Institutions internationales - Le peuple anglais et l'Europe - Le malaise monétaire - Nouvelle tension entre la Communauté et les États-Unis ? - La Communauté européenne et le Tiers Monde - La Grande-Bretagne et les institutions communautaires
Il ne dépend plus maintenant que des Britanniques eux-mêmes que leur pays devienne membre à part entière du Marché commun. Tel est le résultat des accords conclus le 23 juin 1971 à Luxembourg entre les « Six » et le négociateur britannique, M. Rippon. Ainsi s’est achevée la partie orageuse de l’histoire de la candidature britannique à la Communauté européenne. L’ensemble des accords réalisés avec la Grande-Bretagne depuis le 30 juin 1970 – date à laquelle, dans la voie ouverte par la conférence de La Haye, les négociations ont été reprises – est fort important :
– acceptation du traité de Rome (1957) et des décisions prises en vertu de ses clauses ;
– acceptation de la Politique agricole commune (PAC) et de la préférence communautaire ;
– acceptation du règlement financier ;
– clause négociée sur la période de transition en matière industrielle et en matière agricole ;
– accord sur le sucre des pays du Commonwealth ;
– accord sur le régime offert aux pays en voie de développement liés à l’Angleterre ;
– accord sur l’entrée dans la Communauté Charbon-Acier, adhésion à l’Euratom et à la Banque européenne d’investissement ;
– déclaration britannique acceptée par les « Six » sur l’avenir de la livre sterling, monnaie de réserve ;
– accord sur la représentation britannique dans les institutions de la Communauté ;
– accord négocié sur le régime financier de la période transitoire ;
– acceptation des perspectives du « rapport Davignon » [NDLR 2021 : rapport du nom du ministère belge des Affaires étrangères sur la future politique étrangère commune] sur l’union politique, et de l’accord sur l’union monétaire ;
– accord négocié sur la Nouvelle-Zélande ;
– accord de principe pour une révision des règlements sur la pêche. C’est un ensemble de grande envergure.
Que va-t-il se passer maintenant ?
En Grande-Bretagne, le gouvernement, qui n’aura plus le souci de déterminer sa position de négociation a pu déjà engager la bataille pour expliquer à l’opinion publique ce que représente le Marché commun, et préparer la ratification du traité.
À Bruxelles, les juristes vont mettre en forme le futur traité, tandis que les diplomates vont régler des questions secondaires.
Sous présidence italienne, les ministres des Affaires étrangères et leurs suppléants vont faire pour l’Irlande, la Norvège et le Danemark le même travail que pour l’Angleterre, mais on ne prévoit pas de difficultés comparables, encore que, dans ces trois pays, la constitution impose que les accords soient soumis à un référendum.
Dès la rentrée devra être réglée la question des accords avec les pays européens qui ne désirent pas adhérer : Suisse, Suède, Autriche, Finlande, Portugal et Islande.
Tous ces traités devraient en principe être signés avant le 1er janvier 1972. L’année prochaine devrait être consacrée aux ratifications parlementaires, afin que le 1er janvier 1973 l’ensemble de ces accords puisse entrer en vigueur en même temps. Telle est en effet la date prévue pour la naissance de la « grande Europe ».
Le peuple anglais et l’Europe
Le gouvernement anglais s’étant prononcé, c’est maintenant au peuple qu’il appartient d’entériner ou de rejeter cette option. L’accord du 23 juin tourne une page de l’histoire de l’Angleterre, mais quelle que soit son importance, et quelles que puissent être les passions qu’il suscite, la campagne « pour » ou « contre » ne sera pas aussi âpre que celle qui, en France, a précédé le rejet du projet de Communauté européenne de défense (CED) le 30 août 1954.
En effet, cet accord est la conclusion d’une longue maturation des esprits en Grande-Bretagne, commencée dès la fin de la guerre. Aucun des trois partis n’a été véritablement le champion ou le détracteur de l’Europe. C’est à l’intérieur de chaque formation que les antagonismes ont joué, quand ce n’était pas dans le cœur des individus eux-mêmes. Winston Churchill lui-même a été contradictoire dans ses réactions. Après avoir lancé le fameux « Debout, Europe ! », il a dit : « Ne vous faites aucune illusion, chaque fois que l’on nous demandera de choisir entre le continent et le grand large, nous choisirons le grand large ». Et, à l’aube de 1957, M. Maudling [NDLR 2021 : alors Trésorier payeur général], aujourd’hui converti à l’européanisme, avait quitté la salle de conférences de Val-Duchesse (où se préparait le traité de Rome) en disant : « Je n’ai pas l’habitude de gaspiller l’argent de Sa Majesté. Vous êtes en train de mettre sur pied des structures beaucoup trop complexes. Même si vous parveniez à les édifier, elles n’intéresseraient pas l’Angleterre. Je m’en retourne au Board of Trade ».
Et, quoi qu’on en ait dit parfois, les interminables négociations des années 1961-1962, que menait alors déjà M. Edward Heath, s’embourbaient dans des prétextes comme le prix de la viande d’antilope de la Nouvelle-Zélande. Il était clair que l’Angleterre mettait encore trop d’espoirs dans les liens financiers et économiques qu’elle croyait pouvoir maintenir avec le Commonwealth, pour rallier franchement l’Europe. Paris lui reprochait aussi la nostalgie de vouloir restaurer les « liens spéciaux » qui l’unissaient aux États-Unis depuis la guerre. Et également de vouloir à n’importe quel prix maintenir le rôle mondial du sterling. Aussi bien l’annonce fracassante du général de Gaulle dans sa conférence de presse du 14 janvier 1963 : « La Grande-Bretagne n’est pas prête… » n’était en fait qu’un constat. Mais cette « porte claquée au nez de l’Angleterre » comme on l’écrivit alors dans la presse anglaise, allait créer un alibi et, dans l’opinion britannique, une rancœur durable.
L’ironie de l’histoire veut pourtant que l’Europe à laquelle l’Angleterre vient de souscrire – et la seule qui était acceptable par elle – est très exactement l’Europe définie par le général de Gaulle dans cette fameuse conférence de presse du 14 janvier 1963, l’Europe des États, l’Europe confédérée, non supranationale, non cette fédération dont certains ont rêvé pendant une quinzaine d’années et qui eût sans doute définitivement écarté l’Angleterre du continent. Depuis que la Grande-Bretagne a compris et « senti » qu’elle n’est plus celle de Victoria (et Churchill fut sans doute le dernier victorien), elle était à la recherche d’un destin. Sans doute reste-t-il au Premier ministre britannique, M. Heath, à gagner une difficile bataille pour convaincre son opinion publique. Voire les membres de la famille royale, comme en témoignent certaines déclarations du prince Philip [NDLR 2021 : le mari de la reine Elisabeth II]. Mais ce n’est sans doute que péripéties. Il semble bien que le choix d’un nouveau destin de l’Angleterre ait été fait, le 23 juin, au Kirchberg, et qu’elle ait ce jour-là tourné le dos au grand large.
Il est sans doute significatif qu’au lendemain de l’accord de Luxembourg M. Jean Monnet, l’un des « pères » de l’Europe des « Six », ait déclaré : « Que la Grande-Bretagne rejoigne les Six, est un événement, c’est bien plus que l’accord des Six et de la Grande-Bretagne sur les questions pratiques, cela signifie une victoire de la civilisation occidentale. De grandes nations au passé chargé de gloire vont chercher ensemble, dans des institutions communes, à réunir leurs efforts et à organiser leur avenir. Je suis convaincu que leurs efforts communs apporteront à tous les Européens, dans les années qui viennent, de meilleures conditions d’existence, pas seulement matérielles, et leur donneront le sentiment d’une solidarité croissante ».
Quoi qu’il en soit, M. Heath ayant rejeté toute idée de référendum, ou celle de nouvelles élections dont le Marché commun serait l’enjeu (comme le réclamait la gauche travailliste) c’est au Parlement de Westminster que se jouera la partie.
Le malaise monétaire
Mais, en attendant cette option définitive du Parlement anglais, les « Six » restent affrontés aux mêmes difficultés, et parmi celles-ci, celles qui résultent de la crise monétaire de mai et de la décision allemande quant à la « flottaison » du mark ne sont pas les moindres. Le 2 juillet 1971, les ministres des Finances n’ont pas réussi à se mettre d’accord pour adopter les mesures recommandées par la Commission le 24 juin pour empêcher les mouvements de capitaux excessifs d’un pays à l’autre. On ignorait alors tout des intentions allemandes, et certains pensaient que les entretiens Pompidou-Brandt [NDLR 2021 : respectivement président français et Chancelier fédéral] pourraient, en ce domaine monétaire, dénouer les contradictions, comme les entretiens Pompidou-Heath ont débloqué la négociation sur l’adhésion britannique.
Cette réunion des ministres des Finances a échoué sur une discussion de principe entre la délégation française et la délégation allemande. En effet, si M. Schiller a pris une nouvelle fois position en faveur des monnaies « flottantes », envisageant même la possibilité d’un élargissement des marges de fluctuation des taux de change, M. Giscard d’Estaing a affirmé qu’il n’était pas question de s’entendre sur autre chose que sur les mesures « anti-spéculation » de la Commission avant de connaître la date et les modalités d’un retour à la parité fixe des monnaies allemande et hollandaise. Ce n’est que lorsque le mark et le florin ne flotteront plus que l’on pourra envisager une modification du système monétaire actuel. Et d’ailleurs, on ne peut espérer aucun progrès sur la voie de l’union économique et monétaire, et a fortiori sur celle qui devrait conduire à l’institution d’une monnaie européenne, aussi longtemps que flotteront deux monnaies des « Six ». Les techniciens peuvent discuter des mérites respectifs des parités fixes et des parités fluctuantes, la logique et les exigences communautaires imposent les premières.
Une monnaie européenne devient d’autant plus indispensable que – le Premier ministre italien, M. Colombo l’a déclaré le 29 juin – le rôle que joue la livre sterling en tant que monnaie de réserve doit être repris par une unité monétaire européenne. La Grande-Bretagne ne pouvait devenir membre de la Communauté si la livre restait une monnaie de réserve, mais si elle devient membre de la Communauté, il est nécessaire que ce rôle d’une monnaie soit transféré sur le plan de la Communauté elle-même. On ne peut donc à la fois se réjouir de la probabilité de l’adhésion britannique et rejeter le principe des parités fixes. M. Colombo a pris position en ce sens, en exprimant le souhait que soit rapidement mis fin à la flottaison du mark et du florin.
Nouvelle tension entre la Communauté et les États-Unis ?
Les perspectives d’élargissement de la Communauté européenne inquiètent une nouvelle fois certains secteurs de l’économie américaine. Il est vrai que le problème est de taille. Sans accord mondial, on ne peut espérer une solution au problème agricole. En 1964, la Communauté européenne avait proposé d’inclure tous les produits agricoles dans la « négociation Kennedy », mais les États-Unis avaient refusé. Depuis, tous les pays industrialisés ont renforcé la protection de leur agriculture en même temps qu’ils accroissaient les subventions aux exportations agricoles et alimentaires. À la veille de l’élargissement de la Communauté, les États-Unis s’inquiètent du développement de sa puissance commerciale. D’autant plus que l’inflation, à laquelle ils ne sont pas habitués, provoque des tensions qui s’ajoutent aux difficultés qui les assaillent. La plus puissante nation du monde a des conceptions bien arrêtées sur les bienfaits du commerce mondial. « Le Congrès et les électeurs sont fatigués des problèmes agricoles », a pu écrire M. Houthakker, l’un des conseillers du président Nixon. Pourtant il n’y a plus que 4 millions d’agriculteurs aux États-Unis, alors que l’on en compte encore 14 M dans la Communauté. Il ne s’agit donc plus d’un problème économique, mais social, et certains craignent une guerre commerciale entre l’Europe et les États-Unis. En effet, les 4 M de fermiers américains réclament des mesures protectionnistes contre l’« Europe verte ».
Mais les dirigeants des mouvements agricoles américains passent sous silence le fait, pourtant considérable, que la Communauté européenne est le premier importateur du monde, qu’elle achète près de 25 % des exportations agricoles américaines dites commerciales (c’est-à-dire ne faisant pas partie du programme d’aide alimentaire aux pays en voie de développement). Ces exportations ont approché 1,6 milliard de dollars en 1970 (50 % de plus qu’en 1960) sur un total de 6,7 Md. S’il est vrai que les exportations européennes gênent les producteurs américains, il l’est également que ceux-ci tirent de substantiels profits des achats qu’effectue la Communauté. En fait, il semble qu’il s’agisse d’une modification dans la répartition des exportations américaines, celles de céréales ayant régressé, celles de soja ayant au contraire augmenté. Mais c’est là un problème spécifiquement américain, qui ne saurait justifier la guerre commerciale que craignent certains, et d’ailleurs il y aurait quelque paradoxe à voir les États-Unis se dresser contre une Communauté qu’ils ont souhaitée, et à la naissance et à la défense de laquelle ils ont apporté une aide décisive.
La Communauté européenne et le Tiers-Monde
Le 1er juillet, le commerce mondial et l’aide au développement du Tiers-Monde ont pris un tournant. C’est une date importante dans l’histoire des relations internationales. La mise en vigueur des « préférences générales », malgré sa technicité, est un acte politique. Depuis la guerre, le principe d’égalité, de réciprocité, était la règle intangible du commerce mondial. Les États-Unis repoussaient toute idée de laisser donner à certains pays des avantages commerciaux qui leur seraient refusés. En 1963, un ministre britannique, M. Brasseur, avait au contraire proposé d’accorder aux industries naissantes du Tiers-Monde une « préférence » : en d’autres termes, un handicap imposé aux plus riches éviterait que les plus pauvres ne partent battus d’avance.
Il a fallu huit ans de négociations dans différentes enceintes et l’insistance des pays intéressés pour que l’idée pût aboutir. Encore la Communauté européenne a-t-elle dû se lancer seule, car la poussée protectionniste aux États-Unis eût été cause de retard. Les « Six » ont revendiqué le droit d’accorder aux produits fabriqués dans le Tiers-Monde un avantage qu’ils refusent à leurs concurrents américains – mais ils acceptent que ceux-ci agissent de même envers eux. Ce geste signifie que la Communauté est décidée à assumer ses responsabilités dans le développement de l’ensemble du Tiers-Monde. Certes, jusqu’ici elle y contribuait en achetant nettement plus qu’elle n’y vendait, mais ses approvisionnements de pétrole représentent une très large part de ses importations. De nombreux pays très déshérités sont lourdement déficitaires dans leur commerce avec elle. La Communauté a pris conscience depuis longtemps de ses devoirs vis-à-vis de l’Afrique francophone et du bassin méditerranéen mais, avec l’élargissement, une telle politique ne suffit plus. Des pays membres se sentiront désormais des liens spéciaux envers toute l’Afrique et une partie de l’Asie, sans qu’il soit pour autant souhaitable de pratiquer une « discrimination » au désavantage de l’Amérique latine. Sans renoncer à ses responsabilités particulières, il devenait indispensable pour la Communauté de concevoir une politique de développement à l’échelle du monde. Son thème central sera désormais : les industries du Tiers-Monde auront droit à l’intérieur de la Communauté au même traitement que les industries européennes. Il demeure à cette règle – et les pays intéressés le déplorent – de nombreuses exceptions pour apaiser les craintes de certains secteurs sensibles : une telle initiative ne peut durer que si elle respecte les limites acceptables par les industries européennes et par les travailleurs européens. Ces limites sont mal explorées, et c’est pourquoi ces premières dispositions, longuement négociées avec les pays du Tiers-Monde, restent prudentes, mais la Communauté est bien décidée à les améliorer progressivement.
Ce programme d’aide aux pays du Tiers-Monde a pris fin juin une forme particulière, à la fois plus précise, et plus limitée. M. Masmoudi, ministre tunisien des Affaires étrangères, a en effet déclaré : « L’Europe qui s’élargit et s’affirme devrait lancer un Plan Marshall européen ». M. Masmoudi a bien défini l’unité historique et morale du monde méditerranéen : « C’est le grand lieu de rencontre. Celui du triple message d’Israël, du christianisme et de l’Islam, de la technocratie du Nord et du sous-développement du Sud, du libéralisme avec ses délices et du simplisme d’un certain dirigisme. Le carrefour marin est sacré et profane… ». Il a ajouté, à propos de l’Europe : « Elle devrait mettre sur pied un plan Marshall méditerranéen. L’Europe a été sauvée par cette aide ; à elle de proposer un nouveau style de relations avec l’Afrique maghrébine ».
En soi, l’idée peut séduire, mais la référence au Plan Marshall reste toutefois superficielle. En effet, d’une part ce Plan fut mis en œuvre par une autorité politique, et les pays à qui il était destiné étaient d’accord pour en bénéficier, et, qui plus est, pour bâtir une organisation chargée de la répartition de l’aide (ce fut l’OECE, l’Organisation européenne de coopération économique, qui devait par la suite [1961] devenir l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques). Or, aussi étroite que puisse devenir la coopération intergouvernementale, l’Europe, telle qu’elle se bâtit, ne dispose pas d’une autorité politique. Par ailleurs, rien ne permet d’affirmer que les pays maghrébins seraient d’accord sur le principe même de cette aide, que d’aucuns taxeraient sans doute d’entreprise de « néocolonialisme ». Le Plan Marshall établissait une aide économique à objectifs politiques : les pays maghrébins pourraient accepter peut-être une aide économique, mais ne seraient pas d’accord sur ses finalités politiques. L’idée d’un « Plan Marshall » conçu par l’Europe au bénéfice de l’Afrique maghrébine se heurte ainsi à deux obstacles, tenant, l’un à la structure même de la Communauté européenne, l’autre à la non-homogénéité politique de la région envisagée. Le Plan Marshall a répondu à une certaine conjoncture, et l’histoire ne se répète pas.
La Grande-Bretagne et les institutions communautaires
Au surplus, cette Europe va comprendre la Grande-Bretagne, et celle-ci ne paraît pas devoir accorder une priorité aux pays maghrébins : ce serait accroître le mécontentement de pays en voie de développement du Commonwealth. Enfin, dans les prochains mois, le problème le plus délicat sera peut-être celui de l’insertion de représentants britanniques (et, en même temps irlandais, danois et norvégiens) dans les institutions communautaires.
À partir du 1er janvier 1973, date de l’entrée en vigueur du traité d’adhésion, la Grande-Bretagne disposera de 10 voix, de même que la France, l’Allemagne et l’Italie. Les Pays-Bas et la Belgique auront chacun 5 voix, le Luxembourg 2, l’Irlande, la Norvège et le Danemark chacun 3. Lorsque le Conseil des ministres aura à prendre des décisions à la majorité qualifiée, il lui faudra réunir 43 voix sur un total de 61.
La nouvelle commission européenne qui, elle aussi, s’installera le 1er janvier 1973, comptera 14 membres, à raison de 2 pour l’Allemagne, la France, l’Italie et la Grande-Bretagne, et 1 pour chacun des autres États. Son premier président sera un Français. Le mandat de M. Malfatti, son actuel président [italien], vient normalement à expiration le 1er juillet 1972 ; mais tout porte à penser qu’il sera prorogé de six mois, jusqu’à l’arrivée des Anglais et de leurs amis.
Si, au cours des mois passés, les négociateurs n’ont guère eu le loisir d’évoquer le fonctionnement des institutions, c’est un sujet qui a été abordé lors des entretiens Pompidou-Heath, et l’on sait que les Anglais n’ont pas l’intention de réclamer une modification du jeu actuel des mécanismes institutionnels, ou de la répartition des pouvoirs entre les différents organes de la Communauté. Toutefois, ils restent assez réservés à l’égard de la Commission, en qui ils voient un « exécutif » supranational (ce qu’elle pourrait être, mais ce qu’elle n’est pas). Selon eux, elle doit n’être qu’une sorte de haut secrétariat international, habile à trouver les formules de compromis, à les expliquer et à les défendre devant les parties intéressées. Il ne doit s’agir en aucune manière d’un organisme politiquement indépendant dont la tâche première serait d’inspirer, de guider la politique européenne des gouvernements – et cette primauté des gouvernements doit rester la règle majeure. On en saura plus sur l’état d’esprit des dirigeants britanniques quand ils auront désigné leurs représentants au sein du collège européen. S’ils désignent de hauts fonctionnaires, il sera évident que la Commission s’éloignera du rôle que lui assignait le traité de Rome. S’ils désignent des hommes politiques, et plus spécialement des « européens », ils montreront qu’ils entendent respecter dans les faits l’équilibre institutionnel imaginé par le traité, qu’ils ne veulent pas le modifier de telle sorte que la Commission soit réduite au rang d’une simple OCDE bruxelloise. On sera d’autant plus attentif au choix de la Grande-Bretagne que, compte tenu des sentiments contradictoires qui animent les actuels États-membres sur le rôle à impartir à la Commission, il y a de fortes chances pour que ce soit elle qui donne le ton.
L’arrivée à Bruxelles et à Luxembourg début 1973 de fonctionnaires britanniques, irlandais, danois, norvégiens ne manquera pas de se répercuter sur les conditions et sur le rythme du travail de la Commission, du secrétariat du Conseil et de celui du Parlement. On peut déjà craindre qu’en 1972 l’activité des « Six » se trouve ralentie, car certains États-membres répugneront à prendre des décisions importantes durant cette période intérimaire où les Anglais n’occuperont pas encore leur siège au conseil des ministres, mais se contenteront d’être « informés et consultés ». La candidature britannique a freiné l’évolution de la Communauté, plusieurs États-membres s’étant opposés à des mesures qui pouvaient intéresser les Anglais, en l’absence de ceux-ci. La probabilité de cette adhésion va créer de nouveaux retards, en raison des nécessaires adaptations. La responsabilité de cet état de fait ne peut être imputée aux « Six », qui dès la création de la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) – première Communauté européenne – avaient demandé à la Grande-Bretagne de se joindre à eux. C’était il y a vingt ans. ♦