L'Inde est adolescente certes, mais avec ses 600 millions d'habitants elle pèse déjà d'un poids considérable dans l'équilibre de ce monde dont le sort se jouera demain sans doute quelque part autour de l'Himalaya. Telle est l'opinion de l'auteur qui a visité l'Inde à la veille des élections de mars dernier et a pu s'entretenir avec les principaux collaborateurs de Mme Indira Gandhi.
Chiffres à l'appui, l'auteur procède ici à une large analyse d'abord des immenses problèmes économiques et financiers que l'Inde doit maîtriser en passant directement – car son taux d'expansion démographique ne lui permet pas d'attendre – d'une économie de subsistance à une économie de distribution et de commercialisation. Nul observateur n'était plus qualifié que l'ancien ministre de l'Agriculture pour apprécier les résultats remarquables – et trop souvent méconnus par l'Occident – déjà obtenus par les institutions indiennes, notamment par les « universités agricoles ».
Il en vient ensuite à la question primordiale : l'Inde a-t-elle les moyens, non pas tant financiers, mais politiques et institutionnels permettant à Mme Indira Gandhi de mener à bien la lourde tâche dont les élections de mars lui ont confirmé la charge ? L'Europe en tout cas ferait bien de ne pas laisser capter son attention par la Chine exclusivement ; à Delhi elle peut trouver une alliée qui, au demeurant, a besoin d'elle.
Il faut se résoudre à parler de l’Inde avant de la connaître bien. On s’interdirait sans cela d’en parler jamais. En parler alors qu’on la découvre, comme on la découvre en disant bien que sa vérité est insaisissable, parce qu’elle est diverse et qu’elle change d’instant en instant. Mais il faut en parler car elle pèse lourd au trébuchet de notre destin.
Une foule immense partout, continue, omniprésente, où l’on plonge à peine descendu d’avion, et qui se développe comme la marée monte mais qui ne reflue pas. Une civilisation née il y a des millénaires — encore vivante dans sa philosophie, sa structure sociale, dans ses temples, sa nourriture, sa manière d’aborder les problèmes du monde, dans ses forces et dans ses faiblesses, dans l’instinct de chaque indien. Un certain sens de la fatalité qui n’exclut pas toujours la révolte. Un certain sens du monde qui rive chaque individu à son milieu et appelle pourtant un subtil individualisme. Une volonté farouche d’indépendance nationale qui s’exprime dans la langue schématisée du colonisateur disparu. Un sens de l’unité nationale, « all India » qui a fort à faire avec une surprenante, presque suicidaire volonté d’autonomie « régionale », linguistique, religieuse.
Un parti politique qui a fait cette unité et continue de la vouloir, par ambition nationale et par souci démocratique ; qui a fait, puis géré sans trêve l’indépendance, qui est aussi divers et contrasté que l’est l’Inde elle-même, qui n’en finit pas de s’épuiser en querelles internes et de renaître. Il domine l’appareil de l’État et des États, il arbitre en son sein la plupart des tensions : le débat parlementaire semble perdre une grande partie de son utilité et l’opposition institutionnelle se sent presque dérisoire. La stabilité politique est si solidement assurée qu’une opposition non institutionnelle, violente, se fait jour comme seule capable de faire que « cela change ».
Économie et agriculture
Les institutions et leurs problèmes
Asie ; Inde