Cinématographique - Les films d'inspiration militaire
Il faut bien dire que l’année cinématographique n’a pas été, jusqu’ici, féconde en œuvres d’inspiration véritablement militaire et, en ce qui concerne la France plus particulièrement, l’événement le plus marquant se situe un peu en marge de la vie même du cinéma puisqu’il s’agit du 5e Festival international du Film militaire qui s’est déroulé en juin à Versailles. Non seulement ce festival est une création française puisqu’il a été fondé en 1964 par la municipalité de Versailles à la suite d’une décision favorable de M. Pierre Messmer, alors ministre des Armées, mais cette année les lauriers les plus prestigieux ont été attribués par le jury à deux réalisations de l’Établissement cinématographique et photographique des armées (ECPA), Des accidents à bord, pourquoi ? et Le combat du Galdiv [Groupe d’aviation légère divisionnaire], qui ont reçu conjointement le Soleil d’Or dans la catégorie des films d’instruction.
Succès appréciable, étant donné que 30 Nations participaient à cette vaste confrontation amicale qui permet de connaître mieux, et d’apprécier, la production internationale de films militaires d’information comme d’instruction. Les principales autres récompenses de ce 5e festival sont allées à la Grande-Bretagne, qui a obtenu le Soleil d’Or des films militaires d’information avec son Infanterie de Marine Royale, à la Suède, à la Norvège et aux États-Unis, Israël, l’Italie et la Suisse obtenant des mentions.
Les cinéastes professionnels français, ceux qui assurent aux cinéphiles leur ration hebdomadaire de sensations visuelles, s’intéressent peu à l’armée et lorsqu’ils le font, c’est généralement dans un esprit négatif, avec la nette volonté de dénigrement de l’institution en elle-même. Combien sont-ils encore qui confondent – involontairement ou non – militaire et militarisme ! L’inconscience et la méconnaissance des faits réels de la vie militaire jouent aussi un rôle déterminant dans cette présentation décevante de l’armée à l’écran. Nous sommes loin, aujourd’hui, des exploits présentés au lendemain de la Libération et encore plus loin de ces films d’inspiration militaire qui connurent un si vif succès avant la guerre, que ce soit Légions d’Honneur (1938) ou Trois de Saint-Cyr (1939) ou encore Sœurs d’armes (1937). Le respect de la « Grande Muette » n’empêchait nullement la réalisation de vaudevilles ou de farces militaires et les Un de la Légion (1936) ou Une de la cavalerie (1938) foisonnaient, sans pour autant porter en rien atteinte à l’honneur de l’armée.
Dans la production actuelle, c’est l’esprit de contestation qui domine et cet esprit se manifeste parfois de la manière la plus grossière, la plus vulgairement démagogique. Basé sur un récit de Georges Darien (1890), que l’on prétend autobiographique, Biribi (1971) rappelle, non sans réalisme, la vie des soldats condamnés aux bataillons disciplinaires d’Afrique. Il y a certes beaucoup de vérité dans cette évocation d’un passé révolu et le jeune cinéaste Daniel Moosmann s’est appliqué à ne pas trop « charger », ce qui ne l’a toutefois pas mis à l’abri d’erreurs de mise en scène, dont la plus choquante est cette justice rendue par un capitaine, nu-tête, en plein soleil, alors que tous ceux qui sont passibles de sanctions sont, eux, protégés des rayons mortels de Phébus. Si Biribi appelle malgré tout des réserves, que dire de L’Escadron Volapük (1971) que nous a mijoté René Gilson ? Ici, c’est le dénigrement systématique, stupide, révoltant par son parti pris. Ce qui aurait pu être divertissant en aimable satire, devient odieux et insupportable. Comme on regrette qu’un comédien de la classe d’Olivier Hussenot se soit prêté à cette tâche dégradante et inexcusable. L’Escadron Volapük a peut-être fait les délices de quelques snobs, le grand public l’a totalement ignoré et c’est fort bien ainsi.
Dans la production étrangère des derniers mois, on ne retrouve cette volonté de parodie que dans un seul film, mais l’esprit de dénigrement en est absent. Il s’agit d’une reconstitution qui mêle une certaine conception vaudevillesque à l’évocation de faits sinon réels, du moins vraisemblables. C’est dans un roman de l’écrivain juif polonais Joseph Opatoshou que les producteurs du Voleur de chevaux ont puisé le sujet de ce film britannique réalisé en Yougoslavie par Abraham Polonsky, auteur de Willie Boy, d’une inspiration tout à fait différente. Dans Le Voleur de chevaux, les protagonistes se divisent en deux catégories : d’un côté, il y a les marchands juifs de chevaux, le plus souvent volés, de l’autre il y a les Cosaques chargés de maintenir l’ordre et qui ont à leur tête le capitaine Stoloff. Il faut dire que l’action se situe en 1904 dans la petite ville imaginaire de Malava, en Pologne, à la frontière de l’empire du tsar et de celui du kaiser. Dans cette pittoresque évocation, non dénuée de tableaux d’une vérité criante, le capitaine Stoloff est représenté comme un officier buveur et trousseur de jupons, cultivé et jouisseur, véritable satrape, soufflant de surcroît de son exil, lui qui a connu Maxim’s et les boîtes de Montmartre ! Une gigantesque farce est montée par les Juifs de Malava au détriment des Cosaques ; on rit de bon cœur, car l’humour en est plaisant et non pas corrosif. Par ailleurs, le capitaine Stoloff, incarné avec brio par Yul Brynner, n’est jamais ridicule, si l’on veut bien tenir compte de l’époque et du cadre de l’intrigue.
Un autre film anglais, Zeppelin, réalisé par le cinéaste belge Étienne Périer, nous replonge dans le passé, sans la moindre velléité de parodie, bien au contraire. L’aspect militaire y est toutefois secondaire, le metteur en scène ayant réservé tous ses soins à une minutieuse reconstitution des raids de dirigeables allemands sur l’Angleterre pendant la guerre de 1914-1918 et sur un récit d’espionnage qui pèche un peu par son invraisemblance.
C’est de l’héroïsme à l’état pur qui nous est proposé dans le film yougoslave Le Soldat, dont les imperfections techniques (assez mauvaises prises de vues en noir et blanc) n’atténuent que fort peu la valeur humaine et la probité de la reconstitution. Le personnage principal, le « soldat » du titre, est un garçon de onze ans, petit paysan serbe qui n’hésite pas à fraterniser avec les militaires allemands de l’armée d’occupation (l’action se passe pendant la dernière guerre). Les soldats se montrent gentils avec lui, les officiers lui offrent souvent des cadeaux, et le jeune garçon ne comprend pas l’hostilité de ses camarades. Pour lui, les occupants sont des hommes comme les autres. Deux événements viendront modifier son comportement. D’abord, il assiste à un interrogatoire, assorti de tortures, d’un jeune résistant, ensuite il apprend par un des chefs de l’armée secrète que son père a été fusillé. Il se met alors au service de la Résistance en fournissant de précieux renseignements, récoltés pendant ses visites à la Kommandantur. Lorsqu’il sera découvert, il s’enfuira et, malgré son jeune âge, fera le coup de feu avec les partisans et se fera tuer avec eux. L’histoire du Soldat est contée avec sobriété, sans pathos, avec un grand souci de vérité humaine. Le réalisateur a su éviter le manichéisme qui rend si souvent les récits cinématographiques un peu naïfs. On se doit toutefois de signaler qu’il paraît peu vraisemblable qu’un petit paysan serbe, aussi intelligent soit-il, ait eu la possibilité de transmettre à ses amis partisans des renseignements d’ordre militaire, ceux-ci étant donnés au téléphone et en allemand…
L’ouvrage le plus important au point de vue militaire et guerrier, nous le devons au vétéran du cinéma américain Henry Hathaway, qui n’a pas oublié, semble-t-il, qu’il fut le réalisateur, autrefois, du mémorable Trois lanciers du Bengale (1935). Le film, auquel nous faisons allusion, s’intitule Le cinquième commando et il nous conte une aventure assez extraordinaire, et en vérité peu crédible, de la guerre autour de Tobrouk dans les années 1942-1943. Henry Hathaway n’a pas voulu écrire une page d’histoire, il a pris un épisode imaginaire pour prétexte à une reconstitution en tous points remarquable et fort appréciée des spécialistes les plus exigeants. Le cinquième commando est chargé de détruire les réserves de carburant du maréchal Rommel qui les conserve dans un endroit secret. Le mystère sera percé par un capitaine anglais, Foster, déguisé en officier allemand et conduisant au quartier général du chef de l’Afrika Korps un prisonnier britannique, le major Tarkington, philatéliste distingué comme le maréchal lui-même. Pendant que les deux « enragés » discutent timbres, Foster identifie sur un plan l’emplacement des réserves d’essence. L’attaque réussit, les réserves sont détruites, la flotte britannique peut approcher de Tobrouk, mais le « cinquième commando » est anéanti. Wolfgang Preiss, bon comédien allemand, nous présente une image acceptable du maréchal Rommel, bien que la ressemblance physique ne soit pas convaincante. L’épisode philatélique mis à part, la réalisation de Henry Hathaway se recommande par une très grande maîtrise et par un louable souci de réalisme. Les amateurs de films de guerre ne peuvent qu’admirer Le cinquième commando.
Signalons, enfin une œuvre d’une indiscutable originalité et qui retrace un épisode dramatique et pathétique de la conquête des espaces polaires, la malheureuse expédition du général Umberto Nobile au Pôle Sud en 1928. Bien que le réalisateur, le cinéaste soviétique Mikhaïl Kalatozov, responsable de cette coproduction italo-soviétique, La tente rouge, ait mis tout en œuvre pour une vaste reconstitution, c’est le drame individuel de Nobile qui nous intéresse le plus. Cet officier supérieur a-t-il failli à son devoir, comme on l’a affirmé un peu à la légère au moment de la catastrophe ? On l’avait rendu responsable de la mort de l’explorateur Roald Amundsen parti à son secours ; n’était-ce pas une accusation injustifiée ? Le général Nobile n’a-t-il pas tout tenté pour sauver ses hommes ? Pour répondre à ces questions, sans y parvenir d’ailleurs, Kalatozov a choisi un procédé qui nous déconcerte. Il a imaginé le général Nobile aux prises avec les autres protagonistes du drame, aujourd’hui comme lui disparus, et c’est ce tribunal de l’au-delà qui est chargé d’éclaircir rétrospectivement les circonstances de la tragédie. Précisons que la mise en scène matérielle de La tente rouge est d’une perfection totale et que le comédien britannique Peter Finch personnifie le général Nobile avec beaucoup de noblesse et de dignité. Pour beaucoup, La tente rouge sera une réhabilitation du malchanceux chef de l’expédition de l’Italia. Cinématographiquement, c’est une très belle œuvre. ♦