Maritime - Dans la Marine française : le Plan naval - Aux États-Unis : le projet de budget de la marine pour l'exercice 1972-1973
Dans la Marine française : le plan naval
Par décret paru au Journal officiel du 3 mars 1972, le Gouvernement a fait connaître la composition des forces navales à réaliser d’ici 1985 pour la Marine française afin qu’elle puisse remplir les missions qui lui ont été fixées compte tenu de la menace potentielle qu’il a évaluée à cet horizon.
L’élaboration de ce plan a consisté à confronter cette menace avec les capacités d’action résultant de la politique de défense du Gouvernement. Dans le cadre de cette politique, la Marine doit avoir :
– une capacité de riposte nucléaire qui revêt une priorité absolue ;
– une capacité de défense des approches maritimes de notre pays ;
– une capacité de défense des Départements et territoires d’outre-mer (DTOM) ;
– une capacité, enfin, d’action en haute mer.
À la suite de longues et sérieuses études au cours desquelles il a été constamment tenu compte de l’aspect financier du problème et de son avenir prévisible, l’État-major de la Marine est arrivé à la conclusion que celle-ci devrait disposer en 1985 des bâtiments suivants :
– un minimum de 5 sous-marins nucléaires stratégiques (SNLE) (1) ;
– une vingtaine de sous-marins d’attaque à propulsion classique ou nucléaire (SNA) ;
– 2 porte-avions ;
– 2 porte-hélicoptères ;
– une trentaine de frégates ou corvettes ;
– 35 avisos ;
– une trentaine de patrouilleurs divers ;
– des bâtiments de guerre des mines nécessaires à la liberté d’accès de nos ports de guerre et de commerce ;
– 5 pétroliers ravitailleurs d’escadre ;
– des navires ateliers d’escadre, des navires magasins ainsi que quelques bâtiments amphibies et de transport léger ;
– une cinquantaine d’avions de patrouille maritime.
L’armement de ces moyens de combat et des éléments de soutien à terre de toute nature exigera 73 000 hommes dont 5 000 officiers.
Si l’on songe que par suite de leur âge la majorité des navires figurant aujourd’hui dans notre flotte doivent disparaître en fin de décennie et qu’à cette époque notre Marine, outre les porte-avions Clemenceau et Foch et le croiseur porte-hélicoptères Jeanne d’Arc, ne comprendra plus comme unités récentes qu’un porte-hélicoptères neuf, une dizaine de frégates ou corvettes et une douzaine d’avisos datant des premier, deuxième et troisième plans quinquennaux, on voit que la Marine devra, pour réaliser l’objectif du plan, construire d’ici 1985 au moins :
– une vingtaine de corvettes ;
– une vingtaine d’avisos ;
– une douzaine de sous-marins d’attaque ;
– entre 25 et 30 patrouilleurs rapides
– 4 pétroliers ravitailleurs ;
– une trentaine de chasseurs de mines.
Elle devra en outre acquérir :
– 80 avions pour renouveler le parc aérien embarqué sur les porte-avions ;
– 70 hélicoptères de tous types destinés aux porte-hélicoptères, frégates et escorteurs.
Parallèlement, un effort sera nécessaire pour les études, en particulier de nouveaux systèmes d’armes, les munitions, missiles en particulier, les rechanges et l’infrastructure notamment celle relative au personnel.
Ce plan naval ne fait que définir un objectif global à réaliser d’ici 1985. Il ne fixe pas les caractéristiques des armes, des équipements et des bâtiments ou aéronefs chargés de les mettre en œuvre, celles-ci pouvant considérablement évoluer d’ici 1985. C’est ainsi que les termes de corvette et d’aviso, par exemple, ont été utilisés pour indiquer la gamme des bâtiments concernés mais ne préjugent en rien les types des navires qui seront finalement construits. En fait, les corvettes pour partie anti-sous-marine (ASM) et pour partie antiaériennes, avec en commun un armement anti-surface, seront, sauf fait technique nouveau, dérivées du type C-70 inscrit au 3e Plan ; elles seront destinées à assumer plus spécialement notre capacité d’action en haute mer et la défense des approches maritimes de notre pays tandis que les avisos, par exemple, auront en priorité à charge la protection de notre composante navale stratégique dans la zone du plateau continental.
En résumé, le plan naval adopté par le Gouvernement après avoir été soumis au Conseil de défense ne définit qu’un objectif à l’horizon 1985. Pourra-t-il être réalisé ? C’est là tout le problème puisqu’il détermine l’avenir même de la Marine et sa capacité de protéger notamment notre potentiel de riposte nucléaire dont les SNLE constitueront l’élément essentiel. Les évaluations auxquelles a procédé l’EMM semblent indiquer que, sur le plan financier, le plan pourrait être réalisé même si le pourcentage du PNB que le pays consacre à sa défense se maintient durant la période considérée à son niveau actuel.
Aux États-Unis : le projet de budget de la marine pour l’exercice 1972-1973
Son montant
Le budget de Défense américaine pour l’exercice 1973 commençant le 1er juillet 1972 a été présenté au Congrès en janvier dernier. Il se monte à 83 176 millions de dollars (2) ce qui représente 31,8 % environ du budget fédéral et 7 % du PNB américain.
Par armées et services, ce budget se présente comme suit :
Désignation |
Année fiscale 1973 |
Exercice précédent |
Army |
22 131 |
22 207 |
Navy et Marine Corps |
25 197 |
23 775 |
Air Force |
23 549 |
23 565 |
Organismes de l’Administration centrale |
1 867 |
1 772 |
Services communs |
5 466 |
4 916 |
Protection civile |
88 |
78 |
Programme d’aide militaire (PAM) |
1 347 |
945 |
Augmentations de solde et réforme du système des pensions de retraite |
3 530 |
830 |
Total |
83 175 |
78 088 |
Le budget de la marine, y compris celui du Marine Corps, est supérieur de 1 422 M$ à celui de l’exercice précédent. Il représente 30,28 % du budget de la Défense et il est, comme en 1971-1972, le plus important des trois armées.
Il s’articule comme suit en M$ :
Personnel militaire (active et réserve) |
6 827 |
26,9 % |
Fonctionnement et entretien |
5 439 |
21,5 % |
Achats et fabrications (« procurement ») |
9 650 |
38,2 % |
Recherche et développement |
2 711 |
10,7 % |
Travaux infrastructure |
554 |
2,7 % |
Personnel
Les crédits demandés pour le personnel sont légèrement supérieurs à ceux de l’exercice précédent (182 M). Cette augmentation est due presque uniquement à l’accroissement des soldes intervenu au cours de l’année fiscale 1971-1972, puisque les effectifs de la Navy et du Marine Corps seront durant la nouvelle année budgétaire sensiblement identiques à ceux de la précédente comme le montrent les chiffres suivants :
|
1971 (réels) |
1972 (estimés) |
1973 (estimés) |
A. US Navy (active) |
|
|
|
Officiers |
74 557 |
73 424 |
72 198 |
Non-officiers |
543 981 |
524 529 |
525 231 |
Cadets |
4 485 |
4 243 |
4 243 |
Total |
623 023 |
602 196 |
601 672 |
B. US Navy (réserve) : Total |
133 236 |
134 393 |
132 976 |
C. Marine Corps (active) |
|
|
|
Officiers |
21 765 |
19 812 |
19 133 |
Non-officiers |
190 604 |
178 208 |
178 832 |
Total |
212 369 |
198 020 |
197 965 |
D. Marine Corps (réserve) : Total |
47 761 |
45 373 |
45 663 |
À l’exception de 8 000 marins et 500 Marines qui étaient encore en Indochine le 1er janvier 1972 et qui doivent être d’ailleurs rapatriés, on peut dire que la Navy a pratiquement achevé son désengagement au Vietnam.
Le maintien du personnel au niveau prévu par le budget restera, comme les toutes dernières années, un des principaux problèmes qu’auront à résoudre la Navy et le Marine Corps. C’est d’ailleurs la difficulté principale que devra surmonter l’ensemble des forces américaines pour pouvoir donner naissance aux « all volunteer forces » que souhaite le ministre de la Défense [NDLR 2021 : Melvin Laird]. Malgré l’augmentation très sensible des soldes et les nombreuses mesures qui ont été prises à l’instigation du Chief of Naval Operations, l’amiral Zumwalt, pour améliorer les conditions de vie des marins et de leurs familles, les taux de réengagements sont encore insuffisants pour toutes les catégories de personnel, bien que l’on ait constaté durant les cinq premiers mois de l’année fiscale 1972 un très notable accroissement du pourcentage des premiers rengagements à l’issue du lien initial.
La Flotte
La composition de la flotte de combat sera en gros la suivante, comparée à ce qu’elle est actuellement :
|
30 juin 1972 |
30 juin 1973 |
SNLE Polaris/Poseidon |
41 |
41 |
Porte-avions |
17 |
16 |
Bâtiments d’escorte |
226 |
207 |
Sous-marins nucléaires d’attaque |
57 |
60 |
Amphibies |
77 |
66 |
Total |
418 |
390 |
À ces 390 unités de combat modernes il faut ajouter 27 sous-marins classiques et 177 navires logistiques, auxiliaires et divers portant à 504 le nombre total des bâtiments armés. La flotte de réserve armée pour l’instruction comprendra 58 navires.
L’aviation navale y compris celle du Marine Corps sera forte de 6 818 aéronefs de tous types répartis en :
– 13 Navy Attack Wings embarqués.
– 24 Patrol Squadrons de Lockheed P-3A et P-3B Orion basés à terre, et diverses autres formations y compris celles de la réserve.
Comme le montre le tableau ci-dessus, la composante navale des forces stratégiques américaines restera fixée à 41 SNLE portant 656 missiles mais la force de frappe va continuer à s’accroître par le remplacement du système Polaris par le système Poseidon ; 7 SNLE équipés de ce système sont opérationnels, neuf autres en cours de conversion et, à la fin de l’année fiscale 1973, vingt en seront dotés. Rappelons à ce propos que le Poseidon est muni d’une ogive nucléaire du type MIRV (Multiple Independant Reentry Vehicle) à 10 corps de rentrée dont la puissance unitaire est évaluée à 50 kilotonnes.
À la fin de l’année fiscale 1973, la force de porte-avions comprendra le CVAN65 Enterprise, 8 du type Forrestal ou dérivés, 3 du type Midway et 4 plus anciens dont 2 du type CVS [NDLR 2021 : porte-avions ASM]. L’aviation embarquée sur ces bâtiments sera articulée, comme déjà dit, en 13 Navy Attack Wings totalisant ensemble plus de 1 200 aéronefs. L’installation à bord des porte-avions d’attaque d’aéronefs ASM à la place d’avions d’attaque sera poursuivie. Les unités classées dans le tableau précédent dans la catégorie des bâtiments d’escorte comprennent les croiseurs, les frégates et destroyers lance-missiles ainsi que les destroyers et escorteurs classiques. Dans cette dernière catégorie, le remplacement des unités les plus anciennes va se poursuivre par la mise en service progressive des 46 destroyers d’escorte de 4 000 tonnes type Knox, commandés ces dernières années ; trente ont déjà rallié la flotte. Ces bâtiments qui n’ont pas donné entière satisfaction feront l’objet d’une modernisation avant livraison, modernisation qui sera parallèlement étendue aux escorteurs en service.
Constructions neuves et fabrications
Dans le projet de budget, les 9 650 M$ demandés au titre « procurement », c’est-à-dire les autorisations de programme se répartissent comme suit en millions de dollars :
|
Année fiscale 1972 |
Année fiscale 1973 |
Navy : |
|
|
Bâtiments neufs et conversions |
3 010 |
3 560 |
Avions et missiles |
3 965 |
3 871 |
Autres (électronique, transmissions, etc.) |
1 768 |
2 023 |
Marine Corps |
|
|
Armes, véhicules de combat, munitions, équipements, etc. |
128 |
191 |
Total |
8 871 |
9 645 |
Les crédits prévus pour les navires permettront de commander durant l’année fiscale 1973 :
– 7 nouveaux destroyers de 7 000 t du type Spruance (612 M$) venant s’ajouter à 16 bâtiments en construction ou commandés déjà financés sur des programmes antérieurs ;
– 6 nouveaux sous-marins nucléaires d’attaque du type SSN688 (1 042 M$) ce qui porterait avec les unités de ce type déjà commandées à 18 le nombre de SNA de ce type ;
– 4 navires logistiques (218 M$) ;
et de convertir :
– 2 frégates lance-missiles (118 M$) ainsi que de poursuivre la conversion Polaris/Poseidon (751 M$).
La marine demande aussi au titre de l’année fiscale 1973 :
– 942 M$ pour le programme ULMS (Undersea Long Range Missile System) qui devrait permettre la mise en service du premier sous-marin de ce type en 1978, soit deux à trois ans plus tôt que prévu à l’origine. Rappelons que ce programme dont le coût est évalué à plus de 15 milliards de $, prévoit la construction d’une flotte de 25 sous-marins nucléaires chacun porteur de 24 missiles Perseus de 10 000 km de portée.
– 299 M$ pour l’acquisition des articles à long délai d’approvisionnement destinés au porte-avions nucléaire CVA70 dont le coût global est actuellement évalué à près de 1 Md$. Des fonds du même ordre avaient été refusés l’an dernier par le Congrès, mais la Navy espère qu’elle parviendra à obtenir cette fois les crédits qu’elle souhaite pour le démarrage de la construction de ce bâtiment qui serait le 4e porte-avions nucléaire d’attaque de l’US Navy, le premier étant le CVAN65 Enterprise en service depuis 1961 et les deux autres le CVAN68 Nimitz et le CVAN69 Eisenhower en construction. Ces bâtiments devraient commencer leurs essais en 1973 et 1975 respectivement et rallier la flotte un an plus tard ;
– 193 M$ pour terminer la définition, lancer le programme et construire le prototype d’une nouvelle classe d’escorteurs de 3 400 t appelée PF (pour Patrol Frigate). Cette classe de bâtiments appelée à prendre la suite des destroyers d’escorte du type Knox devrait comprendre un minimum de cinquante unités ;
– et des fonds pour les programmes ci-après auxquels l’amiral Zumwalt tient particulièrement :
Sea Control Ship
Ce nouveau type de bâtiment, dont les caractéristiques précises – comme le prix de revient – sont encore incertaines, doit permettre en particulier l’emport d’hélicoptères et d’avions. Les 10 M$ demandés à son sujet sont destinés à en poursuivre la définition, et les crédits permettant la réalisation d’une première unité pourraient apparaître au budget de l’année fiscale 1974.
Surface Effect Ship
Encore au stade du développement et des essais, il fait l’objet d’études commencées il y a plusieurs années. La marine envisage la production d’unités de 2 000 t environ, pouvant atteindre des vitesses de 80 à 100 nœuds.
Hydrofoil Patrol Craft
Ces unités devraient être deux fois plus rapides que les bâtiments de surface actuels. L’US Navy envisage la construction d’un hydroptère lance-missiles pour la navigation en eaux côtières. Une somme de 60 M$, prévue au budget FY 73, est destinée à l’acquisition de deux unités de ce type.
Les 3 871 M$ prévus pour l’aviation et les missiles permettront de poursuivre la modernisation du parc aérien de la Navy et du Marine Corps et de poursuivre le remplacement des missiles antiaériens air-air et ASM actuellement en service par des engins plus modernes.
En ce qui concerne le matériel aérien, l’achat de 282 aéronefs est demandé. Les principales commandes envisagées porteraient sur les aéronefs suivants :
– 48 Grumman F-14A Tomcat pour l’acquisition desquels il est demandé 570,1 M$ et 162,6 autres au titre RDT&E (3) pour la poursuite du développement de cet appareil,
– 12 Grumman A-6E Intruder et 24 LTV A-7 Corsair II pour l’attaque ;
– 7 Grumman EA-6B Prowler destinés à faciliter grâce à leurs équipements de contre-mesures électroniques, les missions de pénétration des A-6E Intruder et A-7E ;
– 8 Grumman E-2C Hawkeye de veille radar ;
– Harrier AV-8A. Le groupe d’études sur l’appui aérien rapproché a recommandé que certains essais soient effectués avec le Harrier, dont l’acquisition est en cours pour le Marine Corps. Aussi 136 M$ sont-ils prévus pour l’acquisition de trente appareils supplémentaires destinés à fournir une souplesse suffisante aux opérations tactiques ;
– Lockheed S-3A. Ce nouveau patrouilleur ASM embarqué, qui a reçu le nom de Viking (4), devrait entrer en service en février 1974. Le budget 1973 demande 37 M$ au titre RDT&E pour en terminer le développement et 628 M$ au titre « Procurement » pour l’achat de 48 appareils. Ces derniers, en s’ajoutant aux 15 S-3A déjà financés au titre de la FY 72, devraient permettre de constituer la première flottille dès 1974.
– P-3C. Afin de conserver ses 24 Patrol squadrons ASM basés à terre, la marine souhaite poursuivre l’acquisition du P-3C, qui remplace progressivement les P-3A et P-3B, ces derniers étant transférés aux forces de réserve où ils remplacent les P-2 Neptune. ♦
(1) Le 5e SNLE est inscrit au 3e Plan d’équipement militaire.
(2) Il s’agit des autorisations d’engagements de dépenses (Total Obligational Autorisations ou TOA) demandées par l’Administration et reportables sur les exercices suivants.
(3) « Research Development and Evaluation »
(4) Cf. l’article sur le premier vol du Viking dans la Chronique aéronautique du présent numéro.