Après avoir tenté de s'opposer à l'unification de l'Europe occidentale, la Grande-Bretagne a posé sa candidature à la Communauté européenne, rompant ainsi avec l'une des constantes de sa politique étrangère. Mais l'histoire ignore la génération spontanée : ce n'est pas l'Angleterre de Victoria qui se veut européenne, mais celle dont la monnaie s'est tragiquement affaiblie, dont l’« Armée des Indes » n'est plus qu'un souvenir et qui ne peut plus prétendre au « Rule Britannia »…
Cette vocation européenne ne se serait probablement pas affirmée si le Commonwealth était resté ce qu'il était : la dernière conférence que ses premiers ministres ont tenue à Singapour a, une nouvelle fois, mis en lumière son érosion. La candidature à la Communauté européenne se situe au carrefour de plusieurs évolutions, analysées ici par l'auteur.
C’est par une manifestation d’unanimité en faveur de l’égalité raciale que s’est terminée la dernière conférence des premiers ministres du Commonwealth, après d’âpres affrontements au sujet des livraisons d’armes britanniques à la République sud-africaine. Mais cette unanimité ne peut faire illusion : la conférence de Singapour a mis en évidence l’érosion du Commonwealth, composé de 31 pays séparés par de profondes divergences d’intérêts, et pour qui l’Angleterre ne représente plus ce qu’elle représentait. En fait, il ne s’agit que d’une nouvelle étape dans un processus engagé depuis plusieurs années. La question des livraisons d’armes à l’Afrique du Sud n’a pas provoqué la crise, elle l’a mise en lumière. Au-delà d’elle apparaît une rupture fondamentale dans l’histoire de la Grande-Bretagne, et c’est dans une mesure décisive en fonction de cette rupture que la Grande-Bretagne s’est senti une vocation européenne.
Le Commonwealth a toujours été mal connu, et Winston Churchill le définissait comme « une énigme enveloppée de mystères ». Il est difficile à circonscrire : il ne possède aucune unité géographique ou ethnique, ses diverses parties sont éparpillées dans le monde entier, il rassemble 900 millions d’hommes de toutes races, de toutes couleurs, de toutes religions. Dès ses débuts, il a porté le sceau de la puissance qui l’a engendré, l’Angleterre moderne, puissance essentiellement maritime et commerçante, qui a étendu son influence à tous les rivages de l’univers, mais en contournant les grandes masses continentales d’où elle s’est trouvée plusieurs fois rejetée ou d’où elle s’est exclue d’elle-même en raison de sa faiblesse numérique. Il est difficile à définir, puisqu’il ne comporte aucune armature légale et « logique » : très pragmatiquement, les Anglais l’ont bâti sans lui donner une structure juridique. C’est une institution sans constitution.
Le mot lui-même est vague. Il désigna à l’origine le gouvernement établi en Angleterre en 1649 par l’armée victorieuse, et dont le pouvoir s’étendit à l’Irlande et à l’Écosse. Désignant une association en vue du bien commun, il est parfois traduit par « République » : cette traduction est discutable, sauf si l’on donne au mot son sens antique. Toujours est-il qu’il n’apparut officiellement qu’en 1922, dans le traité de Londres qui reconnaissait l’existence d’un nouveau dominion, l’État libre d’Irlande.