Outre-mer - La récente conférence de presse du président Houphouet-Boigny repose le problème d'un éventuel dialogue entre les États noirs et la République sud-africaine - Tension persistante aux frontières du Sénégal et de la Guinée-Bissau - En Mauritanie, nouveaux projets de coopération de la Chine populaire
La récente conférence de presse du président Houphouët-Boigny repose le problème d’un éventuel dialogue entre les États noirs et la République sud-africaine
Le 28 avril 1971, le président Houphouët-Boigny a tenu à Abidjan une importante conférence de presse consacrée au problème des rapports que doivent entretenir les États noirs indépendants et la République sud-africaine. Confirmant ses propos antérieurs, le chef de l’État ivoirien s’est déclaré partisan, dans l’intérêt bien compris des Noirs sud-africains, de l’ouverture d’une politique de dialogue avec Pretoria. Cette prise de position n’a pas manqué d’entraîner en Afrique des réactions parfois fort vives, approbation chez les uns, protestations chez les autres, qu’ils soient États progressistes ou bien même quelquefois modérés.
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À plusieurs reprises déjà, nous avons eu l’occasion dans cette chronique, d’évoquer le problème qu’avait posé l’arrêt, aux pieds de l’Afrique australe, de la vague de décolonisation qui, au cours des années 1960 a secoué l’Afrique.
L’altitude élevée de cet ensemble sud-africain, un climat rafraîchi expliquent la présence d’une vigoureuse colonisation blanche, et il se trouve que la géologie a doté cette péninsule de richesses minières considérables. De puissants intérêts nationaux et internationaux dominent la vie économique et il en est résulté une véritable dualité à la fois ethnique, économique et sociale. La colonisation a découpé là des entités administratives et politiques qui ont évolué différemment, qui ont aujourd’hui chacune leurs problèmes spécifiques, mais chez lesquelles se pose pour chacune d’elles, le délicat problème de cohabitation d’une minorité de Blancs plaquée en superstructure sur une majorité de Noirs.
Pour ce qui est de la République sud-africaine, celle-ci rassemble près de 14 millions de Noirs qui vivent aux côtés de quelque 3,5 M de Blancs, 2 M de métis et environ 600 000 Asiatiques. Les Blancs, qui ne sont d’ailleurs pas tous unis, disent avoir résolu le problème racial par la doctrine de l’apartheid, connue aussi sous le nom de développement parallèle. Cette politique, maintes fois condamnée dans les organisations internationales, rencontre d’autre part l’hostilité viscérale des États noirs d’Afrique. Mais la République sud-africaine peut s’appuyer sur une défense fortement structurée et sur une économie déjà puissante et en pleine expansion. En 1970 par exemple, la part de ce pays dans le produit brut africain était à peu près d’un tiers alors qu’il ne groupait qu’environ 8 % de la population du continent. Son PNB a progressé de 5,5 % dans le même temps, et cette progression devrait normalement se poursuivre dans les prochaines années.
Sans doute le Noir sud-africain est-il politiquement brimé. Mais la hausse de son niveau de vie est la plus rapide de tout le continent. En tout cas, des ombres sérieuses existent à ce tableau, ne serait-ce que le problème de déficit de la main-d’œuvre, fait assez paradoxal dans un pays où un large pourcentage de la population reste sous-employé et parfois même inemployé. C’est là une des conséquences de la doctrine de l’apartheid, et cela risque de devenir de moins en moins acceptable pour les industriels et les financiers sud-africains, qui ne sont sans doute pas les seuls à en supporter les effets, mais qui sont en tout cas les seuls à pouvoir se faire entendre sur place. Quoi qu’il en soit, l’économie sud-africaine reste aux mains d’une oligarchie de souche britannique qui serait volontiers tolérante mais qui s’oppose souvent aux intérêts des Boers plus pauvres et plus intransigeants. Il est vrai aussi que des mouvements nationalistes se sont formés et qu’ils sont basés en Tanzanie ou en Zambie. Ils sont soutenus par l’étranger, généralement par les pays progressistes qui s’appuient eux-mêmes sur les pays de l’Est et qui les arment. Mais ces mouvements n’ont aucune cohésion entre eux et la menace qui en résulte pour l’Afrique du Sud est faible. Les États africains de leur côté ont toujours condamné l’apartheid ; et si, en 1969, le manifeste de Lusaka a paru souhaiter rechercher le dialogue, l’opinion, d’une manière générale s’est durcie depuis, notamment sous l’influence des États africains progressistes partisans de l’emploi de la force seule, susceptible, disent-ils, d’entraîner un changement.
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C’est dans ce contexte et dans le cadre de sa politique de paix, de neutralité et de dialogue, que le président Houphouët-Boigny a voulu réaffirmer le 28 avril dernier ses positions sur ce problème, positions qu’il avait d’ailleurs déjà soulignées en novembre devant la presse. Rappelant que l’Afrique avait besoin d’une véritable neutralité pour échapper aux rivalités des Grandes Puissances, il a déclaré qu’il restait révolté par l’apartheid, mais qu’il fallait à tout prix écarter le spectre d’une guerre avec l’Afrique du Sud, guerre qui ne pourrait être qu’un désastre pour tout le continent. Sans croire au « miracle », il a longuement insisté sur la nécessité de contacts directs pour entraîner pacifiquement une évolution réaliste du problème. Il n’a pas caché son désir d’en entretenir et d’en convaincre ses pairs.
Ces déclarations ont naturellement provoqué de nombreuses réactions défavorables parmi les États progressistes, tandis que certains modérés, se référant au manifeste de Lusaka, ont renouvelé leur opposition à cette politique. Par contre et jusqu’ici, une dizaine d’États se sont au contraire déclarés convaincus de l’utilité d’une semblable ouverture.
Il n’est pas étonnant que dans ces conditions, les instances de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) aient été à nouveau saisies du problème. Mais de pareilles questions si elles évoluent, ne peuvent le faire que très lentement. Il est souhaitable en tout cas que l’initiative ivoirienne puisse ainsi faire son chemin, car indiscutablement elle représente une nouvelle tentative réaliste pour dégager patiemment les approches d’un règlement, encore très certainement lointain, d’un problème qui passionne l’Afrique et le monde et qui demeure en tout cas particulièrement délicat.
Tension persistante aux frontières du Sénégal et de la Guinée-Bissau
Après une période de calme qui a duré plusieurs mois, de nombreux incidents qui ont éclaté en mai ont à nouveau agité la frontière entre le Sénégal et la Guinée-Bissau (1), entraînant une nouvelle plainte sénégalaise auprès du Conseil de sécurité de l’ONU et un nouveau renforcement du dispositif militaire en Casamance.
C’est qu’en effet plusieurs villages sénégalais frontaliers ont été victimes d’actions de représailles menées soit par les Portugais, soit par les troupes du Parti africain de l’indépendance de la Guinée-Bissau et des Îles du Cap Vert (PAIGC). Dans la nuit du 31 mars au 1er avril 1971, notamment un détachement portugais a attaqué et incendié le village de Kandienou à une centaine de kilomètres à l’est de Ziguinchor, tandis que le 4 avril une bande du PAIG se livrait dans la même région à diverses exactions dans le village de Diamaye et que, le 12 avril, une autre bande incendiait les deux villages de Nady Casama et de Setounaya. Le 16 avril, d’autres incidents imputables aux troupes portugaises étaient signalés dans le même secteur et le 26, un autre village sénégalais était encore bombardé, par erreur semble-t-il, par des éléments du PAIGC attaquant dans le même temps le poste portugais de Cambadju, plus à l’est. Cette situation devait amener les autorités sénégalaises à appeler à nouveau l’attention du Conseil de sécurité sur ce sujet et à renforcer le dispositif militaire implanté en Casamance. C’est ainsi que des éléments parachutistes et des éléments blindés sont venus renforcer les unités d’infanterie déployées déjà le long de la frontière, mais il ne semble pas que le gouvernement sénégalais cherche à envenimer les choses. Conscient de l’inquiétude grandissante qui préoccupe les populations frontalières, il souhaiterait bien au contraire, comme il l’a maintes fois exprimé, qu’un arrangement puisse intervenir entre les deux antagonistes, de façon que la sécurité puisse se rétablir dans ces régions d’accès difficile et qu’il est difficile de protéger.
En Mauritanie, nouveaux projets de coopération avec la Chine populaire
Présente en Mauritanie depuis juillet 1965, date à laquelle furent ouvertes des relations diplomatiques entre les deux pays, la Chine populaire qui entretient déjà quelque 200 coopérants chinois dans le pays, envisage d’y accroître encore ses activités de coopération.
Celles-ci s’exercent discrètement mais sûrement sous le couvert de missions d’experts agricoles, de médecins ou d’équipes culturelles qui se sont implantées, soit dans la capitale, soit surtout dans le sud du pays. Vivant modestement, ces coopérants bénéficient d’un préjugé favorable de la part des populations noires du sud. Aussi les liens établis entre les deux gouvernements viennent-ils de se consolider à l’occasion d’un voyage effectué à Pékin, du 23 mars au 12 avril 1971, par une délégation mauritanienne que conduisait le ministre des Affaires étrangères [NDLR 2021 : Mohamed Moktar Ould Cheikh Abdellahi]. Un accord de coopération économique et technique a été signé, aux termes duquel la Chine populaire aurait accordé à la Mauritanie un nouveau prêt à long terme de plus de 5 milliards de francs CFA dans des conditions particulièrement avantageuses. Ce prêt serait utilisé, dit-on, pour la construction en particulier d’un port en eau profonde à Nouakchott et une mission chinoise serait attendue sous peu afin de procéder sur place aux premières études nécessaires. On pourrait donc s’attendre par la suite à l’arrivée en Mauritanie de nouveaux contingents de techniciens chinois.
Il n’est pas sans intérêt de souligner cette éventualité au moment où une importante délégation malienne vient également d’effectuer un voyage à Pékin.
(1) Voir nos précédentes chroniques dans la RDN en janvier et février 1971.