Une politique étrangère – 1958-1969
Voilà un livre qui doit être lu par quiconque porte un intérêt, non seulement à l’histoire récente de notre pays, mais également à sa situation dans la présente conjoncture et à son rôle dans l’évolution du monde au cours des années à venir.
Car il ne s’agit ni de souvenirs, ni de mémoires : l’ouvrage se décompose en une suite de dossiers dont chacun constitue une étude complète et précise des grands problèmes de politique étrangère qui se sont posés à la France pendant les quinze dernières années, qui se posent encore à elle et dont il dépend largement d’elle qu’ils soient résolus dans un sens qui soit conforme à ses intérêts proches et à l’intérêt général.
Qui était plus qualifié que Maurice Couve de Murville pour présenter au public la politique étrangère de la France de 1958 à 1969 ? Ministre des Affaires étrangères du général de Gaulle pendant dix ans « il assume cette charge pendant une si longue durée pour la première fois depuis l’Ancien Régime » comme il le remarque au début de sa préface. À ce titre, il participa à l’élaboration de la politique extérieure de la France et la dirigea pendant une période riche en événements d’une densité exceptionnelle, au cours de laquelle, à la suite des incroyables bouleversements de la guerre, l’évolution politique, sociale, économique, technique du monde prit un rythme accéléré. Un coup d’œil sur l’excellente chronologie qui figure à la fin du volume donne une idée de la cadence à laquelle « les grandes affaires » durent être menées. Il est permis de remarquer en passant le caractère harassant de la tâche de l’homme d’État de notre temps et la nécessité pour lui de conserver sang-froid, objectivité, discernement, pouvoir de persuasion, clarté de vue et d’exposition tout au long de négociations souvent assimilées par la langue courante à l’exploit du coureur de marathon !
Toutes ces qualités. Couve de Murville les a au plus haut point et, pour ce qui est de la persuasion et de la clarté d’exposition, il suffirait de lire son ouvrage pour en avoir la confirmation si besoin en était !
Il est bien évident que dans un travail de ce genre, si les difficultés rencontrées et même les échecs subis ne sont pas minimisés, une justification de notre position s’inscrit en filigrane tout au long des « dossiers » ainsi livrés au lecteur. Les arguments sont bons. Pour ne prendre qu’un exemple qui intéresse plus particulièrement notre défense nationale, on peut lire pages 75 et 76 au sujet d’un des aspects les plus couramment controversés de la politique étrangère de la Ve République, le retrait de la France de l’Otan :
« En bref, la restauration de notre indépendance et même de notre souveraineté sur le territoire national commandait le changement radical d’un système où l’une et l’autre se perdaient militairement et politiquement. Il n’y avait là ni outrecuidance ni légèreté. Toutes les formes de coopération étaient ouvertes au sein d’une Alliance, dont nous savions et disions qu’elle resterait nécessaire aussi longtemps qu’il existerait une menace ou un danger de l’autre côté, qu’elle constituait un élément d’équilibre, donc de paix, en Europe, tant que la situation n’aurait pas été radicalement modifiée, perspective aussi lointaine sans doute que celle d’un règlement du problème allemand. Dans une Alliance transformée, au moins pour ce qui la concerne, la France jouerait son rôle d’autre manière, et beaucoup mieux, si le pire devait arriver, qu’à demeurer enfermée dans un système anonyme et subordonnée. »
Les dispositions militaires prises depuis 1969, sur le plan national et les liaisons établies avec les commandements alliés n’apportent-elles pas une justification à cette prise de position ?
Tout au long des pages, qu’il s’agisse de la détente entre l’Est et l’Ouest, du Marché commun, de l’union politique, de la position de la France dans le monde, Couve de Murville montre comment et pourquoi la position française a pu ne pas coïncider avec celle de certains de ses alliés ou de ses partenaires, comment et pourquoi de nombreuses difficultés ont pu être surmontées, pourquoi d’autres ont subsisté, comme c’est le cas de l’union politique de l’Europe, par exemple.
Toujours froid, précis, objectif, presque détaché en apparence, c’est avec une ténacité qui n’exclut pas la souplesse, une rigueur intransigeante quant aux objectifs, qui s’accommode néanmoins d’une grande liberté dans le choix des procédures, bref, avec une autorité suprême, que l’ancien ministre des Affaires étrangères a dirigé la politique étrangère de la Ve République dans sa phase gaullienne et que maintenant, il la raconte et la justifie ; une politique étrangère : on pouvait en concevoir d’autres et beaucoup l’ont fait. Mais celle-là seule qui fut suivie était la bonne : telle est la certitude de Couve de Murville en toute conscience.
Il nous en fait part avec la même conviction profonde. Et si l’on croit que la publication de cet ouvrage est peut-être, dans l’esprit de son auteur, non seulement une remise en ordre d’un ensemble de dossiers relatifs aux événements passés, mais également une manière pour lui de définir une politique étrangère pour la France d’aujourd’hui et de demain, sa lecture offrira d’autant plus d’intérêt que l’on peut penser que la carrière politique de son auteur est loin d’être terminée. ♦