux opérations qui peuvent être menées dans la péninsule indochinoise. Resteront également au Vietnam les forces aériennes tactiques destinées à appuyer les unités sud-vietnamiennes.
En Corée du Sud, les États-Unis ont décidé tout récemment de retirer une partie des 64 000 h qui y sont actuellement stationnés. Le calendrier et l’importance de ce retrait ont fait, avec la Corée du Sud, l’objet d’entretiens bilatéraux qui se sont tenus à Hawaï les 21 et 22 juillet. Il semble que le gouvernement américain ait l’intention de rapatrier 25 000 h vers le milieu de l’année 1971. Une division serait donc concernée par cette décision. L’autre division, en revanche, serait maintenue en Corée, tout au moins pendant un certain temps à l’issue duquel les États-Unis ne laisseraient plus dans ce pays qu’une force terrestre symbolique, de la valeur d’une brigade, et les unités aériennes destinées à assurer l’appui des forces sud-coréennes. Le départ des troupes américaines serait compensé par une assistance militaire accrue. M. Laird désirerait en effet pour 1970-1971 doubler le montant de l’aide militaire accordée à la Corée (140 millions de dollars pour l’exercice 1969-1970).
En Europe, les États-Unis entretiennent actuellement 300 000 h répartis essentiellement en deux divisions mécanisées, deux divisions blindées, quatre brigades indépendantes et trois « Armées aériennes » équipées au total d’un millier d’avions tactiques. Le président Nixon s’est engagé à ne pas rapatrier d’effectifs appartenant à des unités combattantes avant le 1er juillet 1971. Cependant la politique générale de déflation pratiquée par les États-Unis inquiète leurs partenaires européens de l’Otan qui craignent qu’elle ne se traduise, à plus ou moins long terme, par un rapatriement total ou partiel du corps de bataille américain. Bien que la question de la présence américaine sur ce théâtre n’ait pas été inscrite à l’ordre du jour de la dernière réunion des ministres de la Défense de l’Otan, tenue à Bruxelles en juin dernier, il semble qu’une réduction soit apparue inévitable à ces derniers, malgré leurs efforts pour en dissuader le gouvernement de M. Nixon. Mais, jusqu’à présent, aucun détail n’a encore filtré concernant les modalités de cet éventuel retrait.
L’année 1971 risque donc de marquer un tournant dans la politique américaine de présence militaire dans le monde.
En Asie, en vertu de la « doctrine Nixon » énoncée à Guam en juillet 1969, les effectifs militaires américains vont être encore réduits. Les deux pays les plus touchés par ce retrait seront le Sud-Vietnam et la Corée du Sud. Cette diminution de la présence des forces conventionnelles américaines dans la défense du monde libre asiatique sera compensée par une augmentation de l’aide militaire dispensée à ces pays.
En Europe, les États-Unis souhaitent voir leurs partenaires de l’Otan assurer une plus grande part de la défense du continent, se réservant quant à eux d’intervenir à partir du territoire américain pour leur porter secours éventuellement.
Sur ces deux théâtres, les États-Unis semblent décidés à déployer moins de forces conventionnelles et, à titre de compensation, à accroître la mobilité stratégique ainsi que la qualité de leurs matériels et de leurs armements.
République fédérale d’Allemagne (RFA) : le budget fédéral de défense pour 1970 et les perspectives pour 1971
Les problèmes de « surchauffe » de l’économie allemande ont conduit le gouvernement de M. Willy Brandt à réduire le montant des dépenses publiques initialement prévues dans le projet de budget fédéral.
C’est le chapitre de la Défense qui est le plus affecté, puisqu’il a subi à lui seul une diminution de 1,1 milliard de DM. Inscrits pour 20,35 Md DM (30,9 Md de francs) dans le projet gouvernemental, les crédits alloués à la Défense ont été ramenés à 19,224 Md de DM (29,2 Md F), essentiellement par la suppression pure et simple des crédits bloqués prévus dans le projet. Le budget 1969 se montait à 19,044 Md DM (28,9 Md F) : l’augmentation d’une année sur l’autre est donc très faible, moins de 1 %.
Cette situation s’est traduite par une baisse des crédits alloués à l’armement, dont le montant pour 1970, initialement fixé à 4,795 Md DM (7,3 Md F) a été réduit à 3,860 Md (5,8 Md F). Ce chiffre est inférieur à celui de l’année 1969 où les crédits s’élevaient à 4,280 Md DM (6,5 Md F). Les achats de véhicules et de carburant, la maintenance et les achats d’avions et engins s’avèrent les postes les plus touchés.
Les dépenses de personnel ont été épargnées par ces restrictions budgétaires. Il n’y a pratiquement pas de changement entre les crédits proposés et les crédits définitifs qui restent fixés à 7,4 Md DM (11,2 Md F), en augmentation de 0,921 Md DM par rapport à 1969. Cette mesure répond au désir maintes fois formulé (2) par le ministre de la Défense, M. Schmidt, d’améliorer la situation sociale des personnels de la Bundeswehr et de remédier ainsi à certaines difficultés de recrutement actuelles.
Lors du débat au Bundestag, les discussions se sont concentrées sur la question essentielle de savoir si le problème des personnels devait avoir la priorité sur celui des armements. Malgré les assurances de M. Schmidt, les députés de l’opposition n’ont pas manqué de démontrer combien ce choix politique risquait de compromettre à terme la sécurité de la République fédérale.
Le budget militaire de la RFA ne représente plus que 2,96 % du PNB escompté en 1970 (648 Md DM) alors qu’en 1968 et 1969, il atteignait 3,4 % du PNB. L’exercice budgétaire de cette année marque donc un certain fléchissement de l’effort de défense, confirmant en cela les prévisions inscrites dans le Livre blanc. Celui-ci annonce une réduction de 2,5 Md DM (3) (4,8 Md F) sur le plan d’armement 1970-1974, et remet en question plusieurs importants programmes envisagés pour la modernisation et l’équipement de la Bundeswehr (Chars MBT-70, Corvettes lance-missiles, réduction du projet MRCA-75 [Multi-Role Combat Aircraft]).
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En ce qui concerne le budget de 1971, le gouvernement allemand en a présenté le premier projet le 9 juillet. Ce document, qui prévoit le franchissement du cap fatidique de 100 Md DM, a quelque peu surpris les observateurs.
En effet, d’un montant de 100,144 Md (152,22 Md F), il se distingue par une forte croissance des dépenses publiques (+ 12 %) et semble aller ainsi à rencontre de la politique de stabilisation conjoncturelle préconisée actuellement.
Dans ce nouveau projet, les crédits alloués à la Défense atteindraient 21,927 Md DM (33,33 Md F) soit une augmentation de plus de 14 % par rapport au budget de 1970. En fait, si l’on ajoute une somme de 0,65 Md DM annoncée par M. Schmidt et destinée à renforcer les « crédits sociaux » du budget 1970, l’augmentation n’atteint plus que 10,4 %. Elle tombe à 4,5 % si l’on compare les projets de budget initialement prévus pour 1970 et 1971.
Il convient en définitive d’adopter une attitude prudente à l’égard des prévisions pour le prochain exercice budgétaire. L’exercice en cours a prouvé que les crédits militaires avaient été les premiers à être affectés par les restrictions budgétaires dues aux difficultés économiques. Ces difficultés sont loin d’avoir disparu. Le budget de Défense pour 1970 accuse un certain fléchissement. Il est encore trop tôt pour porter un jugement optimiste sur celui de 1971, qui semblerait revenir, un peu paradoxalement, sur la politique d’austérité annoncée dans le Livre blanc.
Turquie : Le budget de défense 1979
Le budget turc pour l’exercice allant du 1er mars 1970 au 28 février 1971 a été approuvé avec plus de trois mois de retard.
Les dépenses de défense, gendarmerie non comprise, se montent à 4 600 M de livres turques (4) contre 4 632 l’année précédente. En fait le budget de défense 1969 a été réduit en décembre à 3 713 M £T au titre de la campagne d’économies imposée par le gouvernement.
Le budget de la gendarmerie s’élève en 1970 à quelque 500 M £T dont 2,9 % sont réservés aux investissements.
Ces dépenses représentent 16,2 % du budget de l’État (163 % en 1969) et 3,8 % du produit national brut estimé (3,9 % en 1969) (5).
Le déséquilibre entre dépenses de fonctionnement et dépenses d’investissement n’a jamais été aussi accusé : ces dernières atteignent à peine 73,4 M £T, soit moins de 1,6 % du budget de défense. La revalorisation des soldes, promise à la suite des manifestations des femmes de sous-officiers en mai, ne laissera pas d’accentuer encore ce déséquilibre. L’intervention, prévisible en 1970, de mesures devenues inévitables – telles que la réduction, exigée par le volume croissant des classes d’âge, de la durée du service militaire dans l’armée de terre (de 24 à 20 mois) et la déflation intéressant le sommet de la pyramide des grades – ne saurait, en effet, se traduire par un allégement des dépenses de fonctionnement de l’exercice en cours.
Il ressort de ce budget comme des précédents que la Turquie devra compter essentiellement sur l’aide étrangère pour équiper et moderniser ses forces armées. L’aide militaire en 1970 continuera d’être fournie par les États-Unis principalement (100 M de dollars environ), par la RFA (de l’ordre de 100 M DM) et dans une moindre mesure par l’Italie et le Canada.
Les perspectives de développement d’une industrie de guerre nationale demeurent médiocres, tant du point de vue des ressources financières intérieures ou extérieures, qu’en raison du faible niveau actuel de l’industrie lourde turque.
Nécessairement tributaire de ses alliés atlantiques pour la défense de son sol, ce n’est d’ailleurs pas en recherchant une impossible autonomie en matière d’armement que la Turquie s’efforce de se donner quelque apparence d’indépendance. Une satisfaction relative vient de lui être apportée dans un domaine plus accessible : les États-Unis ont remis en juin aux forces terrestres turques, avec quelques jours d’avance sur le calendrier prévu, la station radar de Samsun et la base aérienne d’Izmir/Cigli, dont le transfert avait été décidé en octobre 1969 en vertu d’un arrangement de juillet 1969.
Le fait que les Américains disposent encore, pour une période indéterminée, outre un détachement laissé à Cigli, d’une importante base aérienne à Adana, de trois stations radars et de diverses installations logistiques, montre les limites du compromis intervenu en 1969. Celui-ci s’avère plus destiné à ménager les susceptibilités turques qu’à limiter au strict cadre de l’Otan une défense dite commune. Cette dernière reste liée en fait et jusqu’à nouvel ordre à la stratégie américaine moyennant certaines compensations dont la principale demeure l’aide militaire.
Extrême-Orient : la situation en Corée
Dans la péninsule coréenne
Depuis les derniers mois, des incidents graves n’ont cessé de se multiplier, tant sur la zone démilitarisée établie le long du 38e parallèle qu’à la limite des eaux territoriales entre les deux pays.
Les nombreuses tentatives d’infiltration communiste à travers la zone démilitarisée permettent parfois à des agents nord-coréens de pénétrer profondément au Sud. C’est ainsi que, le 22 juin, une tentative d’assassinat – la troisième en deux mois – a pu être perpétrée contre le président Parle Chung Hee ; une bombe a explosé prématurément, à Séoul, au cimetière national, où devait se dérouler une cérémonie officielle.
D’ores et déjà, compte tenu de la position septentrionale très exposée de la capitale, l’Armée sud-coréenne a entrepris et presque achevé la construction d’une ligne de défense de celle-ci, à environ 40 km de la frontière, comportant, outre des bunkers et tunnels, une enceinte fortifiée constituée de trois murailles.
Les Nord-Coréens s’efforcent de tourner la défense terrestre par la voie maritime pour tenter de porter la subversion dans les régions isolées des îles côtières situées au sud-ouest du pays, et de nombreux incidents en résultent avec les forces aéronavales sud-coréennes.
Ces incidents navals ont mis en évidence une certaine faiblesse dans la défense de la Corée du Sud, qui manque de vedettes rapides pour lutter contre les infiltrations par mer, et est contrainte de faire appel à l’aviation.
Malgré la vigilance des forces de sécurité et des garde-côtes sud-coréens, le gouvernement de Séoul commence maintenant à redouter que la Corée du Nord ne parvienne à créer dans le Sud un « mouvement de libération nationale », capable de développer des actions de guérilla et de contaminer la population. Instruit de la tactique communiste employée en Indochine par le FNL (Front national de libération du Sud-Vietnam), le Pathet-Lao et le FUNK, il considère en effet cette tentative, déjouée jusqu’à présent, comme le principal danger et la condition préalable à une relance de la guerre. Il faut préciser qu’un « Parti révolutionnaire unifié » a déjà été démantelé, l’an dernier, avec l’exécution des chefs de réseaux du Sud-Ouest et de la région de Séoul ; mais, depuis août 1969, un « Parti révolutionnaire pour la réunification » s’est reconstitué, et s’efforce de coordonner une action clandestine, en préconisant l’édification, avec le Nord, d’un grand État socialiste.
Les appuis extérieurs aux deux Corée
Cette tension entre les deux Corée est avivée et, en quelque sorte, portée au plan international en raison des données inhérentes à la situation en Extrême-Orient : politique chinoise d’élimination des régimes « réactionnaires », conflit d’Indochine, souci de désengagement américain et montée croissante du Japon.
Le souvenir de la précédente guerre de Corée est en outre venu accentuer, au cours des dernières semaines, les rivalités. Le vingtième anniversaire du début de cette guerre, célébré le 25 juin, et le dix-septième de l’armistice, le 27 juillet, ont été l’occasion, dans chaque camp, d’outrances verbales exaltant la solidarité avec l’allié chinois ou américain.
Relations entre la Corée du Nord et la Chine
L’initiative politique prise par la Chine au détriment de l’URSS en Extrême-Orient, la perspective d’une réduction de la présence des États-Unis dans la zone, et la crainte d’une renaissance du militarisme japonais déjà perceptible ont joué un rôle important dans le rapprochement entre Pékin et Pyong-Yang, opéré au cours des derniers mois. Parmi les principales étapes de celui-ci :
— Du 5 au 7 avril, M. Chou En-Laï s’est rendu en Corée du Nord pour rencontrer le président Kim Il-Sung. Sa visite a marqué la fin d’une période de relations assez fraîches entre les deux pays depuis la révolution culturelle. On doit cependant mentionner le souci soviétique de conserver l’ascendant en matière de fourniture d’armements avec l’arrivée à Pyong-Yang, le 24 avril, du maréchal Zakharov, Chef d’état-major général de l’URSS, à la tête d’une importante délégation militaire.
– À la fin d’avril, M. Pak Sung Chul, vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères nord-coréen, était accueilli, le 24, à Pékin et reçu par Chou En-Laï puis par le président Mao Tse-Tung. Dans le même temps, Kim Il-Sung invitait à Pyong-Yang, le 26, une mission militaire chinoise conduite par M. Huang Yung-Sheng, Chef d’état-major et membre du bureau politique du Comité central.
– Enfin, tout récemment, une délégation militaire nord-coréenne de treize membres, dirigée par le général Oh Jin Woo, Chef d’état-major, arrivait le 25 juillet, à Pékin, où son homologue chinois soulignait aussitôt « l’unité dans la lutte menée par la Chine, la Corée du Nord, et les trois peuples d’Indochine » (6).
D’autre part, en marge de ces contacts sino-coréens, il faut rappeler la visite de deux semaines effectuée en juin par le prince Sihanouk en Corée du Nord, au cours de laquelle Kim Il-Sung a proposé l’engagement immédiat des forces nord-coréennes au Cambodge aux côtés du FUNK.
Cette rapide évolution des relations entre Pyong-Yang et Pékin apparaît grave dans la mesure où elle pourrait encourager la Corée du Nord à déclencher une nouvelle guerre contre le Sud. La Corée du Nord fait en tout cas un effort important, avec un budget militaire de 904 M de dollars US, soit 35 % du budget total, contre 765 M $ (soit 31 %) l’an dernier, et elle escompte obtenir de la Chine des armements en quantité suffisante pour accroître notablement sa capacité offensive, ce que l’URSS lui a refusé jusqu’à présent. En outre, elle peut espérer, en cas de conflit, le soutien plus ou moins direct de volontaires chinois. La Chine, en effet, ne court guère de risques à favoriser une telle entreprise, compte tenu du peu d’empressement américain à s’engager désormais sur un théâtre d’opérations asiatique.
Relations entre la Corée du Sud et les États-Unis
Face à une telle menace devenue très réelle, le gouvernement de Séoul est particulièrement alarmé par la politique actuelle des États-Unis, visant à la réduction des aides financières et des effectifs militaires américains en Asie. Le mécontentement est accentué par le fait que 45 000 Sud-coréens combattent au Sud-Vietnam (deux divisions d’infanterie : Tigers et White Horse, ainsi qu’une brigade de Marines) faisant la preuve, sur les terrains les plus hostiles, d’une rare efficacité.
Après la signature, le 26 mars, du dernier accord d’aide non remboursable, mettant fin à une série de subventions s’élevant, depuis 1954, à 1 900 M $, l’opinion sud-coréenne s’est vivement inquiétée de rumeurs concernant un retrait partiel du contingent américain. Outre la garantie de sécurité qu’ils représentent, les 64 000 militaires américains rapportent en effet à la Corée du Sud quelque 150 M $ annuels de ventes de services. Le gouvernement de Séoul a rejeté longtemps cette éventualité comme contraire au traité de défense mutuelle de 1953 entre les deux pays. Cependant, le 5 juillet, les États-Unis notifiaient officiellement à la Corée du Sud leur intention de retirer prochainement 20 000 h. Après d’énergiques réactions intérieures (condamnation unanime par l’Assemblée Nationale, menace de démission du Cabinet), des négociations bilatérales s’engageaient enfin, au niveau technique à Séoul, puis à l’échelon politique à Honolulu. Se heurtant à une position américaine irrévocable découlant de la « doctrine Nixon », la partie sud-coréenne s’efforce d’obtenir, en contrepartie, une augmentation de l’aide militaire, dont elle fait un préalable, pour permettre la modernisation de son armée, et notamment de l’aviation. Outre le montant actuel de 140 M $ pour l’exercice 1969-1970, un crédit supplémentaire de 1 000 M $ répartis sur cinq ans (de 1972 à 1976) a été demandé, mais son acceptation intégrale par le Congrès des États-Unis apparaît peu probable dans les circonstances actuelles… Le gouvernement de Séoul a également demandé le transfert en Corée des unités américaines évacuées d’Okinawa mais n’a obtenu, jusqu’à présent, que des missions de couverture aérienne (par des chasseurs bombardiers Republic F-105 Thunderchief) à partir des Ryu Kyu.
Conséquences
Compte tenu de la situation dans la péninsule coréenne au début d’août 1970, son évolution dépendra, dans une certaine mesure, de l’attitude du Japon et de la part qu’il acceptera de prendre dans la relève militaire des États-Unis en Asie. Cependant, le gouvernement de Tokyo, qui a consenti un engagement stratégique en Extrême-Orient (7), paraît peu empressé, aujourd’hui, d’en payer tout le prix. Après la demande, formulée par M. Rogers, d’une aide japonaise au Cambodge, il est maintenant sollicité par la Corée du Sud. Le Japon pourrait accorder des crédits pour la construction d’usines de production d’armements sud-coréens, mais, quant à un soutien plus actif, M. Sato s’est contenté de demander aux États-Unis de « prendre des précautions » dans l’exécution de leur retrait, et a même invoqué l’article 9 de la Constitution pour justifier l’impossibilité de son pays d’apporter une quelconque aide militaire à l’extérieur.
Sud-Est asiatique insulaire et péninsulaire : défense commune
Tandis que s’estompaient les espoirs de la Conférence de Djakarta, Lord Carrington, Secrétaire d’État à la Défense du nouveau gouvernement britannique, est venu préciser les vues des conservateurs sur l’engagement de Londres en Asie du Sud-Est.
Cette mission avait commencé le 26 juillet à Singapour par des déclarations de principes vigoureuses sur « la détermination britannique d’aider à la défense du monde libre dans cette partie du monde » et sur « les obligations de la Grande-Bretagne à l’égard de Singapour, de la Malaisie, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande ».
Mais, au cours de sa tournée des capitales intéressées, Lord Carrington n’a cessé de réduire, d’une étape à l’autre, les perspectives qu’il semblait avoir ouvertes à l’escale antérieure. En fait la participation du Royaume-Uni devrait être très modeste autour de 1973 et bien inférieure au niveau actuel qui est de 28 000 h.
Elle se situerait dans le cadre d’accords de défense à base strictement égalitaire, dont la hiérarchie et les organes d’autorité restent à déterminer.
Londres, selon certaines évaluations, pourrait fournir un des trois bataillons d’infanterie dont la présence dans la zone Malaisie-Singapour semble retenue, et animer l’école de combat de jungle qu’elle a créée en Malaisie. L’Australie et la Nouvelle-Zélande fourniraient chacune un bataillon d’infanterie, le support logistique et l’appui de ces trois unités seraient à la charge de Kuala Lumpur et de Singapour.
Les forces navales comprendraient une escadre de destroyers (deux destroyers britanniques, une frégate australienne, une néo-zélandaise) dont la Grande-Bretagne assurerait le soutien à la mer.
L’Australie, pour sa part, aurait la charge des forces aériennes communes, auxquelles elle apporterait deux squadrons de Mirage, Londres et Wellington fournissant alternativement le troisième squadron de combat et, en permanence, l’aviation de transport.
Ces informations restent évidemment sujettes à révision. Il convient, en tout cas, de remarquer, qu’en cas de conflit majeur en Asie du Sud-Est, cette force commune paraît devoir être très insuffisante.
Toutefois le bénéfice de la visite de Lord Carrington semble évident pour Singapour. Un traité devra concrétiser les nouvelles dispositions : depuis 1965, date de sa sécession, Singapour n’était pas formellement couvert par les accords de défense anglo-malaisiens. Par ailleurs l’engagement de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande aux côtés des Malaisiens cessera de revêtir l’aspect d’une participation bénévole, mais conditionnelle et aléatoire.
L’élaboration d’un traité nécessitera de nouvelles réunions d’ici le début de 1971. De nombreuses questions, telles que celles des bases britanniques, des terrains ou locaux occupés par les Anglais restent à régler. Celle des circonstances et des conditions dans lesquelles le système commun sera déclenché n’est pas la moindre.
Il semble néanmoins que la caution morale et le prestige qu’apporte la présence de Londres dans cet accord ont satisfait ses partenaires et éclipsé quelque peu le véritable transfert de responsabilités qu’effectuent, en réalité, les Britanniques au profit des Australiens et des Néo-Zélandais. ♦
(1) Au 30 juin 1968, les effectifs des forces armées américaines s’élevaient à 3 547 902 h.
(2) Dans le Livre blanc, notamment.
(3) Ces sommes sont destinées à être transférées à raison d’environ 640 M DM par an au profit des personnels.
(4) 1 £T = 37 centimes au cours intérieur officiel (après la dernière dévaluation).
(5) Budget de l’État : 28 620 M £T en 1970, dont quelque 80 M seraient affectés à l’Organisation nationale de renseignement, et 5 à 6 M aux services spéciaux.
Le PNB 1970 aux prix courants du marché peut être estimé à 119 600 M £T, compte tenu d’un taux de croissance de 7 % par rapport au PNB 1969 prévu par le gouvernement (111 800 M £T).
(6) Cette association, qui se concrétise activement, a pris le nom semi-officiel de « front commua antiaméricain des peuples révolutionnaires d’Asie ».
(7) En déclarant notamment que la sécurité de la Corée du Sud est essentielle pour le Japon.