Une certaine idée de la France
Un homme est avant tout ce qu’il fait, ce qu’il crée, tout autant que ce qu’il croit profondément. L’homme d’État est celui qui croit à quelque chose de grand pour son pays, s’en donne une vue claire et y consacre sa vie. C’est bien ainsi qu’apparaît Michel Debré tout au long de ses entretiens avec Alain Duhamel, qui nous sont restitués presque à l’état brut, comme il convenait afin de ne pas altérer la force de conviction qui s’en dégage.
Il s’agit bien ici de convictions en effet. On saura gré à l’auteur de ne pas les avoir livrées de but en blanc mais d’inviter d’abord le lecteur à revivre avec lui le chemin, non sans épreuves, qui l’a conduit aux plus hautes responsabilités. Ainsi Michel Debré ne se raconte-t-il pas lui-même – il ne cache pas sa pudeur à le faire et celle-ci ressortira à plus d’un passage –mais préfère raconter ce qu’il a fait et les événements qui l’ont fait lui-même. D’où cette autobiographie dans laquelle il se laisse découvrir plus qu’il ne se découvre. Elle tient près d’une moitié du livre, le reste étant consacré par parties égales aux institutions et aux diverses politiques, économique, sociale, étrangère et militaire constituant les moyens du grand dessein qui doit animer le gouvernement. Nul ne contestera à un homme qui a voué sa vie à bâtir ces institutions et qui a assumé la responsabilité de mener tantôt l’une, tantôt l’autre de ces politiques, et même l’ensemble de la politique, d’avoir là-dessus quelques lumières.
Un livre d’une telle richesse en idées autant qu’en faits ne se résume pas. Il faut le lire : la simplicité et le dynamisme de son style en font quelque chose de vivant et même de vivifiant. Ce ne sont pas seulement tous ceux qui se préparent ou se consacrent au service de l’État qui en tireront profit, mais tous les Français qui se veulent citoyens responsables et qui entendent que la République ne retombe pas un jour dans les ornières dont le général de Gaulle l’a dégagée. La conception de la Nation et de l’État que propose Michel Debré a la netteté et l’équilibre harmonieux d’un édifice du Grand Siècle. La lucidité qu’il apporte à cette construction ne s’exerce pas dans l’abstrait, elle se nourrit d’une vision réaliste que lui donne la connaissance des problèmes et des situations concrètes telles qu’il les a vécues depuis plus de quarante ans, au cours desquels il fut l’un des artisans de ce grand œuvre sinon même l’inspirateur de son architecture.
Mais ce par quoi ce livre nous touche le plus peut-être, c’est qu’il nous laisse apercevoir non pas un monstre froid de la politique, mais un homme qui n’est pas insensible aux coups du sort, aux déceptions et qui n’est pas à l’abri des angoisses, comme tout créateur attaché à son œuvre, mais qui, toujours, sait les surmonter et ne jamais renoncer parce que lui en fait devoir une certaine idée de la France. ♦